Autriche : Nancy Black, une rappeuse rom qui slame contre l’antitsiganisme
L'artiste fait de la musique engagée, non seulement pour « dénoncer les mensonges de l'extrême-droite », mais aussi pour donner de la force à une population encore largement marginalisée en Europe

Chanter pour exister : en Autriche, Gilda-Nancy Horvath rappe au féminin pour faire vivre la langue romani et « régler leur compte aux racistes », à l’image d’une nouvelle génération d’artistes roms en Europe.
Sa vocation, elle l’a puisée dans la politique, « pour dénoncer les mensonges de l’extrême-droite », très implantée dans le pays alpin où le parti FPÖ est arrivé en tête aux législatives dimanche dernier.
« C’est ainsi qu’est née Nancy Black », le nom à la scène de cette militante tout juste quadragénaire, grosses lunettes rondes et look en noir.
Son premier slam, nommé « Trushula », elle l’a déversé seule devant son ordinateur. Il reçoit alors un écho positif au sein de la communauté rom et sinti, qui rassemble officiellement 30 000 personnes dans ce pays de 9,1 millions d’habitants.
En réalité, ils sont beaucoup plus, mais nombre d’entre eux préfèrent dissimuler leurs origines par peur des discriminations.
« Leur donner le courage de ne pas se cacher » : voilà l’ambition de Gilda-Nancy Horvath, elle-même d’origine lovara, un groupe de Roms maquignons sous l’empire austro-hongrois.
Elle a choisi de décliner sa musique en romani, une langue transmise oralement et menacée d’extinction, « ce qui a touché beaucoup de jeunes ».
Du rap aux berceuses pour enfants, elle se bat aussi pour permettre aux Roms de paraître sur les plateformes Spotify et iTunes et de « trouver leur place auprès du grand public ».
« S’approprier les modes »
Derrière le cas de Nancy Black, des femmes roms commencent à percer dans la culture pop, note Anna Piotrowska, musicologue dans une université de Cracovie.
Un net progrès car la musique a longtemps été « un travail masculin », « 99 % des joueurs de cymbale » étant des hommes.
Elle cite l’exemple de la gagnante polonaise de l’Eurovision junior Viki Gabor en 2019, qui fait depuis carrière.
Des aspirations dont se fait écho la série Netflix « Infamia », évoquant une jeune fille tiraillée entre les règles strictes de sa famille et son rêve de se faire un nom dans le hip-hop.
« Les Roms s’approprient les modes » et « les retravaillent de manière innovante », souligne l’experte, qui observe « la popularité du rap protestataire » chez les jeunes de la communauté.
Un moyen de faire entendre leur voix alors qu’ils demeurent marginalisés dans l’espace public en Europe, où ils sont pourtant 14 millions.
Et même en Autriche, l’un des pays où leur situation est la plus enviable, car ils y sont protégés par la Constitution comme minorité présente depuis le 15e siècle et officiellement reconnue.

Cela leur donne notamment droit à leurs propres émissions, à des établissements bilingues et à un fonds de financement des associations.
Gilda-Nancy Horvath a elle-même longtemps travaillé comme journaliste pour les programmes en romani de la télévision publique ORF.
« Porajmos »
Misère, faible niveau d’éducation et une espérance de vie de dix ans inférieure en moyenne à celle de tous les autres groupes : autant de discriminations sur lesquelles l’artiste veut ouvrir les yeux.
Ce soir-là, pour faire comprendre à la centaine de spectateurs ce qu’est la stigmatisation, elle « inverse le point de vue » dans un texte satirique qu’elle lit entre deux chansons et fait des gadgé – les non-Roms – une « minorité discriminée ».
« J’utilise le même langage pseudo-scientifique » pour faire croire que, « parce que la fête de la bière existe » (Oktoberfest) et que des viols y sont commis chaque année à Munich, les Allemands sont tous alcooliques et violents.
« Ce n’est pas représentatif de la société allemande et pourtant, c’est comme cela qu’on parle des Roms dans les médias », dit-elle.
Elle évoque aussi dans ses poèmes l’extermination d’au moins 500 000 Roms par les nazis – le « Porajmos », qui signifie littéralement « dévorer » -, dont elle s’efforce de faire vivre la mémoire.
« Nos ancêtres ont été assassinés, c’est une réalité », rappelle-t-elle, précisant s’être rendue « cinq ou six fois » à Auschwitz.
« Mais au quotidien dans ma famille, comme dans la plupart des familles, c’était le silence ».