Bâillonnés ! La police et la justice restreignent-ils les médias ?
Examinons l’outil controversé et commun de bâillonner la presse qui a été particulièrement surveillée après le triple meurtre qui a enflammé la région
Dimanche dernier, avant le début de l’Opération Bordure protectrice, on a déclaré à des journalistes israéliens que la police tiendrait une conférence de presse à 17 heures. Le sujet : les conséquences dramatiques du meurtre de Mohammed Abu Khdeir. Le meurtre, dans le sillage du triple meurtre des adolescents israéliens, a entraîné des émeutes à Jérusalem et dans les villes arabes à travers le pays.
Pourtant, malgré les déclarations de la famille Khdeir que les meurtriers étaient juifs, la police et le Shin Bet sont restés silencieux. L’affaire était couverte par des directives de censure. Aucuns détails liés à l’enquête ne pouvaient être publiés.
Dimanche à 16h23, le Shin Bet a envoyé un mail aux journalistes. Finalement, il semblait que des détails de cette sombre, mais pas si complexe (les meurtriers et la voiture ont été filmés), affaire seraient révélés.
Au lieu de cela, on pouvait lire sur l’email : « Dans le sillage des activités de renseignement menées, la police israélienne et l’ISA ont arrêté le 16 juin 2014 Hussein Youssef Hussein Khalifa, d’Iblin en Galilée, pour son implication présumée dans le meurtre le 1er mai 2014 de Shelly Dadon dans la zone industrielle Migdal Haemek ».
En d’autres termes, une autre directive de censure était levée par la justice, mais elle était liée au meurtre d’une femme juive par un homme arabe, et cela malgré la reconnaissance même du Shin Bet que les « motivations [de Khalifa] n’étaient pas encore totalement claires ».
Une heure plus tard, le Shin Bet a envoyé un autre e-mail : plusieurs suspects juifs ont été arrêtés pour le meurtre de Mohammed Abu Khdeir : « Tous les autres détails concernant l’enquête, exprimait clairement le message, sont sous un directive de censure judiciaire ».
Aucune raison pour la directive n’a été fournie : la conférence de presse a été annulée.
Mais l’histoire est loin d’être finie. Depuis l’enlèvement des trois adolescents, Eyal Yifrach, Naftali Frankel et Gil-ad Shaar, la police et le Shin Bet avait demandé, et obtenu, une directive de censure sur toutes les questions liées à l’enquête.
Cela a entraîné une grande différence entre ce que certains journalistes et les officiers de sécurité savaient (que les adolescents avaient probablement été rapidement assassinés) et ce que l’on disait au grand public (à savoir que les forces militaires opéraient selon l’hypothèse que les adolescents étaient encore en vie).
La délivrance de routine de directives de censure, un contrôle de la presse légal afin d’aider le travail de la police, a été très minutieusement observée récemment. Cette pratique attire la critique des juristes et l’éloge de la police, qui continue de soutenir que cette méthode est essentielle pour enquêter convenablement sur un crime.
Le premier problème, explique le Dr Yuval Karniel, maître de conférence à l’Ecole de Communication IDC Herzliya et expert sur les média et la loi, est que les directives de censure sont demandées à la cour sans la présence d’autres parties. Ce n’est qu’après coup que les journalistes peuvent protester. « C’est une des raisons pour lesquelles des directives sont inutiles », explique-t-il.
Le fait que les demandes de la police et du Shin Bet soient si régulièrement acceptées par la cour, ajoute-t-il, conduit les autorités à parfois ouvrir ou à fermer le robinet de l’information, pas seulement en fonction des impératifs de la situation, mais aussi, peut-être, « dans une sorte de jeu médiatique ».
Les directives de censure, explique-t-il, sont parfois utilisées comme « un outil politique entre les mains des autorités et du gouvernement, permettant une communication pratique [de l’information] ».
Moshe Negbi, analyste juridique pour la Radio Israël et maître de conférence au département de Communication et de Journalisme de l’Université Hébraïque, explique qu’il ne considère pas cet outil comme étant totalement inapproprié. « Parfois, c’est justifié, mais le doigt appuie trop facilement sur la détente ».
Un exemple frappant, explique-t-il, concerne la récente opération en Cisjordanie, lancée après l’enlèvement. Si la directive de censure a été délivrée sur tous les aspects de l’affaire pour aider les agences de sécurité à retrouver les traces des suspects et de adolescents alors disparus, c’était pleinement justifié.
Si, au contraire, les autorités de sécurité ont demandé une directive de censure parce qu’ils ne voulaient pas également que le public ne sache que les troupes cherchaient les corps, afin de s’assurer ainsi du soutien total du public pour la seconde partie de la mission : envoyer 10 brigades en Cisjordanie pour arrêter des centaines de membres du Hamas et démanteler l’infrastructure du Hamas en Cisjordanie, « alors c’était totalement illégitime ».
Le porte-parole de la police Mickey Rosenfeld a présenté la directive de censure comme un outil crucial pour résoudre des crimes. Quand tout est sous contrôle, explique-t-il, lorsqu’aucune information ne circule, « nos unités peuvent travailler sur le terrain. Si l’information sort, tous les suspects vont disparaître ».
Negbi qui aime beaucoup la célèbre réplique d’un ancien juge de la Cour Suprême, Louis Brandeis, au sujet des rayons du soleil comme étant « le meilleur des désinfectants, et la lumière électrique le policier le plus efficace », a mis en évidence l’ironie au cœur du processus qui autorise les directives de censure de manière routinière.
Les tribunaux, qui ont sévèrement limité le pouvoir de l’autorité de censure militaire dans une décision de 1987, se sont aujourd’hui octroyés la possibilité de jouer le rôle fondamental d’interdire la circulation de l’information.
« Le système judiciaire s’autorise lui-même à servir comme une sorte de censure militaire alternative, ce qui est absurde après qu’ils aient eux-mêmes réduit la portée de la censure militaire ».
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