Campagne électorale dans les synagogues : Yamina prêche la bonne parole
Les candidats du parti de droite ciblent des dizaines de milliers de fidèles dans 21 villes du pays dans le cadre d'une partie "très importante" de sa campagne
Raoul Wootliff est le correspondant parlementaire du Times of Israël
Ce n’est qu’en consultant le courriel de ma communauté pour connaître l’heure exacte du Shabbat, quelques minutes avant le début du jour de repos, que j’ai appris que l’ancienne ministre de la Justice et députée de Yamina, Ayelet Shaked, s’exprimera dans ma synagogue un vendredi soir au début du mois.
« Ayelet Shaked passera le Shabbat à Modiin », pouvait-on lire dans le prospectus de Yamina joint à l’e-mail, détaillant les neuf apparitions que Shaked devait faire ce soir-là et samedi, dont six dans des synagogues de la ville. La mienne était la première.
Si je l’avais su plus tôt, j’aurais peut-être demandé à l’avance au rabbin ou au président de la synagogue pourquoi Shaked était autorisée à venir faire une escale de campagne entre les prières du vendredi après-midi et du soir, ce qui constitue un changement par rapport à notre pratique habituelle de ne pas faire de pause entre les deux.
En revanche – peut-être contrarié par le fait que mon activité professionnelle me poursuive jusqu’à mon lieu de culte le jour du repos juif – j’ai posé la question à voix haute à toute la communauté (ou du moins à ceux qui m’entouraient et qui m’entendaient), alors que la députée, principale personnalité de Yamina, entrait pour son discours. « Pourquoi faisons-nous de la politique à la synagogue ? », ai-je demandé.
Cette interruption a été accueillie par plusieurs chuchotements et quelques marmonnements. Un des fidèles a répondu : « Ce n’est pas de la politique ».
Shaked ne m’a apparemment pas entendu, ni lui, et s’est immédiatement lancée dans un discours électoral purement politique sur les raisons pour lesquelles la communauté sioniste religieuse devait soutenir Yamina lors des prochaines élections, pourquoi seul un Yamina fort garantirait un gouvernement de droite dirigé par Benjamin Netanyahu, et pourquoi le leader de Kakhol lavan Benny Gantz n’était pas apte à être Premier ministre.
Shaked et son partenaire politique de longue date, le président de Yamina, Naftali Bennett, ont quitté le parti sioniste religieux HaBayit HaYehudi en décembre 2018 pour former le parti HaYamin HaHadash, dans le but d’attirer les électeurs sionistes religieux relativement traditionalistes. Les deux partenaires comptaient détourner des voix du Likud et de l’Union des partis de droite – une faction comprenant le parti HaBayit HaYehudi, l’Union nationale et le parti d’extrême droite Otzma Yehudit – mais la manœuvre a échoué : HaYamin HaHadash n’a pas atteint le seuil d’éligibilité lors des élections d’avril.
Avant le vote de septembre, l’alliance Yamina s’est formée, composée de HaYamin HaHadash, HaBayit HaYehudi et de l’Union nationale, et a obtenu sept sièges lors du vote national. Pour le scrutin du 2 mars, le troisième en moins d’un an, Shaked et Bennett espéraient se présenter sur une liste distincte de celle de HaBayit HaYehudi et de l’Union nationale, mais ils ont fini par signer un accord pour poursuivre leur partenariat en vue du nouveau tour de scrutin.
Les apparitions de Shaked pendant le Shabbat, je l’ai appris plus tard, ont été organisées par la branche locale de Yamina à Modiin, et ont fait écho aux apparitions des députés et des candidats du parti dans six autres villes du pays cette semaine-là (Givat Shmuel, Rosh HaAyin, Beit Shemesh, Maale Adumim, Lod et Acre). Au total, m’a dit un porte-parole du parti Yamina, les candidats prévoyaient de se rendre dans les synagogues de 21 villes (les villes ci-dessus, plus Jérusalem, Kyriat Shmuel, Petah Tikva, Ashkelon, Gush Etzion, Tzfat, Beit El, Kyriat Ata, Netanya, Rehovot, Dimona, Tel-Aviv, Efrat et Eli) au cours des quatre shabbats précédant l’élection.
