Avec Herzog à la tête de l’Agence juive, Netanyahu revit les combats de son père
Nommer un éternel opposant du Premier ministre à la tête de l'organe para-gouvernemental risque de rouvrir un abîme idéologique remontant au début de la relation Israël-Diaspora

Pour la grande majorité du mandat de Natan Sharansky en tant que président de l’Agence juive, l’organisme quasi-gouvernemental destiné à servir de pont entre Israël et la diaspora juive a rempli son rôle traditionnel de représentant inébranlable du gouvernement israélien.
Mais, en juin 2017, un an avant la fin du mandat prolongé de Sharansky, l’ancien prisonnier de Sion a pris une mesure sans précédent en s’opposant publiquement au gouvernement et au Premier ministre Benjamin Netanyahu, qui l’avait nommé à ce poste huit ans plus tôt.
Un jour après que le cabinet a voté la suspension de ses projets de plate-forme de prière pluraliste au mur Occidental et, séparément, pour faire avancer la législation visant à renforcer le monopole ultra-orthodoxe de facto sur les conversions au judaïsme en Israël, l’Agence juive a annulé un dîner prévu avec le Premier ministre et adopté à l’unanimité une résolution demandant au gouvernement d’annuler ses décisions, disant qu’elles contredisent la vision des pères fondateurs d’Israël et l’esprit du sionisme.
C’était la première fois que l’institution, qui est antérieure à l’État d’Israël, demandait explicitement au cabinet israélien de revenir sur une décision.
Le compromis du mur Occidental, adopté par une décision du cabinet en janvier 2016 qui traduisait le travail de longues années de négociations, prévoyait une plate-forme de prière pluraliste permanente – sous la supervision conjointe des dirigeants de courants juifs non orthodoxes – à construire le long de l’extrémité sud du mur Occidental dans une zone du parc archéologique Davidson, aussi connue sous le nom de l’Arche de Robinson. Des plates-formes de prière temporaire pour la prière pluraliste sont actuellement installées dans cette zone, dans deux zones distinctes du parc.

Le projet a été considéré comme un symbole de « l’unité juive » dans la plupart des pays. Mais quelques jours après son dévoilement enthousiaste, la décision du cabinet a suscité la colère des partis ultra-orthodoxes de la fragile coalition de Netanyahu, qui considèrent essentiellement le mur Occidental comme une synagogue orthodoxe en plein air. La zone principale du mur Occidental est séparée par une barrière, « mehitza », entre les sections masculine et féminine, conformément aux normes orthodoxes.
La contestation de l’Agence juive, au moment où le cabinet a fait marche arrière, a été le premier grand désaveu fait à Netanyahu par l’organisation, qui, sous Sharansky, a fait office d’organe de confiance du gouvernement, se déployant au sein des communautés juives à l’étranger.
Le deuxième grand désaccord est survenu un an plus tard – dimanche – lorsque le vénérable conseil d’administration de l’agence a élu à l’unanimité le chef de l’opposition Isaac Herzog, ancien chef de la faction de l’Union sioniste et éternel adversaire de Netanyahu, pour succéder à Sharansky en tant que président, contre la volonté explicite du Premier ministre.
Le schisme de l’année dernière a mis à nu les tensions entre la diaspora et le gouvernement israélien au sujet du pluralisme religieux dans l’État juif. La nomination de Herzog, qui a critiqué avec véhémence la volte-face du mur Occidental du gouvernement, était un signe de tête clair en direction des dirigeants mécontents des communautés juives en dehors d’Israël.
Herzog a immédiatement pris des positions en désaccord avec certaines positions du gouvernement. « Nous devons permettre à tous ceux qui veulent devenir juifs de se convertir facilement », a déclaré M. Herzog lors d’une interview à la radio lundi matin, par exemple, en opposition flagrante avec la position actuelle du gouvernement en faveur des procédures de conversion rigoureuses.

