Comment la guerre entre Israël et le Hamas va s’inviter sur les tables du Seder
Pour la fête, qui commence lundi soir, de nouveaux symboles - chaises vides, miroirs et grenades - feront leur apparition et d'anciens rituels feront leur retour
JTA — Quel que soit l’endroit où ils sont installés, lorsque les Juifs lisent la Haggadah à la table du Seder, ils tombent sur ce passage qui leur dit de se comporter comme s’ils avaient eux-mêmes quitté l’Égypte. Cette année, certains d’entre eux inviteront également à leur table un symbole de résilience des femmes traumatisées par la captivité.
Pour donner toute leur importance aux viols et agressions sexuelles subies par les femmes israéliennes de la part des terroristes du Hamas le 7 octobre – lorsque près de 1 200 personnes en Israël ont été brutalement assassinées et 253 enlevées dans la bande de Gaza – la Rabbanit Leah Sarna invite les femmes à se connecter aux femmes israélites d’autrefois en installant un miroir sur leur table.
Selon la tradition juive, les femmes utilisaient des miroirs pour se réapproprier leur corps et se remettre d’un traumatisme sexuel – une façon, écrit Sarna dans la publication juive Lehrhaus, de « faire des bébés juifs coûte que coûte » et revendiquer leur pleine et entière autonomie.
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« Rappelez-vous les souffrances et la résistance des femmes juives d’hier et d’aujourd’hui. Espérons et prions pour que la guérison soit accordée à nos frères – et en particulier à nos sœurs – à Gaza qui sont torturés en ce moment », a écrit Sarna.
Le miroir évoqué par Sarna est l’une des nombreuses coutumes mises en avant par les rabbins, éducateurs et organisations juives au moment où les Juifs cherchent à faire du rituel du Seder une occasion de faire face aux atrocités du 7 octobre, à la guerre entre Israël et le Hamas et à la situation des 133 otages encore détenus à Gaza.
La fête commence lundi soir, alors que la guerre a dépassé le cap des six mois et que l’Iran a attaqué le pays d’une manière sans précédent. Sans perspective à court terme pour la libération des otages. En réaction, nouveaux rituels ou rituels plus anciens vont faire leur apparition – ou leur retour – autour du Seder.
« Ce qui est utile et tellement beau dans le rituel du Seder, c’est l’illustration sans cesse renouvelée de l’oppression juive », explique à la Jewish Telegraphic Agency Sarna, rabbin et éducatrice à l’Institut Drisha pour l’éducation juive de New York. L’oppression et la résistance des femmes juives, estime-t-elle, « doivent trouver leur place dans cette histoire ».
Elle ajoute : « Cela fait partie de notre histoire maintenant. Cela fait même partie de notre histoire depuis l’Égypte. Je pense qu’il nous faut l’écrire plus clairement que jamais. »
Sarna n’est pas la seule à placer les femmes au centre de son nouveau rituel. Cette année, Jewish Women International encourage les familles à ajouter des fleurs à leur Seder, « en solidarité avec les femmes d’Israël – pour rendre hommage à ceux que nous avons perdus aux mains du Hamas et d’autres terroristes, donner de l’espoir aux rescapés et de la force à ceux qui sont toujours retenus en otage ».
Un site Internet juif suggère d’ajouter des grenades à ce Seder « en symbole de soutien aux femmes israéliennes » et propose un supplément gratuit de deux pages à la Haggadah sur le sujet. La pratique consistant à ajouter de nouveaux éléments au Seder vient de la volonté d’appeler l’attention sur des questions allant du féminisme aux pratiques de travail injustes. Certains vont revisiter des rituels conçus pour les crises des dernières décennies. La semaine prochaine, nombreuses seront les tables de Seder à laisser une place vide pour évoquer le sort des otages – geste fait l’an dernier au nom du journaliste du Wall Street Journal Evan Gershkovich, emprisonné, et, avant cela, pour la communauté juive soviétique. Certaines familles placeront un ruban jaune sur leur table, symbole de la libération des otages, d’autres porteront du jaune sur leur tenue.
