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Comment le hassidisme a aidé un homme orthodoxe à devenir une femme

Un nouveau documentaire projeté en avant-première il y a quelques jours à Haïfa raconte comment Yiscah Smith, ancien fidèle du mouvement Habad, a fait face à sa dysphorie de genre

Yiscah Smith (Autorisation : 2team video productions)
Yiscah Smith (Autorisation : 2team video productions)

En 1991, quand Yiscah Smith a quitté Israël, il était un homme hassidique. Très exactement 20 ans plus tard, c’est en femme juive pratiquante qu’elle revient en Terre sainte. Ses changements extérieurs – radicaux – se reflètent dans sa satisfaction spirituelle retrouvée, explique-t-elle au Times of Israel avant l’avant-première du documentaire consacré à son parcours, présenté lors du festival du film de Haïfa le 17 octobre dernier.

La transition de Yiscah Smith, passé de homme à femme, et d’une vie de solitude et de trouble à une existence authentique et satisfaisante, est racontée dans le film réalisé par Rachel Rusinek et Eyal Ben Moshe intitulé « Je ne suis pas née erreur ».

Ce documentaire sur Smith, éducatrice juive estimée par ses pairs et mentor spirituel, sera également diffusé sur la chaîne israélienne Yes Doco à la fin de l’année et sera à l’affiche du festival du film juif de New York, qui aura lieu du 15 au 28 janvier 2020.

Quand le Times of Israel s’est récemment entretenu avec cette femme chaleureuse et aux allures de grand-mère, il a été difficile de l’imaginer jeune – lorsqu’elle était un érudit barbu issu du mouvement ‘Habad.

Ce père de six enfants luttait alors en permanence contre les effets pernicieux de la dysphorie de genre, ce qui l’a obligé à quitter l’Etat juif et sa famille. Il a également interrompu sa pratique de la religion juive pendant plus d’une décennie.

« J’ai abandonné la pratique de la Torah quand j’ai quitté Israël. J’avais le sentiment que je n’avais pas ma place dans ce monde pratiquant parce que j’avais ces démons en moi qui bouleversaient tout. Je pensais alors être le seul à souffrir de ce type de conflit intérieur. Je ne savais même pas qu’il portait un nom », explique celle qui est née aux Etats-Unis au Times of Israel lors d’un entretien accordé à son domicile, un petit bâtiment en pierres doté d’un vaste jardin à l’entrée et situé dans le quartier Nachlaot de Jérusalem.

« C’était simplement ma réalité, celle d’une séparation d’avec les autres, d’une vie dans la solitude », ajoute-t-elle.

Yiscah Smith (Yaakov), jeune spécialiste de la Torah et éducateur dans la Vieille Ville de Jérusalem, à la fin des années 1980 – début des années 1990. (Autorisation).

Alors qu’il travaillait et vivait dans la communauté ‘Habad au début des années 1990, dans le quartier juif de la Vieille Ville de Jérusalem, Yiscah Smith découvre son homosexualité.

L’homme qu’elle était à ce moment-là fut alors mis au ban de cette société et privé d’emploi continu.

Il n’avait pas pu parler ni s’exprimer sur ce qu’il ressentait et n’avait pas réalisé qu’il était transgenre – et non pas gay.

« Je ne faisais pas confiance aux rabbins. À cause de ce que j’avais vécu avec eux, je ne pouvais vraiment pas m’ouvrir à eux. Et autant j’avais le sentiment d’être proche de ma mère, autant il m’était impossible de lui parler de tout ça. J’avais alors la conviction que si je disais ce que je ressentais à qui que ce soit, on me croirait atteint d’une pathologie mentale et on me ferait interner », explique Yiscah Smith.

Même quand elle était enfant, celle qui est aujourd’hui âgée de 68 ans ne se sentait pas à l’aise dans son corps de garçon.

« Je m’allongeais dans mon lit quand j’avais cinq, sept, 10 ans, en me disant : ‘Qu’est-ce qui ne va pas chez moi ? Je n’ai de lien avec personne.’ Je savais que je n’appartenais pas au cercle des garçons. Je voulais toujours être avec les filles, mais je savais que c’était impossible – pas dans le monde en rose et bleu des années 1950 », se souvient-elle.

Il lui aura fallu 50 ans pour qu’elle affronte sa dysphorie de genre et s’embarque dans un processus de transition. Elle s’est engagée petit à petit dans sa transition tout au long des deux décennies passées aux Etats-Unis, avant son retour au sein de l’Etat juif.

Elle évoque le processus comme étant un tikkun ruchani – correction spirituelle ou réparation. « La transition de genre a été le misgeret [cadre], et le tikkun ruchani a été le tochen [contenu], explique-t-elle dans son hébreu marqué d’un accent new-yorkais.

Elle s’inspire de son parcours spirituel pour aider les autres à mieux entrer en contact avec « leur être intérieur » et « la divine étincelle qui se trouve à l’intérieur de nous ». Elle le fait en enseignant le judaïsme en tant que pratique de méditation, contemplative, utilisant les textes hassidiques comme tremplin.

Elle souligne rapidement qu’elle n’est dorénavant plus liée aux mouvements ‘Habad ou hassidiques. Quand elle utilise le mot Hasidut (hassidisme), elle ne se réfère pas aux Juifs hassidiques mais plutôt à la « Torah spirituelle ».