Dans son discours inaugural de dimanche, Herzog, dont le grand-père Yitzhak HaLevi Herzog était grand rabbin d’Israël, a également souligné que tous les Juifs devraient être acceptés par l’État d’Israël.
« Nous devons renforcer la centralité d’Israël dans le cœur de chaque Juif, en particulier des jeunes générations ; combattre le BDS [le mouvement anti-Israël Boycott, Désinvestissement et Sanctions], instruire, relier et promouvoir l’alyah [immigration], et faire venir de plus en plus de Juifs en Israël », a-t-il dit.
« Un Juif est un Juif, et peu importe à quel courant il appartient ou ce qu’il porte sur la tête », a poursuivi Herzog. « Nous formons un seul peuple, et c’est ce qui est nécessaire pour préserver et favoriser la grande histoire des Juifs, et la grande histoire de l’État d’Israël, qui est le cœur battant du peuple juif ».
Au-delà de la religion et de l’État, le choix de Herzog par l’Agence juive pourrait également mettre en évidence des divergences par rapport à une pléthore d’autres questions sur lesquelles la communauté juive américaine a toujours été plus proche de la vision du monde de centre-gauche de Herzog que de celle de Netanyahu.
En fait, cette nomination risque de rouvrir un gouffre idéologique qui remonte à la formation de la relation Israël-Diaspora, via le mentor idéologique du Premier ministre – son père, Benzion Netanyahu.
« La doctrine de la résistance »
A la fin des années 1930 et au début des années 1940, l’Agence juive, agissant en tant qu’administration pré-étatique israélienne de facto et dirigée par David Ben Gurion, a mené une campagne controversée ciblant les dirigeants de la communauté juive américaine et les politiciens non-juifs dans le but de les amener à soutenir la cause d’un Etat juif.
Les rivaux de droite de Ben Gurion – le Groupe Bergson, un comité d’action politique dirigé par Hillel Kook (qui s’appelait Peter H. Bergson) et le mouvement sioniste révisionniste, représenté aux États-Unis par Benzion Netanyahu – estimaient que l’Agence juive n’en faisait pas assez.
Dans un challenge visant à renforcer l’influence de l’establishment sioniste aux Etats-Unis, ils ont déployé les premiers efforts de hasbara pour renforcer les extrêmes en « essayant d’attirer l’attention sur le massacre en masse des Juifs en Europe, en employant tous les moyens, des annonces pleine page dans le New York Times à un spectacle musical énorme commémorant la mémoire des martyrs juifs au Madison Square Garden, en mars 1943″. C’est ce qu’écrit Anshel Pfeffer, journaliste israélien chevronné, dans sa nouvelle biographie de Benjamin Netanyahu, « Bibi », qui commence en retraçant les années de la famille Netanyahu aux Etats-Unis.

Né Benzion Mileikowsky en Pologne en 1910, l’aîné Netanyahu est venu en Palestine lorsqu’il était enfant et s’est par la suite intégré aux révisionnistes de Zeev Jabotinsky, les opposants au camp sioniste socialiste de Ben Gurion et les précurseurs du parti Likud d’aujourd’hui.
Benzion Netanyhau, envoyé aux États-Unis pour représenter le mouvement de Jabotinsky, a employé des méthodes révisionnistes qui n’étaient pas seulement des tentatives de provocation, mais qui, en fait, s’appuyaient sur l’idéologie isolationniste du fondateur du groupe.
Le fil conducteur de Jabotinsky, tout au long de ses activités publiques, « était le principe de la résistance à la domination », a écrit Benzion Netanyahu dans son livre de 2012 Pères du sionisme.
Dans la vision de Netanyahu Sr., la vie en exil, dans ce que l’on appelle la diaspora, a fait perdre au peuple juif le pouvoir de résister. Jabotinsky a changé ça. « Il a enseigné la doctrine de la résistance à un peuple qui n’en connaissait plus la signification depuis des centaines d’années, écrit Netanyahu.
Cette « résistance », que Benzion Netanyahu a traduite en campagnes publiques féroces visant à choquer les Etats-Unis dans l’action, a trouvé un écho dans les efforts parfois audacieux de son fils pour influencer la politique américaine – et notamment combattu par Herzog, ainsi que par de nombreux membres de la communauté juive américaine.
La première querelle présidentielle de Netanyahu fut avec Bill Clinton. Dans le livre The Much Too Promised Land, Aaron David Miller, directeur adjoint de l’équipe de négociations de paix arabo-israéliennes de la Maison Blanche, a écrit que lors de leur première réunion à l’été 1996, Netanyahu a fait un exposé à Clinton sur le conflit arabo-israélien. « Pour qui se prend-il ? » a dit Miller en citant la remarque de Clinton. « Qui est la putain de superpuissance ici ? »
Une scène similaire s’est déroulée en mai 2011. Assis aux côtés de Netanyahu et devant la presse nationale, le président Barack Obama a écouté respectueusement, mais avec ce qui semblait être une gêne croissante, une allocution de six minutes et demie de Netanyahu sur la nécessité pour Israël d’une paix qui ne s’écrasera pas « un jour ou l’autre sur les rochers de la réalité moyen-orientale ».

