Comment la disparition des éléphants a poussé les premiers humains à innover
Une nouvelle étude de l'université de Tel Aviv propose de faire le lien entre la disparition des grosses proies et les avancées dans la chasse et la technologie

Cet article a été publié le 7 septembre 2023 en anglais.
Un nouvel article écrit par des chercheurs de l’université de Tel Aviv propose de faire le lien entre la disparition des grosses proies et les avancées réalisées par l’être humain dans la chasse et dans la technologie.
Lorsque les éléphants avaient commencé à disparaître du Moyen-Orient, il y a environ 400 000 ans, cela avait été une crise majeure – et pas seulement pour les pachydermes d’antan. Les humains, dans toute la région – y compris sur le territoire qui est aujourd’hui celui d’Israël – dépendaient des éléphants au niveau alimentaire. Les premiers êtres humains s’étaient finalement adaptés, apprenant comment chasser des proies plus petites, des bisons, des cerfs ou des gazelles jusqu’à ce que ces animaux disparaissent, eux aussi, du paysage ou que leur population devienne trop faible pour être chassée. Ce qui avait, une fois encore, poussé les humains à s’adapter et à rechercher des proies encore plus petites, comme des lapins et des oiseaux – ce qui devait les amener, à terme, à domestiquer les plantes et les animaux pendant la révolution agricole.
Une nouvelle étude parue dans le journal à comité de lecture Quartenary et effectuée par le docteur Miki Ben-Dor et par le professeur Ran Barkai, tous deux chercheurs à l’université de Tel Aviv, suggère que les outils de chasse à disposition des êtres humains se sont perfectionnés alors que ces derniers se trouvaient dans l’obligation de trouver de nouvelles ressources alimentaires – des outils qui leur permettaient de chasser des proies plus petites et qui se déplaçaient plus vite.
« La prévalence des proies animales et leur disponibilité ont eu une profonde influence sur la culture et la biologie humaines », explique Barkai, professeur d’archéologie préhistorique à l’université de Tel Aviv.
Barkai et d’autres chercheurs avaient publié, dans le passé, des articles s’intéressant à la manière dont la taille des proies animales s’était amenuisée avec le temps – passant des méga-herbivores, comme les éléphants, aux petites proies telles que les lapins ou le gibier d’eau. Mais dans cet article récent, les chercheurs font correspondre le déclin de la taille des animaux et l’amélioration des outils utilisés pour la chasse, depuis les lances en bois aux lances à pointe de pierre, en passant par les arcs et par les chiens domestiques. Au fur et à mesure où les proies sont devenues plus petites et plus rusées, les instruments sont devenus plus perfectionnés, plus précis, plus mortels.
« Jusqu’à présent, il n’y avait aucune explication sur la raison expliquant pourquoi ces peuples avaient changé leur technologie de la pierre au fil du million et demi d’années d’évolution humaine au Levant », dit Barkai. « Dans cet article récent, nous avons rassemblé ces deux séries de données – disponibilité des proies animales, chronologie de la création des outils en pierre – ce qui nous a laissé penser qu’il y avait un lien, une relation entre les deux ».
La Terre des éléphants
Les éléphants qui vivaient et affolaient le Moyen-Orient – qui ont disparu de la région il y a 400 000 ans – appartenaient à l’espèce des « éléphants à défenses droites », les mâles de l’espèce pouvant peser jusqu’à 13 tonnes. En comparaison, l’éléphant de brousse africain pèse en moyenne chez les mâles environ 7 tonnes. « Ils étaient énormes, plus gros encore que les mammouths en Europe », déclare Barkai.
Les humains tuaient peu d’éléphants – mais quand ils le faisaient, l’exploit entraînait des célébrations dans la mesure où cela signifiait que le pachyderme pourrait nourrir la communauté pendant des mois. Les sites archéologiques, au Moyen-Orient et dans le monde, ont révélé des rituels et des œuvres d’art relatives à la chasse aux éléphants.
Les premiers humains mangeaient la viande, ou ils la conservaient dans l’eau froide, dans les ruisseaux ou dans les rivières, ce qui permettait de la préserver pendant des mois. Ils conservaient la moelle qui se trouve à l’intérieur des ossements et ils la mangeaient des semaines après, brisant l’os pour accéder à la précieuse nourriture.

Barkai compare cette pratique aux communautés indigènes des temps modernes qui, dans l’Arctique, tuent une baleine une fois par an et qui ont des traditions culturelles profondes autour de cette chasse rituelle – avec un animal dont la viande pourra nourrir la communauté pendant de nombreux mois et qui aidera cette dernière à survivre à un hiver glacial.
La chasse aux éléphants et autres mégaherbivores – rhinocéros, hippopotames – exigeait une technique de chasse particulière, qui consistait habituellement à tendre un piège à l’animal en l’amenant, par exemple, au bord d’un trou profond, où il allait, après avoir chuté, mourir de faim. Les êtres humains pouvaient aussi le frapper à mort, une fois piégé, à l’aide de lances en bois ou de bâtons.
Dingues de graisse
Pourquoi les éléphants étaient-ils une nourriture si prisée, si précieuse ? La réponse à cette question est simple : la graisse. Les animaux plus gros fournissent plus de gras et les êtres humains antiques chassaient, en conséquence, les animaux les plus grands qu’ils trouvaient. La focalisation sur la quantité de graisse et non sur la quantité de viande a été un tournant pour définir l’hypothèse dorénavant avancée par les deux chercheurs, indique Barkai.
« Quand nous avons réalisé que les éléphants fournissaient une quantité de graisse extraordinaire aux humains, nous avons aussi réalisé que la graisse fournit le double de l’énergie de la viande sans aucun prix à payer pour le transit intestinal », note-t-il. La majorité des recherches, jusqu’à présent, s’étaient concentrées sur la viande pour mieux comprendre l’alimentation des premiers êtres humains et les bénéfices qu’ils y trouvaient, précise Barkai. « Quand nous nous sommes penchés sur les recherches académiques, nous avons constaté que les sociétés indigènes raffolaient du gras », déclare-t-il.

