Avec « Marriage Story », Noah Baumbach révèle de la beauté dans le divorce
Deux personnalités mûres, intelligentes et attentionnées se transforment consciencieusement en monstres dans ce qui pourrait être le meilleur film de l'année
- Noah Baumbach lors de la première de "Marriage Story" au Paris Theater de New York, le 10 novembre 2019 (Crédit : Jason Mendez/Invision/AP)
- Capture d'écran du film de Noah Baumbach, ‘Marriage Story,’ à découvrir sur Netflix, le 6 décembre (Capture d'écran : YouTube)
- Capture d'écran du film de Noah Baumbach, ‘Marriage Story,’ à découvrir sur Netflix, le 6 décembre (Capture d'écran : YouTube)
- Capture d'écran du film de Noah Baumbach, ‘Marriage Story,’ à découvrir sur Netflix, le 6 décembre (Capture d'écran : YouTube)
NEW YORK — Je ne sais pas quel sera le meilleur film de l’année 2019. Comment est-il possible de comparer la médiation de Martin Scorsese sur les mœurs et la mortalité dans « The Irishman » et ce festival de fétichisme décontracté qu’est « Once Upon A Time… In Hollywood » de Tarantino, en passant par la comédie façon soap-opera de Sameh Zoabi consacrée au conflit israélo-palestinien, « Tel Aviv on Fire » ? Autant comparer des pommes à des oranges ou des grenades. C’est impossible.
Et ainsi – maintenant que les choses ont été tirées au clair – je peux dire que le meilleur de film de l’année sera manifestement « Marriage Story » [disponible sur Netflix, à partir du 6 décembre], réalisé par Noah Baumbach. C’est le seul long-métrage que j’ai vu qui m’ait donné le sentiment d’avoir couru un marathon quand il s’est terminé.
Malgré ce que le titre peut laisser penser, c’est un film sur le divorce. Ce film ressemble à un accident de voiture : on y voit deux personnes mûres, intelligentes, attentionnées, se transformer en monstres absolument conscientes du désastre qu’elles sont en train de vivre. C’est brutal, terrifiant, drôle par moments, et c’est même beau. Une œuvre comme celle-là est très rare.
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Depuis des années, les critiques disent que le cinéma de Baumbach présente souvent des similarités avec celui de Woody Allen. Et nul doute que, dans des années, de nouveaux réalisateurs seront heureux que leur cinéma présente des similarités avec celui de Baumbach.
Adam Driver et Scarlett Johansson sont formidables dans leur rôle respectif de réalisateur et d’actrice incarnant, disons-le franchement, des doubles cinématographiques évidents de Baumbach et de son ex-épouse, l’actrice Jennifer Jason Leigh. Ce qui est remarquable, c’est l’équilibre que le film parvient à conserver : on se retrouve en permanence à soutenir le personnage qui se trouve à l’écran à ce moment-là (Leigh aurait lu et « aimé le script », a déclaré récemment son ex-mari).
Baumbach est à moitié juif du côté de son père et ses films contiennent habituellement quelque chose de très juif – tout en refusant de se montrer explicite dans cette dimension. Même son dernier film, qui rassemblait une brochette de stars, Dustin Hoffman, Ben Stiller et Adam Sandler, au titre plutôt amical dans le genre – « The Meyerowitz Stories (New and Selected) »- s’il ne présentait même pas de menorah en arrière-plan, se déroulait sur une musique de Randy Newman (c’est le cas aussi de « Marriage Story »), et tout le monde vivait une existence vaguement libérale à New York. A-t-on besoin de préciser davantage les choses ?

