Au premier jour du contre-interrogatoire, Netanyahu questionné sur la fiabilité de sa mémoire
Le Premier ministre est pressé de s’expliquer sur ses liens avec Milchan et ses 1 778 "je ne me souviens pas" face aux enquêteurs
Jeremy Sharon est le correspondant du Times of Israel chargé des affaires juridiques et des implantations.

Lors du contre-interrogatoire du Premier ministre Benjamin Netanyahu, qui a débuté mardi matin au tribunal de district de Tel Aviv, cinq ans après le début de son procès pour corruption, le parquet a cherché à remettre en cause la crédibilité de Benjamin Netanyahu en tant que témoin, et à fragiliser la fiabilité de ses déclarations.
Le chef du gouvernement a été soumis à des questions incisives concernant la manière dont il s’est préparé à ses auditions, sa propension à répondre « je ne me souviens pas » lors des interrogatoires, ainsi que sur un épisode de 1996 impliquant une peluche géante à l’effigie de Bugs Bunny, offerte à son fils Yair par un magnat hollywoodien.
Ce contre-interrogatoire devrait s’étendre sur environ douze mois, en raison des 36 séances déjà consacrées au témoignage principal de Netanyahu, ainsi que des contraintes liées à l’agenda judiciaire et à ses fonctions de Premier ministre.
Le procureur Yehonatan Tadmor, représentant le bureau de la procureure générale, a ouvert le contre-interrogatoire en s’attardant sur l’affaire 1000. Dans ce dossier, Netanyahu est accusé d’avoir reçu des cadeaux de luxe d’une valeur de plusieurs centaines de milliers de shekels de la part du producteur Arnon Milchan et du milliardaire australien James Packer. Il lui est reproché d’avoir en échange accordé divers avantages et services, ce qui constitue, selon l’acte d’accusation, des faits de fraude et d’abus de confiance.
Dès l’ouverture de l’audience, la juge Rivka Friedman-Feldman, qui préside la formation de trois magistrats chargés de juger l’affaire, a rappelé à l’accusé son obligation de dire la vérité dans ses réponses au ministère public.
L’audience a été marquée par de nombreuses objections de la défense aux questions du parquet, entraînant à plusieurs reprises la sortie temporaire de Netanyahu de la salle pendant que les juges délibéraient.

Tadmor a commencé le contre-interrogatoire en revenant sur la période où Netanyahu a été convoqué pour la première fois par la police, en 2016, dans le cadre de l’affaire 1000. Il lui a demandé s’il s’était préparé à cet entretien, et s’il avait été informé qu’il porterait sur ses relations avec de riches hommes d’affaires et les cadeaux de grande valeur qu’il avait reçus.
Netanyahu a déclaré se souvenir que la question de ses relations avait bien été évoquée lors de la préparation, ajoutant qu’il « ne fait pas de faveurs aux hommes d’affaires ».
Tadmor l’a ensuite interrogé au sujet d’une liste de dix hommes d’affaires, parmi lesquels figuraient Arnon Milchan et James Packer, et qui aurait été préparée par ses avocats en amont de l’interrogatoire.
« Je ne m’en souviens pas. Je croyais que toute cette affaire ridicule avait commencé à cause d’un article de Gidi Weitz – c’est de la persécution », a rétorqué Netanyahu, en faisant référence à un journaliste de Haaretz qui avait enquêté sur ses liens avec Milchan à l’époque.
Le procureur a également tenté de démontrer que Netanyahu avait tenté d’influencer le déroulement des interrogatoires en demandant fréquemment des pauses, durant lesquelles il aurait consulté ses avocats. Le Premier ministre a nié cette accusation.
Pour mettre en doute sa fiabilité en tant que témoin, Tadmor a rappelé que Nir Hefetz, témoin de l’accusation et ancien proche du Premier ministre, avait vanté la mémoire de Netanyahu comme étant « phénoménale ». Il a aussi noté que Netanyahu s’était souvenu avec précision de détails concernant des réunions anciennes au cours de son témoignage principal.
Tadmor a ensuite souligné que, lors des interrogatoires menés par la police dans les affaires 1000 et 2000, Netanyahu avait déclaré « je ne me souviens pas » à 1 778 reprises, et que cette formule était revenue de plus en plus fréquemment au fil des séances.
« Je dis que vous avez dit ‘je ne me souviens pas’ quand cela vous arrangeait », a accusé Tadmor.

