Au procès de son frère, Abdelghani Merah décrit « la haine » familiale
Le frère d'Abdelkader et de Mohamed Merah, qui a rejeté le radicalisme et l’antisémitisme de sa famille, s'est exprimé aux assises du cadet en tant que témoin de l'accusation

L’aîné de la famille Merah, Abdelghani Merah, a décrit mercredi un foyer ancré dans la violence et la haine, affirmant que son cadet Abdelkader, rejugé aux assises pour complicité des assassinats de son frère Mohamed, avait fait du dernier, Mohamed, « un tueur d’enfants ».
Abdelghani Merah, 42 ans, est témoin de l’accusation.
Imad Ibn Ziaten, Abel Chennouf, Mohamed Legouad, Gabriel Sandler, Aryeh Sandler, Myriam Monsonégo et Jonathan Sandler ont été tués entre le 11 et le 19 mars 2012 par Mohamed Merah, à Montauban et Toulouse.
Ses premiers mots sont pour les victimes. Il égrène leurs noms, sa silhouette frêle ployant sous l’émotion. « Je suis désolé », dit-il à Samuel Sandler, père et grand-père de victimes de l’école juive Ozar Hatorah.
« La dernière fois qu’on a tué des enfants juifs, c’était les nazis. »

Pas un regard pour Abdelkader, de six ans son cadet, qui le fixe depuis le box. « Je n’arrive pas à me tourner vers cette personne, ce n’est pas mon frère, c’est celui qui a envoyé Mohamed Merah à la mort ».
Il souligne qu’Abdelkader, condamné en 2017 à 20 ans de réclusion mais acquitté du chef de complicité, « a beaucoup de chance d’être jugé par la France ».
Il demande pardon de n’avoir pas vu plus tôt la dérive radicale de ses frères, tant il a baigné, lui aussi, dans la violence familiale. Lui aussi a donné des coups, frappé ses frères, entraîné Abdelkader qui l’admirait dans la drogue et l’alcool dès ses dix ans.
« Si c’est de ma faute ce qu’est devenu Kader, je veux lui dire qu’à cause de lui, Mohamed est devenu un tueur d’enfants », dit Abdelghani.
Ses certitudes plongent leurs racines dans une jeunesse modelée par la violence : le père qui bat la mère, démissionnaire, les fils qui se battent entre eux. « Pour connaître la famille Merah, il faut être né dans le même seau de haine », dit-il.
En février 2003, les relations avec son frère Abdelkader sont devenues détestables. Ils s’acharnent sur leurs voitures respectives, l’un à coup de batte, l’autre de club de golf, et Abdelkader finira par donner « sept coups de couteau » à Abdelghani par vengeance, selon ce dernier. Il était aussi question du fait qu’Abdelghani soit tombé amoureux d’une femme juive.
Quant à Mohamed, « c’était quelqu’un de déchiré, il était complètement en roue libre ». « Il a été ultra-battu par Kader ». Une violence « normale » dans la famille, la cité, a tenté d’expliquer Abdelkader, que le quartier avait surnommé « Ben Ben » du fait de sa fascination pour Ben Laden après le 11 septembre 2001, qualifiant Mohamed de « petit Ben Ben ».
Il voit dans l’accusé « la relève d’Olivier Corel », l’éminence grise de la galaxie salafiste toulousaine. Dans cette communauté, il cite Sabri Essid – réputé mort en Syrie et que Kader qualifie de « petit frère » – et les frères Clain, voix des revendications des attentats du 13 novembre 2015 à Paris, que l’accusé a admis avoir « croisés au foot » au Caire.
Il raconte aussi la fascination de Mohamed pour les armes, sa joie quand des attentats étaient commis. Pourtant, relève la présidente, « vous n’avez jamais rompu avec lui, on relève 85 appels entre vous les cinq derniers mois ».
« C’était mon petit frère. Dans la famille Merah, on pouvait se déchirer, presque s’entretuer mais quand on avait besoin les uns des autres, on était présents », répond Abdelghani, de 12 ans l’aîné du tueur.
« Vous êtes le seul à savoir qu’il (Mohamed Merah) a un colt 45, qu’il a la haine des militaires, qu’il cherchait à avoir une kalachnikov, à savoir qu’il a la haine des juifs (…) Je suis pas en train de vous dire que vous êtes complice, mais si nous avions un seul de ces éléments contre Abdelkader Merah, ce serait du pain bénit pour l’accusation », a cinglé Me Archibald Celeyron pour la défense.
Le verdict est attendu le 18 avril.
Abdelghani Merah a écrit en novembre 2012 le livre Mon frère, ce terroriste, avec Mohamed Sifaoui et la famille explose : « pour eux, j’avais fait la pire des choses, la balance, le harki comme ils disent. J’ai perdu tous mes amis du jour au lendemain ».
L’antisémitisme est ancré dans la famille : « ma mère disait toujours que les Arabes sont nés pour détester les Juifs. Et mon père estimait que les Palestiniens ont raison de se faire exploser et (que) les Israéliens ont ce qu’ils méritent », expliquait-il en juin 2016. Et quand Mohamed Merah tue quatre Juifs dans l’école Ozar HaTorah, le geste est idolâtré et n’est surtout pas considéré comme un crime : « il n’avait pas tué des enfants mais des Juifs ».
Commence alors une longue période d’errance : se sentant menacé, Abdelghani quitte Toulouse avec sa famille et se réfugie à Aix-en-Provence, mais les souvenirs sont là. « J’ai cru être soulagé après le livre, mais, en fait, j’étais déprimé. Ma famille en voulait plus à moi qu’à Mohamed. J’avais beaucoup de peine pour eux, ils ne se rendaient pas compte de ce qu’ils faisaient de l’idolâtrer comme ça ».
Mohamed Sifaoui, qui l’avait aidé à rédiger le livre, l’invite plus tard à un colloque à Paris sur la déradicalisation.
Une révélation pour Abdelghani, quand il rencontre des membres de l’association Entr’autres : « Je peux apporter quelque chose, casser le mythe de Mohamed. Dire aux jeunes que mon frère était faible » et « qu’il s’est fait voler son cerveau ».
Cité par Le Point, Patrick Amoyel, membre fondateur de l’association et professeur de psychopathologie, insistait sur l’importance du rôle d’Abdelghani : « [il] apporte la vérité sur le personnage de son frère ; il casse l’héroïsation. Il montre que l’extrêmisation politico-religieuse se fait à partir du milieu familial comme dans les familles nazies ».
Le frère veut aussi rassurer et réconforter les mères des djihadistes en puissance, leur rappeler que leur rôle est essentiel : « si Mohamed avait eu de leur amour, il ne serait jamais devenu Mohamed Merah ».
Et elles sont les mieux placées pour surveiller la famille, et empêcher une contamination de la radicalisation : « s’il y a un salafiste dans la famille, il faut le couper des autres ». Une théorie vérifiée lors des attaques terroristes à Paris ou à Bruxelles, où la fratrie a joué un rôle déterminant dans la course à la mort.