Les parents de Baumbach sont tous deux écrivains et critiques.
Lui a fait une entrée remarquée dans le milieu à un jeune âge – 26 ans – avec « Kicking and Screaming », qui racontait l’histoire d’un groupe de jeunes récemment diplômés et hésitant à se lancer dans la vie. Une œuvre de son temps, excessivement, mais aussi bavarde et à petit budget. J’avais adoré à l’époque – mais j’admets ne l’avoir jamais revu depuis. Les dialogues punchy étaient remarquables. Je me souviens encore de l’un des personnages, interprété par Chris Eigeman, recommandant à un ami de ne pas se rendre à Prague : « Tu seras un virus à ton retour ».
Le film qui a suivi, sur un écrivain suivant une psychothérapie, « Mr. Jealousy », avait été quelque peu décevant. Très rapidement après, un projet qui avait été tourné pratiquement en même temps, « Highball », avait été diffusé par le producteur de Baumbach – même si ce dernier avait demandé que son nom soit enlevé du générique. Il avait ensuite quelque peu disparu de la scène indépendante. « Tu te souviens de ce film, ‘Kicking and Screaming’ ? », « Carrément, j’avais adoré, c’est vraiment dommage que ce type n’ait réalisé, je suppose, qu’un seul bon film ».
Déplaçons-nous ensuite en 2004, l’année où Wes Anderson, le réalisateur culte, bien-aimé et précieux, de « La famille Tenenbaum », présente ce qui est à ce jour son film le plus ambitieux et (selon moi) le plus riche au niveau émotionnel, « La vie aquatique ». Le script a été co-écrit par Baumbach, qui travaillera encore aux côtés d’Anderson sur « Fantastic Mr. Fox ».
En 2005, Baumbach, encouragé, peut-être, par sa collaboration avec Anderson, fait son entrée dans un cinéma plus mature avec « Les Berkman se séparent ». Il se dévoile à l’écran, écrit au sujet de ses parents, de leur divorce, d’une enfance passée dans une famille désorientée et « très New York » (traduisez par juive). Le jeune Jesse Eisenberg adopte les traits du double de Baumbach. C’est un film drôle, tendre et douloureusement réel.
En 2007, il s’associe au producteur juif Scott Rudin et réalise « Margot va au mariage » avec Nicole Kidman et la nouvelle épouse de Baumbach, Jennifer Jason Leigh. Les deux femmes y interprètent des sœurs (JJL, peu nombreux sont ceux qui le réalisent, est elle aussi juive. Elle est née Morrow et son père, Vic Morrow, portait le nom de Victor Morozoff.)

Après « Margot va au mariage », Baumbach s’attaque à « Greenberg » avec Ben Stiller. Il y joue une sorte d’homme enfant qui tombe amoureux d’une femme plus jeune et plutôt loufoque dont le rôle est tenu par Greta Gerwig. C’est là que les choses deviennent un petit peu plus croustillantes. Baumbach et Gerwig se plaisent et, presque une décennie plus tard, sont encore ensemble et parents d’un enfant. Ils ne sont pas mariés, mais font deux comédies spectaculaires ensemble, « Frances Ha » (2012) et « Mistress America » (2015) – deux œuvres co-écrites par Gerwig. Elle est dorénavant devenue elle-même réalisatrice à succès, à l’origine notamment de « Lady Bird », très applaudi, et de l’adaptation à venir (et, paraît-il, spectaculaire) de « Little Women ».
Entre les deux films de Gerwig, Baumbach a également réalisé « While We’re Young », une fois encore avec Stiller, histoire portant sur un couple de New York issu de la génération X qui commence à ressentir le temps qui passe. Il y a eu aussi d’autres projets : il a co-écrit le film d’animation « Madagascar 3 », hilarant, et a co-réalisé un documentaire consacré au metteur en scène Brian De Palma.
Tout ce qu’il a pu toucher depuis « Les Berkman se séparent » a été un moment fort de l’actualité du cinéma. Mais avec « Meyerowitz Stories » et, en particulier, avec « Marriage Story », le voilà catapulté dans le premier cercle des scénaristes-réalisateurs américains qui sont au firmament aujourd’hui.

Le paysage cinématographique subit actuellement des transformations majeures.
Les personnages complexes et les scénarios riches et souvent amusants abondent – mais à la télévision. Ces histoires traînent sur plusieurs saisons et, souvent, s’essoufflent. Pour les films, on a le choix entre les œuvres de super-héros (et elles ont toutes leur place) ou les films de guerre. Les comédies dramatiques sous forme de long-métrage sont de plus en plus rares.
« Meyerowitz » tout comme « Marriage Story » ont été financés par Netflix, qui est devenu presque le seul endroit où trouver des films à budget moyen, intelligents, drôle et tristes pour un public mature. Ces deux œuvres (ainsi que de nombreuses autres qu’il affiche sur son CV) sont actuellement disponibles en streaming. Et on espère qu’il y en aura encore bientôt d’autres.
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