Netanyahu a répondu qu’il était impossible de se souvenir de tous les détails d’événements anciens, surtout lorsque le temps passe. Il a ajouté que certains souvenirs ressortaient plus clairement que d’autres.
À un moment de l’audience, la juge Rivka Friedman-Feldman l’a interrompu pour lui demander : « Lorsque vous avez dit ‘je ne me souviens pas’, était-ce pour éviter de répondre ? » Ce à quoi Netanyahu a répondu par la négative « Non ».
En abordant la relation entre Netanyahu et Arnon Milchan, le procureur Tadmor a cherché à démontrer que le producteur hollywoodien avait avant tout recherché les faveurs de Netanyahu dans l’espoir d’obtenir son aide ultérieurement, et que leur relation n’était pas une véritable amitié, contrairement à ce qu’affirme constamment Netanyahu en réponse aux accusations selon lesquelles les cadeaux qu’il recevait du magnat hollywoodien étaient réciproques.
Selon le parquet, les efforts de Milchan ont porté leurs fruits dans le cadre de l’affaire 1000 : Netanyahu aurait accepté de sa part des cadeaux de luxe d’une valeur de plusieurs centaines de milliers de shekels, et lui aurait apporté en retour son aide pour l’obtention d’un visa américain de longue durée. Il aurait également envisagé de l’aider à investir dans le secteur de l’audiovisuel israélien et à fusionner les chaînes Keshet et Reshet.
Pour illustrer la nature de cette relation, Tadmor a évoqué la première rencontre entre Netanyahu et Milchan, qui aurait eu lieu en 1996 à New York, lors d’une projection privée organisée dans un hôtel où séjournaient le Premier ministre et son épouse.
Avant cette rencontre, Sara Netanyahu aurait exigé que le film prévu soit remplacé, et aurait également demandé à Milchan d’apporter une peluche Bugs Bunny pour leur fils Yair.
Milchan se serait présenté avec un jouet jugé trop petit par Sara, qui l’aurait alors envoyé en chercher un plus grand.
« Il est arrivé avec une petite peluche, et Milchan a couru dans tout New York sous la pluie », a relaté Tadmor.

Le procureur a également lu un extrait du témoignage de Milchan lors du procès de 2023. « Je n’avais pas de chauffeur, il pleuvait, mais j’avais trouvé un très grand Bugs Bunny. Personne ne voulait s’arrêter. J’ai cherché un taxi, et me voilà, debout avec le Bugs Bunny. Finalement, j’ai réussi à rejoindre l’hôtel du Premier ministre… Sarah a pris le Bugs Bunny et a dit que ça allait… Puis nous avons dîné. »
Tadmor a alors mis Netanyahu au défi, soulignant qu’il était curieux de formuler de telles demandes lors d’une première rencontre.
Netanyahu a répondu qu’il ne se souvenait pas que le film ait été modifié, et qu’il n’avait « aucune idée de comment ce Bugs Bunny est arrivé là ». Il a ensuite plaisanté : « On dirait un film hollywoodien, ‘Qui veut la peau de Roger Rabbit’. »
« Confirmez-moi que vous saviez que Milchan tenait à vous rencontrer. Confirmez-moi que Milchan était important », a insisté Tadmor.
« Des tas de gens voulaient me rencontrer » a éludé Netanyahu.
Plus tard au cours de l’audience, Tadmor a continué à mettre en cause la cohérence du témoignage du Premier ministre en l’interrogeant sur ses intentions politiques après sa défaite électorale de 1999.
« J’étais un cadavre politique. Les commentateurs télé prononçaient déjà mon éloge funèbre. À l’époque, je le croyais aussi. Je n’envisageais pas de revenir, je n’en avais pas envie », a affirmé Netanyahu.
Tadmor a toutefois contesté cette version, affirmant que Netanyahu avait toujours eu l’intention de revenir sur la scène politique. Il a alors lu à haute voix un extrait du livre publié par le Premier ministre en 2022, dans lequel ce dernier écrit qu’à l’époque, « je n’avais aucun doute sur ma capacité à revenir un jour » et que « ma place prééminente dans la politique israélienne s’est maintenue ».
Benjamin Netanyahu est actuellement jugé dans trois affaires de corruption. Il est inculpé pour fraude et abus de confiance dans les affaires 1000 et 2000, et pour corruption, ainsi que pour fraude et abus de confiance, dans l’affaire 4000.
Dans l’affaire 2000, il est accusé d’avoir tenté de conclure un accord avec l’éditeur du quotidien Yedioth Aharonot, Arnon (Noni) Mozes, prévoyant que le journal accorde une couverture plus favorable au Premier ministre en échange d’une législation destinée à affaiblir son principal concurrent, le quotidien gratuit Israel Hayom.
L’affaire 4000, également connue sous le nom d’affaire Bezeq–Walla, est considérée comme la plus grave. Netanyahu est soupçonné d’avoir pris des décisions réglementaires ayant rapporté des centaines de millions de shekels à Shaul Elovitch, principal actionnaire du groupe de télécommunications Bezeq. En contrepartie, il aurait bénéficié d’une couverture médiatique favorable sur le site d’information Walla, également contrôlé par Elovitch.