Il est difficile de dire pourquoi les éléphants avaient disparu, il y a environ 400 000 ans – même si c’est probablement le résultat d’un changement climatique combiné à la chasse. Cette dernière avait pu affaiblir les quelques troupeaux qui restaient alors, les éléphants ne pouvant survivre aux changements écologiques, suggère Barkai.
La chasse à l’épuisement : Ne jamais abandonner
Le type très particulier de chasse appliqué dans la poursuite des méga-herbivores ne devait pas se révéler être très efficace pour les animaux plus petits qui aiment courir – bisons, zèbres, gazelles – qui pouvaient échapper à un piège. Pour parvenir à leurs fins, les premiers êtres humains devaient opter pour une technique, « la chasse à l’épuisement », qui consiste à éreinter la proie, tout en utilisant des outils – comme des lances à pointe de pierre – qui peuvent être jetés à distance de l’animal, pour le blesser et pour qu’il s’effondre plus rapidement. Finalement, les êtres humains devaient chasser des proies encore plus petites et qui couraient encore plus vite, développant pour cela des arcs et des flèches.
« Nous savons que toutes ces innovations ont commencé à toute petite échelle alors que la technologie précédente était encore utilisée », dit Barkai.
Barkai a commencé un travail de fouilles archéologiques dans un secteur appelé la grotte de Qesem, à environ 12 kilomètres à l’Est de Tel Aviv – un secteur qui avait commencé à être habité il y a 400 000 ans et qui avait été déserté il y a 200 000 ans. La grotte offre un aperçu de l’implantation des êtres humains « à un carrefour très important de l’évolution culturelle et biologique humaine », précise-t-il.

« La grotte de Qesem nous permet de découvrir des changements significatifs survenus à la fois dans la biologie humaine, dans l’anatomie et dans le style de vie culturelle », explique-t-il. « Nous nous sommes demandé pourquoi ces changements avaient eu lieu au Levant il y a 400 000 ans, alors que des populations qui vivaient au Levant un million d’années avant cela avaient un mode de vie très différent. Nous en sommes arrivés à la conclusion que c’était la disparition des éléphants qui avait amené le changement ».
Soudainement, les êtres humains avaient dû trouver un nouveau moyen d’obtenir de la nourriture et tout avait changé – que ce soit la manière dont leur corps réagissait à la nourriture jusqu’à la façon dont ils organisaient leur société.
D’autres archéologues ont étudié les outils retrouvés dans la grotte de Qesem pour tenter de comprendre comment les humains s’étaient adaptés à leur régime alimentaire changeant, apprenant notamment à forger leurs outils de chasse sur le feu, une technologie nouvelle pour les hommes il y a environ 300 000 ans.
Apprendre à faire avec
Barkai tire deux leçons de la disparition des éléphants et du perfectionnement des outils de chasse.

« Le point négatif, c’est que le coût a été important pour l’existence des êtres humains sur la planète et que cette évolution peut avoir contribué à l’extinction d’espèces, ce qui peut avoir été le cas avec les éléphants de l’Israël préhistorique », dit-il.
« Mais il y a un point positif, c’est qu’on peut voir que les êtres humains sont innovants et qu’ils peuvent s’adapter à tous les changements », note-t-il. « Quand les ressources alimentaires ont décliné, ces premiers hommes ont eu de nouvelles idées et ils ont utilisé leur expérience de vie pour trouver de nouveaux moyens de survivre. Nous pensons que lorsqu’il n’y a plus eu d’animaux dont la quantité de graisse était élevée, ils ont domestiqué les animaux. Nous partons de l’hypothèse que la transition vers l’agriculture a suivi le déclin des animaux qui pouvaient être potentiellement des proies ».
Aujourd’hui, avec la percée unique des technologies alimentaires, les proies continuent à devenir de plus en plus petites. Les scientifiques créent des sources de protéine, ces proies des temps modernes, à partir de cellules cultivées en laboratoire. Barkai, de son côté, dit avoir la conviction que le postulat établissant un lien entre la taille d’une proie et l’innovation dans la chasse pratiquée par les premiers êtres humains est une leçon importante à tirer pour la société moderne.
« L’archéologie peut nous enseigner beaucoup de choses sur les gens d’aujourd’hui », s’exclame-t-il. « L’archéologie offre une sorte de perspective sur ce qui s’est passé dans l’évolution humaine, sur les erreurs qui ont été commises – où et quand – mais aussi sur les réussites de l’Humanité ».
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