Israël en guerre - Jour 428

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Alors que la Birmanie est accusée de génocide, Israël reste discret sur l’interruption de ses ventes d’armes

La Cour suprême va débattre de l'interdiction de fournir des armes à la nation asiatique, mais son verdict restera confidentiel

Judah Ari Gross est le correspondant du Times of Israël pour les sujets religieux et les affaires de la Diaspora.

Des réfugiés musulmans Rohingya transportent de la nourriture distribuée par l'armée du Bangladesh au camp de réfugiés Balukhali près de Gumdhum, le 26 septembre 2017. (Crédit : AFP PHOTO/Dominique FAGET)
Des réfugiés musulmans Rohingya transportent de la nourriture distribuée par l'armée du Bangladesh au camp de réfugiés Balukhali près de Gumdhum, le 26 septembre 2017. (Crédit : AFP PHOTO/Dominique FAGET)

Un tribunal israélien a refusé mardi d’indiquer s’il imposera aux firmes de défense de ne plus fournir d’armes à la Birmanie, bien que le pays asiatique soit accusé de mener une campagne de nettoyage ethnique contre près de 400 000 Rohingyas musulmans.

La Cour suprême israélienne s’est réunie lundi pour déterminer si les industries de défense israéliennes pourraient continuer à vendre leurs produits à la Birmanie. Cependant, la décision de justice, attendue mercredi, restera confidentielle et sous ordonnance de non-divulgation.

Eitay Mack, avocat des droits de l’homme, et dix autres militants ont déposé un appel à la Cour en janvier pour bloquer la vente d’armement à la junte birmane, accusée d’avoir commis des crimes de guerre contre sa population Rohingya musulmane depuis des années.

Après une attaque par des rebelles rohingyas contre des postes de police, ce dernier mois a vu une intensification des violences.

Près d’un demi-million de Rohingyas musulmans ont fui vers la frontière, pour rejoindre le Bangladesh, après une répression violente des forces birmanes. Les Nations unies ont qualifié cette campagne de « cas d’école de nettoyage ethnique », tandis que d’autre la compare à un génocide.

L'avocat militant Eitay Mack en avril 2015. (Crédit : capture d'écran YouTube)
L’avocat militant Eitay Mack en avril 2015. (Crédit : capture d’écran YouTube)

Mardi, le procureur de l’État a demandé à ce que l’affaire soit soumise à une obligation d’embargo, notamment sur les aspects qui étaient auparavant débattus ouvertement devant le public. Mais la Cour a rejeté cette motion, n’imposant la non-divulgation qu’à la décision de justice.

En réponse à cet appel, Mack a rhétoriquement demandé si « le procureur de l’État pense réellement que tous les citoyens qui étaient présents dans le tribunal durant l’audience publique, pourrait ‘remettre à zéro’ leurs esprits sur tout ce qu’ils avaient entendu et vu. »

Mack est une personnalité clef de l’initiative visant à freiner la vente d’armements israéliens aux pays accusés de violation des droits de l’Homme. Pendant des années, il a envoyé des pétitions au ministère de la Défense, qui est chargé de superviser l’exportation d’armes, a déposé des appels devant les tribunaux, et a rédigé un projet de loi sur la question.

Il n’a pas rencontré de franc succès.

L’appel à la Cour suprême de l’an dernier, visant à mettre un terme à la vente d’armes au Soudan, s’est également soldé par un verdict confidentiel. Sa tentative de publier les registres de l’exportation d’armes israéliennes au Rwanda durant le génocide de 1994 a également échoué l’an dernier.

Un soldat sud-soudanais, à droite, tient une arme Galil ACE, fabriquée par les industries d'armement israélienne (entouré en rouge), avec un autre soldat portant ce qui semble être une AK-47. (Crédit : Nations unies)
Un soldat sud-soudanais, à droite, tient une arme Galil ACE, fabriquée par les industries d’armement israélienne (entouré en rouge), avec un autre soldat portant ce qui semble être une AK-47. (Crédit : Nations unies)

Cependant, dans cette affaire, Mack pense qu’il a ses chances. La preuve de la vente d’armes d’Israël à la Birmanie est incontestable, tout comme l’est la majeure partie des dossiers concernant les crimes de guerre de l’armée du pays.

Lorsque l’on associe ces deux facteurs, soutient-il, ils montrent bien qu’Israël ne transgresse pas nécessairement ses propres lois, qui n’interdisent pas explicitement la vente d’armes aux régimes responsables de nettoyage ethniques et de génocides. En revanche, cette pratique va à l’encontre des accords internationaux auxquels Israël a accepté de se soumettre.