L’exemple public le plus frappant de la relation difficile avec Obama a été le discours de Netanyahu en 2015 lors d’une session conjointe du Congrès, au sujet de ses craintes d’un accord nucléaire émergent inadéquat entre les puissances mondiales et l’Iran.
Le discours au Congrès a mis en colère la Maison Blanche et les démocrates parce qu’il a été organisé par les républicains du Congrès sans consulter le président, et donc en violation du protocole. Les responsables ont également critiqué la proximité des élections israéliennes et leur contenu, qui remettait directement en cause la politique étrangère de l’administration Obama.
Herzog avait rejoint plusieurs organisations juives américaines de gauche à l’époque en fustigeant Netanyahu sur le discours hostile, affirmant que cela « a créé une rupture dans la relation avec les Etats-Unis ».
Le chef de la faction de l’Union sioniste de l’époque a également critiqué le Premier ministre pour avoir transformé le soutien à Israël en une question partisane dans la politique américaine – une autre tactique controversée utilisée par son père dans les années 1940.
Selon Pfeffer, lors des élections présidentielles américaines de 1944 entre le démocrate sortant, Franklin D. Roosevelt, et le républicain Thomas E. Dewey, Benzion Netanyahu a été l’un des pionniers de la politique américaine au profit d’Israël.
Voyageant de New York à Chicago pour la Convention nationale républicaine, Benzion faisait partie d’un groupe de sionistes qui ont réussi à faire pression sur le Parti républicain pour inclure dans leur programme un appel à « l’ouverture de la Palestine à l’immigration et à la propriété foncière [juive] sans restriction ». Trois semaines plus tard, craignant de perdre le soutien de la communauté juive, le parti démocrate avait adopté une position similaire.
« Jouer les deux partis l’un contre l’autre de cette façon était sans précédent dans la vie juive américaine », écrit Pfeffer.
Soixante-huit ans plus tard, lors des élections américaines de 2012, Netanyahu a été accusé d’avoir penché en faveur du candidat républicain Mitt Romney et, de manière subtile, d’avoir tenté de l’aider dans sa campagne pour la Maison Blanche.
Netanyahu a été cité, et son image a été utilisée, dans les publicités de la campagne télévisée de Romney qui ont été diffusées dans des zones fortement peuplées par des Juifs, renforçant l’impression qu’il favorisait le candidat républicain et qu’Israël était utilisé comme un sujet de division.
En 2016, alors que Netanyahu était largement considéré comme préférant Donald Trump comme candidat, il a demandé aux ministres de s’abstenir de faire des commentaires sur les élections présidentielles ou de donner une opinion sur les candidats qu’ils préféreraient voir à la Maison Blanche.
Le désaccord le plus véhément que Benzion Netanyahu a eu avec l’Agence juive – qui semble être parallèle aux vues opposées de Herzog et de Benjamin Netanyahu sur l’itération moderne du débat – concernait le vote sur le Plan de partage des Nations unies.
En faveur de l’idée d’un Grand Israël qui engloberait le Royaume de Jordanie d’aujourd’hui, Benzion s’est opposé au plan de partage de 1947 qui appelait à la création d’un État juif et d’un Etat arabe au sein de la Palestine mandataire britannique.