« Le but est de couvrir tout le pays », a déclaré Moshe Basus, porte-parole de Yamina, admettant que les candidats du parti essayaient spécifiquement « de se rendre dans le plus grand nombre de synagogues possible ». Il a estimé leur nombre à au moins 30 par Shabbat, les candidats s’adressant à plus de 1 000 personnes chacun pendant les 25 heures – un total incroyable de plus de 20 000 personnes.
« L’objectif est d’essayer d’entrer en contact avec le public d’une manière inédite. Le travail sur le terrain est quelque chose qui a été ignoré lors des campagnes précédentes, et nous nous y attelons maintenant avec tout ce que nous avons », a expliqué M. Basus, qui a qualifié l’effort pour toucher les synagogues de « partie très importante » de toute la campagne électorale.
« L’une des leçons que nous avons tirées [des campagnes électorales précédentes] est que le terrain est un outil extrêmement important qu’il faut savoir utiliser correctement, et cet exercice de visite des synagogues le jour du Shabbat semble être très utile », a-t-il déclaré.
Mais cette approche n’est pas unilatérale, selon le parti, les candidats pouvant tirer parti de chaque communauté pour apprendre ce qui est important pour eux et affiner le message de la campagne.
« Pour nous, c’est aussi un outil pour entendre le public, pour comprendre où il en est, ce qui est important pour les gens. C’est aussi une sorte de groupe de discussion quand vous venez dans une synagogue et que vous entendez ce que le public a à dire », a indiqué M. Basus, comparant les rencontres au phénomène de « Shabatarbut », des événements culturels qui se tiennent le samedi dans tout Israël et au cours desquels les responsables politiques s’adressent à des publics non religieux.
Interrogé sur la pertinence de cibler les synagogues, le porte-parole de Yamina a répondu que la synagogue « n’est pas seulement un lieu de prière, c’est un lieu de culture, un point de rencontre, un lieu de discussion ».
« De plus, nous ne sommes pas les seuls à le faire [dans les communautés sionistes religieuses]. Nous le faisons sans doute le plus, mais nous ne sommes pas les seuls », a-t-il assuré.
Le Likud et Kakhol lavan, les deux principaux partis visant à mordre dans le vote sioniste religieux, ont tous deux nié qu’ils menaient une opération comparable à celle de Yamina.
« On n’envoie pas les députés faire campagne dans les shule pendant le Shabbat. Il est possible que certains députés soient invités en privé, ce qui est leur prérogative », a fait savoir un porte-parole du Likud.
Kakhol lavan a également déclaré que certains candidats avaient été spécifiquement invités à s’exprimer dans des communautés accueillant différents responsables politiques, mais qu’il n’y avait pas de volonté particulière de se rendre dans les synagogues.
Les candidats des partis ultra-orthodoxes Shas et Yahadout HaTorah interviennent régulièrement dans les synagogues pendant le Shabbat, ont reconnu les deux formations, mais ont déclaré que cette pratique n’était pas exclusive à la saison électorale, car elle fait partie de l’action générale de sensibilisation et de l’engagement communautaire.
Basus a souligné que chaque intervention des Yamina se faisait « de manière respectueuse, toujours en coordination avec la communauté ».
« Personne n’impose rien à personne », a-t-il soutenu.
Certains de mes camarades, apparemment aussi mauvais pour vérifier leurs e-mails avant le Shabbat, n’étaient pas d’accord. « Personne ne m’a demandé. Je suis venu ici pour prier, pas pour entendre un message politique », m’a dit l’un d’entre eux.
Après le bref discours de Shaked, qui n’a pas duré plus de cinq minutes, debout juste à côté du podium devant l’arche, elle a donné la parole à la synagogue pour des questions, répondant brièvement à quelques petites interrogations sur les calculs de la coalition et la possibilité (peu probable) de débats entre les candidats.
Et puis elle est partie, vers la synagogue suivante et sa prochaine étape de campagne.