D’autres, encore, penseront aux otages en retirant des choses de leur table de Seder. Dans un billet pour la JTA, le rabbin Elie Kaufner suggère d’utiliser moins de matsa lors des seders, cette année, pour dire l’absence.
« Alors que 130 au moins de nos compatriotes sont littéralement en captivité, je pense que la rareté des matzot à table, alors que nous sommes habitués à en voir beaucoup, me semble pertinent », écrit Kaufner.
Ces nouveaux rituels ne font pas pour autant oublier les ajouts, plus anciens déjà, au texte de la Haggadah, destinés à faire entrer en résonance les thèmes de la fête et les réalités du temps présent. Cette année, certains de ces suppléments à la Haggadah auront vocation à amener les familles à parler du 7 octobre et de ses conséquences lors de leurs Seders – de la réinvention des « Quatre Questions » aux réflexions sur d’autres textes centraux de Pessah comme « Dayenou » ou le fait qu’à chaque génération, un ennemi tentera de détruire le peuple juif.
Le rabbin David Lau, grand rabbin ashkénaze d’Israël, a partagé une prière de Pessah pour la libération des otages, destinée à être récitée avant ce passage. La prière demande à Dieu de « bénir et protéger nos frères et sœurs captifs », de les ramener « en paix dans leur famille et leur foyer » et de « planter des graines de fraternité, de paix et d’amitié dans le cœur de tous ».
D’autres que lui recommandent de donner un nouveau sens aux coutumes de Pessah.
Dans un billet de blog pour le site Ritualwell, la rabbin Judith Edelman-Green suggère d’inviter les participants au Seder à écrire leur propre vision des Dix Plaies.
Pour le sang, écrit Edelman-Green, on pourrait penser aux « jeunes femmes et hommes brutalement assassinés au Festival Nova », le 7 octobre. Pour les ténèbres, « Où est l’espoir ? Où est l’œuvre sainte de la paix entre les peuples ? Où est le gouvernement supposé prendre soin de ses citoyens ? »
Edelman-Green propose également une nouvelle façon de penser aux quatre enfants dont il est question lors du Seder. En lieu et place des caractéristiques traditionnelles – sagesse, méchanceté, simplicité et timidité – elle en suggère d’autres, comme l’enfant courageux, symbole de ceux qui livrent la guerre, ou encore « la fille incapable d’appeler à l’aide », symbole des victimes des abus sexuels du Hamas.
L’iCenter, ONG à but non lucratif spécialisée dans l’éducation israélienne, propose un guide en ligne de 12 moments pour un Seder adapté aux circonstances de cette année. « Des pensées d’une mère et de sa fille qui viennent de rentrer chez elles, dans le kibboutz Saad, aux oeuvres d’art en hommage aux otages », peut-on lire sur son site Internet.
Le texte de la Haggadah souligne que l’histoire juive se répète, ce qui, selon le rabbin Danielle Upbin, rend superflu tout nouveau rituel.
« En ce qui concerne la crise actuelle en Israël, aucun élément supplémentaire n’est nécessaire », a écrit Upbin dans la presse juive de Tampa Bay. « Le traditionnel Seder de Pessah en dit déjà suffisamment long. La Haggadah elle-même est une dissertation riche sur la dichotomie entre misère et résilience, obscurité et lumière, captivité et liberté. La Haggadah nous invite à lire la crise que nous vivons dans ses pages. »
Sarna convient sans peine que le Seder invite naturellement à évoquer des sujets difficiles. Une amie lui a récemment parlé d’une réunion de famille au cours de laquelle deux sœurs se sont querellées au sujet d’Israël.
« Et à un moment, elles se sont dit : ‘Oh, oublie ce que je viens de dire. Gardons cela pour le Seder’ », s’amuse Sarna.
« À travers l’histoire des quatre fils et d’autres récits, le Seder parle justement de ces personnes qui prennent place autour du Seder, se querellent parfois et parlent de choses sous des angles toujours différents, mais qui reviennent année après année autour de la même table », ajoute Sarna. « C’est le mieux que nous puissions espérer pour cette année. »
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