Le soutien à l’initiative de Mack a connu un essor ces dernières semaines, à la lumière des attaques intensifiées de l’armée birmane contre une minorité, après un attentat terroriste commis par des rebelles rohingyas. Selon un rapport de l’ONU publié dimanche, cette dernière répression comprend des viols généralisés, des meurtres, et des incendies dans les villages. Les réfugiés Rohingya qui fuient vers le Bangladesh ont raconté que des bébés étaient décapités, entre autres atrocités.

« Il est inconcevable qu’un pays fondé sur la vision des prophètes soutienne [la Birmanie] »

La semaine dernière, à titre d’exemple, un groupe de 54 rabbins et de dirigeants de communautés juives ont adressé un courrier au Premier ministre Benjamin Netanyahu et au président Reuven Rivlin, les exhortant à mettre fin à la vente d’armes à la Birmanie et à soutenir le texte de loi – rédigé par Mack – qui a été soumis l’an dernier par les députés Yehuda Glick (Likud) et Tamar Zandberg (Meretz). Ce texte de loi suggère de limiter les ventes d’armes aux pays qui violent les droits de l’Homme.

« Il est inconcevable qu’un pays fondé sur la vision des prophètes soutienne [la Birmanie] », avaient écrit les rabbins et dirigeants de communauté.

Avidan Freedman, enseignant et dirigeant communautaire, qui a fédéré ce groupe de rabbins et de dirigeants juifs, a indiqué qu’il espérait « qu’au regard des preuves, la Cour suprême prendra une décision qui soit moralement en accord avec ce qu’Israël se doit d’être. »

Des réfugiés Rohingyas demandent une aide alimentaire dans le camp de réfugiés de Kutupalong à Ukhiy, à proximité de la frontière entre le Myanmar et le Bangladesh, le 30 août 2017 (Crédit : Stringer/AFP)
Des réfugiés Rohingyas demandent une aide alimentaire dans le camp de réfugiés de Kutupalong à Ukhiy, à proximité de la frontière entre le Myanmar et le Bangladesh, le 30 août 2017 (Crédit : Stringer/AFP)

Dans ses arguments, Mack a fait remarquer que les États-Unis et l’Union européenne ont tous deux instauré un embargo sur les ventes d’armes à la Birmanie.

Freedman a ajouté qu’interdire les ventes d’armes à ceux qui violent les droits de l’Homme seraient « l’une des étapes les plus importantes pour Israël, pour qu’il soit en accord avec le reste du monde occidental. »

Une vente d’armes pas si secrète

En tant qu’expert mondial dans le domaine des technologies de défense, Israël se sert de la vente de ses produits pour se faire des alliés et les garder, notamment parmi les pays émergents.

Le ministère de la Défense est directement chargé de superviser la vente d’armes, mais le ministre des Affaires étrangères intervient également dans le choix des pays acheteurs d’armes israéliennes.

Le procureur de l’État en charge de cette affaire, Shosh Shmueli, affirme que la Cour n’est pas habilitée à aller contre les décisions des ministères.

Mack a confié au Times of Israël que cette affirmation était « folle » et « juridiquement infondée. »

L’avocat militant a déclaré que si Israël violait la loi, cela relèverait très certainement de l’autorité de la Cour suprême.

Les exportations d’armes israéliennes sont généralement confidentielles, et la liste des pays qui achètent des armes aux industries israéliennes est classifiée.

Cependant, dans le cas de la Birmanie, cette confidentialité n’est pas une question pour Mack, parce que les preuves émanent de déclarations publiques faites par une société israélienne qui a vendu une technologie de défense à la Birmanie et par le commandant en chef du pays asiatique, Min Aung Hlaing. Le ministère de la Défense a également publiquement conservé la position de trois responsables qui gèrent les vente d’armes à la Birmanie et à d’autres pays d’Asie du Sud.

Durant son séjour en Israël en 2015, Hlaing avait annoncé que son pays achetait le bateau de patrouille Super Dvora III, qui est fabriqué par Israel Aerospace Industries, une entreprise publique.

https://www.facebook.com/seniorgeneralminaunghlaing/posts/1074010965966724:0

Hlaing a également parlé de sa rencontre avec le général de brigade Mishel Ben Baruch, qui est à la tête de l’Agence de coopération internationale de la défense, qui dépend du ministère de la Défense et participe à l’établissement de la politique d’exportations d’armes d’Israël.

https://www.facebook.com/seniorgeneralminaunghlaing/posts/1253337571367395:0

L’an dernier, le fabricant d’armes israélien TAR Ideal Concepts a également annoncé que son CornerShot, une extension de pistolet qui permet aux tireurs de tirer depuis un angle, était « désormais au service des Forces opérationnelles spéciales de Birmanie. »

(La société a ensuite retiré cette déclaration de son site, mais a laissé l’adresse web « Israeli CornerShot in Myanmar », avec des photos prises en Birmanie, accompagnées de la légende « systèmes d’armes spéciaux en Asie ».)

