Au Festival de Cannes, le « soft power » saoudien
Pour la deuxième année consécutive, le Red Sea International Film Festival, emmené par le producteur Mohammed al Turki, apparaît comme un acteur de poids sur la Croisette
Huit films financés pour la 76e édition du Festival de Cannes, un gala dédié aux femmes avec Naomi Campbell et Catherine Deneuve comme invitées : la présence dans le 7e art de l’Arabie saoudite, pourtant très critiquée en matière de droits de l’Homme, n’étonne presque plus personne.
Pour la deuxième année consécutive, le Red Sea International Film Festival, lancé en 2021 dans le royaume ultra-conservateur et emmené par le producteur Mohammed al Turki, apparaît comme un acteur de poids sur la Croisette. Son nom est visible partout : affiches, génériques et galas.
L’année dernière, Human Rights Watch avait accusé les Saoudiens – régulièrement pointés du doigt pour des discriminations à l’égard des femmes et des exécutions nombreuses de prisonniers – d’utiliser des festivals comme celui de Cannes « comme un moyen de blanchir leur réputation, comme ils l’ont déjà fait avec les événements sportifs ».
Mais cette année, la présence saoudienne suscite peu de remous, le délégué général du Festival de Cannes, Thierry Frémaux, saluant même auprès du magazine américain Variety le fait que le royaume veuille « produire des films et permettre à des artistes d’émerger » et précisant que « l’Arabie saoudite évoluait ».
https://youtu.be/MrDarfGICRI
Pour la 76e édition, à travers un fonds dédié, le Red Sea Festival a financé (ou co-financé) huit films, dont celui d’ouverture, « Jeanne du Barry » de Maïwenn, « Les filles d’Olfa » de Kaouther Ben Hania (en lice pour la Palme d’or), « Augure » de Baloji, « Goodbye Julia », premier long-métrage de Mohamed Kordofani, « Inchallah un fils », premier film jordanien sélectionné à Cannes ou encore « Kadib Abyad » d’Asmae el Moudir.
« Les Saoudiens sont fiers de cet exploit », affirme à l’AFP Emad Iskandar, directeur de ce fonds qui a financé 168 films en deux ans. « Nous soutenons seulement des films saoudiens, arabes et africains », a-t-il souligné.
En janvier, le fonds avait toutefois créé la surprise en annonçant qu’il financerait pour la première fois un film français. « Maïwenn a des origines algériennes », a justifié Eskandar.
« Tant que nous avons les ressources, nous voulons servir la région, mais aussi en profiter pour en apprendre davantage », a-t-il ajouté.
Il a souligné que « l’ouverture prônée en 2015 par MBS (le prince héritier Mohammed ben Salmane), et le roi Salmane », et surtout la levée en 2017 de l’interdiction qui frappait depuis 35 ans les salles de cinéma, « nous a encouragés ».
La festival a même organisé un gala dédié aux « femmes dans le cinéma », qui a réuni Catherine Deneuve, Katie Holmes et une flopée d’actrices reconnues, alors que la condition des femmes dans le royaume reste critiquée, malgré des réformes comme la levée de l’interdiction de conduire en 2018.
Le pays tente-t-il de redorer son blason grâce au cinéma ?
« Ce sont des paroles en l’air », a répondu Iskandar. Ces accusations nous attristent plus qu’autre chose. Venez connaître l’Arabie saoudite puis parlez de nous », a-t-il poursuivi. « L’Occident est arrivé à ce qu’il est après des années de guerres et de débats. Nous sommes un État qui a 90 ans, patientez un peu. »
Plusieurs publicités à Cannes appellent également producteurs et réalisateurs à filmer en Arabie saoudite.
Et l’association Génération 2030, créée en 2019 afin de rassembler les jeunes talents saoudiens et français, a lancé la deuxième édition de sa tournée du cinéma saoudien.
« C’est un pays qui cherche à se positionner davantage dans l’industrie du film mondial », a commenté pour l’AFP Guillaume Esmiol, directeur-général du Marché du Film. « Chaque année, il demande à agrandir son pavillon, à être de plus en plus présent. C’est un signal qui montre qu’ils ont des ambitions. »
L’Arabie saoudite n’est pas le seul pays de la région à investir massivement dans le cinéma. Son rival, le Qatar, finance également 13 films à Cannes, dont trois en compétition (« Club Zero » de Jessica Hausner, « Banel et Adama » de Ramata-Toulaye Sy et « Les herbes Sèches de Nuri Bilge Ceylan).
« Nous finançons beaucoup de productions françaises et pas seulement arabes, nous ne voulons pas être insulaires », a fait valoir auprès de l’AFP Fatma Hassan Alremaihi, PDG du Doha Film Institute.
Du « soft power » comme dans la sphère sportive ? « Tout le monde fait du ‘soft power’. Nous le faisons sans perdre notre identité », a-t-elle répondu.