Ben Gourion, saisissant l’opportunité d’un Etat internationalement reconnu, même s’il se trouvait sur une parcelle de terre plus petite que ce qu’il avait initialement prévu, a soutenu le plan à contrecœur et a chargé son Agence juive de faire pression pour l’obtenir. Mais les révisionnistes se sont battus pour qu’elle soit rejetée, Benzion écrivant une tribune en page pleine dans le New York Times, affirmant que la proposition « signifierait la fin du grand rêve sioniste ».
Précédemment opposé à toute forme d’état palestinien, Netanyahu a professé ces dernières années son soutien à une solution à deux Etats, quoique avec des réserves, et n’a cessé d’appeler à des négociations de paix avec l’Autorité palestinienne. Dans le même temps, cependant, il insiste sur le fait que sous sa direction, il n’y aura pas de retrait à grande échelle de la Cisjordanie.
Cette position est en désaccord avec la plupart des Juifs américains qui, selon les sondages, soutiennent massivement la solution à deux États.
Coopération ou conflit ?
L’année dernière, Herzog a confirmé qu’il avait entamé des négociations pour rejoindre un gouvernement d’unité avec Netanyahu en 2016 dans le cadre d’un accord régional secret qui était en discussion à l’époque, mais a déclaré que l’accord prétendument historique a échoué parce que le Premier ministre avait fini par céder aux pressions politiques internes.
S’adressant aux dirigeants juifs américains à Jérusalem, Herzog a déclaré que Netanyahu était disposé à le nommer ministre des Affaires étrangères pour superviser un processus qui comprendrait un gel de la construction en dehors des blocs d’implantation – des zones de Cisjordanie qu’Israël chercherait à conserver en vertu d’un accord de paix – en échange du consentement international et arabe à la construction au sein des blocs.
Mais à mesure que les pressions de ses partenaires de la coalition de droite se sont intensifiées, Netanyahu a fini par revenir sur l’idée de geler la construction des implantations à l’extérieur des blocs, selon les dires de Herzog. Le Premier ministre a déclaré qu’il était toujours disposé à poursuivre les discussions sur l’éventuel accord régional, mais qu’il n’était plus disposé à s’engager par écrit sur le plan. À ce moment-là, l’accord a été rompu et Herzog a interrompu les pourparlers en vue de rejoindre un gouvernement d’unité, a-t-il dit.
Le récit met en évidence les approches différentes de Netanyahu et Herzog, mais aussi leur possible volonté de travailler ensemble.
En octobre de l’année dernière, lors d’une session spéciale du Caucus de la Knesset pour le renforcement du peuple juif, Sharansky a averti les députés israéliens qu’une autre flambée majeure entre Israël et la diaspora juive se profile à l’horizon, et frappera si le gouvernement ne prend pas de mesures concernant le mur Occidental et les conversions.
« Je dois vous avertir que la crise continue. Nous pourrions en connaître une nouvelle », a dit M. Sharansky.

Quelques minutes après le vote de lundi, le président Reuven Rivlin a publié un communiqué félicitant Herzog pour sa nomination et prédisant qu’il serait en mesure de prévenir la crise, plutôt que de l’exacerber.
« Peu de gens comprennent mieux que Herzog les défis auxquels le monde juif est confronté aujourd’hui, et la nécessité d’enseigner et de renforcer l’identité juive, et de renforcer les liens entre Israël et les Juifs du monde entier – aujourd’hui plus que jamais », a dit M. Rivlin.
« Je dis au gouvernement et au Premier ministre », a déclaré Herzog lui-même quelques minutes après son élection, « nous travaillerons ensemble en pleine coopération ».
Le peuple juif est à la croisée des chemins, a poursuivi Herzog. « Nous devons faire tout ce que nous pouvons pour fédérer le peuple juif et veiller à ce qu’il ne soit pas fractionné et divisé. Et nous savons tous de quoi nous parlons », a-t-il ajouté – dans un commentaire qui aurait pu également faire référence à la scission sur le mur Occidental, ou, de façon plus inquiétante pour l’avenir des relations Etats-Unis-Israël et le rôle de l’Agence juive en tant que médiateur, à Netanyahu lui-même.
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