Mack a indiqué qu’au cours de ses discussions sur la vente d’armes à la Birmanie lundi, le procureur de l’État a demandé à ce que cet aspect de l’affaire soit débattu à huis-clos, parce qu’il aurait dû s’agir d’informations classifiées. Cependant, le juge a rejeté cette demande, étant donné que ces ventes ont été rendues publiques.

Après que l’État a tenté mardi de placer cette information sous obligation de silence, Mack s’est demandé si « le procureur de l’État voulait aussi effacer les publications du chef de la junte militaire sur Facebook, à propos des armes et des entrainements avec Israël. »

Des armes pour des violeurs des droits de l’Homme

Dans sa demande, Mack a évoqué les décennies d’abus et de violences subies par les musulmans rohingyas des mains de l’armée birmane.

Cependant, les crimes contre l’humanité présumés commis par la Birmanie n’empêcheraient pas les sociétés israéliennes de fournir le pays en armes, du moins, au regard de la loi israélienne.

L’exportation d’armes par Israël est régulée par une loi de 2007, qui impose, entre autres, que le vendeur prenne en considération l’identité et les intentions de l’acheteur. Cette disposition vise à empêcher les sociétés de vendre des armes à un pays en sachant qu’elles seront revendues à un pays interdit.

Cela permet également de s’assurer que les fabricants d’armes ne vendent pas sciemment des armes à des pays qui ont l’intention de les utiliser pour commettre des crimes de guerre.

Bien que ces questions doivent être prises en considération, elles peuvent être rejetées pour des raisons diplomatiques ou sécuritaires, en vertu de la loi de 2007.

Actuellement, la loi israélienne interdit uniquement la vente d’armes à des pays qui sont soumis à un embargo officiel par le Conseil de sécurité de l’ONU. Cependant, ce type d’embargo est rare, notamment à cause des veto apposés par la Chine et la Russie.

Mack a souligné que même dans le cas du génocide rwandais de 1994, très médiatisé, il aura fallu un mois et demi pour que le Conseil de sécurité de l’ONU instaure un embargo sur les ventes d’armes.

Le projet de loi rédigé par Mack, qui consiste essentiellement en une traduction d’un texte de loi américain, interdirait la vente d’armes au pays qui « violent ouvertement les droits de l’Homme. »

Mais Mack a soutenu que la vente d’armes à la Birmanie transgresse les accords internationaux.

Il a évoqué plusieurs tribunaux internationaux, notamment le procès contre Jean-Paul Akayesu, concernant son rôle dans le génocide rwandais.

La Cour pénale internationale l’a déclaré coupable « de complicité, en ayant fourni des outils, notamment des armes, des instruments ou tout autre outil, utilisés pour commettre un génocide, avec des complices, sachant que ces outils seraient utilisés à ces fins. »

Mack a également souligné qu’Israël a accepté de se soumettre à la loi des Nations unies contre le génocide, les crimes de guerre, le nettoyage ethnique, et les crimes contre l’humanité. Cet accord demande aux pays de ne pas commettre de telles atrocités et « d’encourager et d’aider les pays à exercer cette responsabilité et à soutenir les Nations unies dans l’établissement d’un dispositif d’alerte rapide ».

Les réfugiés Rohingya déplacés depuis l'état de Rakhine au Myanmar marchent à proximité d' Ukhia, à la frontière entre le Bangladesh et Myanmar, alors qu'ils fuient les violences le 4 septembre 2017 (Crédit : K.M. Asad/AFP)
Les réfugiés Rohingya déplacés depuis l’état de Rakhine au Myanmar marchent à proximité d’ Ukhia, à la frontière entre le Bangladesh et Myanmar, alors qu’ils fuient les violences le 4 septembre 2017 (Crédit : K.M. Asad/AFP)

Après une demande déposée par de nombreux pays, le Conseil de sécurité de l’ONU va discuter de la situation en Birmanie jeudi.

Alors que les Nations unies ont décrit l’opération militaire comme un exemple de nettoyage ethnique, le président français Emmanuel Macron a été plus loin, en déclarant la semaine dernière que les attentats contre la population rohingya musulmane équivalait à un « génocide ».

Le président turc Recep Tayyip Erdogan a également accusé la Birmanie de « terrorisme bouddhiste » contre les minorités musulmanes, et a dénoncé cette campagne comme étant un « génocide ».

Lundi, l’ambassadeur birman aux Nations unies a assuré que les musulmans ne faisaient l’objet d’aucun « nettoyage ethnique » ni de génocide, et s’est opposé « en des termes forts » aux pays qui emploient ces termes pour décrire la situation.

Des agences ont contribué à cet article.

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