« Ce que ça désigne, c’est la rencontre avec la présence divine qui est en chaque personne, la rencontre avec le centre spirituel qui se trouve en chacun de nous, c’est la rencontre avec cette petite voix qui se trouve à l’intérieur de soi. C’est davantage une chose profondément présente à l’intérieur de tout un chacun qu’une théologie appréhendée en tant que croyance en un Dieu extérieur », dit-elle. « Il s’agit de réellement entrer en contact, toucher cette part de nous qui est plus grande que notre ego, plus grande que notre place limitée dans le temps et dans l’espace. »

De Jeffrey à Yiscah

Yiscah Smith lorsqu’elle était un jeune homme qui s’appelait Jeffrey. (Autorisation)

Elle s’est rendue pour la toute première fois en Israël à l’âge de 20 ans, alors qu’elle était à l’université, au cours de l’été 1971. Elle était alors connue sous le nom de Jeffrey et faisait des études d’éducation et de sociologie à l’université George Washington. Inspirée par cette visite israélienne, Yiscah Smith prend alors le plus grand nombre possible de cours liés à la religion juive à son retour à la faculté. Et après avoir passé son diplôme, elle épouse une jeune Américaine rencontrée lors de son voyage en Israël.

Lors d’une nouvelle visite dans le pays en 1974, pour étudier des textes juifs préparatoires à un programme du Séminaire théologique juif à New York, Yiscah Smith commence à faire le Shabbat.

Elle trouvait son programme d’éducation juive en maîtrise trop concentré sur « l’adoration du monde universitaire et manquant de spiritualité » – ce qui l’a préparée à sa rencontre avec le mouvement ‘Habad. « Ça m’a réellement attiré. Ça parlait à mon âme », dit-elle en évoquant les premières approches de ce courant hassidique.

Lorsqu’elle obtient son diplôme au Séminaire théologique juif, elle fait déjà pleinement partie de la communauté ‘Habad de Crown Heights, à Brooklyn, où elle était connue sous le prénom de Yaacob, le nom en hébreu qui lui avait été donné lorsqu’elle était bébé.

Contrairement à ce que certains ont pu écrire sur elle, elle n’a jamais fréquenté de yeshiva à plein temps et n’a jamais été ordonnée rabbin. Elle a répondu aux besoins de sa famille en enseignant – tout en essayant d’étudier le plus possible.

En 1977, Smith et son épouse s’installent à Safed, en Israël, avec leur premier enfant. La famille repart à New York en 1979 en raison de la maladie de leur second enfant dont la prise en charge était meilleure aux Etats-Unis.

Le couple aura quatre enfants de plus aux Etats-Unis – ils vivent alors à Long Island – puis reviendront en 1985 dans l’Etat juif, s’installant dans la Vieille Ville de Jérusalem.

Là-bas, Yiscah Smith travaille alors dans le secteur de l’éducation et de la sensibilisation communautaire dans une synagogue ‘Habad.

Yiscah Smith, à droite, lorsqu’elle s’appelait Yaakov et était alors éducateur ‘Habad, parlant au Rebbe ‘Habad Menachem Mendel Schneerson. (Autorisation)

Après avoir révélé son homosexualité, divorcé de son épouse et été mis à l’écart par ses collègues ‘Habad, Smith quitte Israël en 1992. Abandonnant tout lien avec la pratique juive, elle reprend le prénom de Jeffrey et trouve un emploi dans une agence de voyages spécialisée dans le tourisme israélien.

« Je n’avais pas trouvé de place dans le monde juif et je le regrettais… J’étais impatiente de refaire le Shabbat. J’avais adoré apprendre le Hasidut et la Torah spirituelle », explique-t-elle.

En 1997, Smith déménage à San Francisco, puis à Colorado Springs quelques années plus tard. Là-bas, elle commence à travailler à Starbucks, entreprise qui « proposait non seulement des avantages incroyables, mais avait aussi une politique de diversité intégrée aux valeurs mêmes de l’entreprise ».

Ce qui fut un heureux hasard – c’est à ce moment-là que Smith décide de « passer à la vitesse supérieure » dans sa transition, entamant interventions chirurgicales et procédure de changement de nom. Alors qu’elle travaillait pour la firme, elle intègre une formation de management en tant que Jeffrey et la termine sous le prénom de Jessica (Yiscah est l’équivalent hébreu de Jessica).

Celle qui a fait sa transition à l’âge de 50 ans dit avoir eu la chance de ne pas avoir subi de menaces ou de comportements transophobes.

« Les choses se sont faites très rapidement. Les gens ont commencé à me dire ‘Madame’ au lieu de ‘Monsieur’ très vite », raconte-t-elle.

Elle quitte ensuite le Colorado pour Seattle en 2005, où elle fait l’expérience de la vie de femme dans une ville où personne ne la connaît. Elle continue à travailler pour Starbucks pendant un temps, puis revient à l’éducation juive avant de faire son retour en Israël en 2011.

Yiscah Smith à son domicile de Jérusalem, en août 2019. (Crédit : Renee Ghert-Zand/TOI)

« La première nuit à Seattle, où j’ai commencé à allumer des bougies pour Shabbat, ça a été un moment très fort. J’ai vraiment eu le sentiment que Dieu avait guidé toute ma transition parce que je l’avais faite différemment de tout le reste dans ma vie », explique-t-elle.

Et ce soir-là, pour une fois, elle fait les choses sans se presser et sans s’enfuir – en étant simplement présente dans l’instant.

« Il y a eu vraiment des changements intérieurs dans toute ma personnalité. Je suis aujourd’hui une âme très détendue, calme, aimable. Ce qui m’a pris des années. Mais je ne crois pas avoir changé. Je crois avoir été en mesure de révéler le potentiel de mon être seulement après avoir tué les démons intérieurs qui me plaçaient dans un état de survie constante », dit Smith.

Les quatre pères

Smith s’appuie sur la richesse qu’elle acquiert grâce à l’étude des vies et des écrits des rabbins qu’elle admire, tels que ceux qui figurent sur quatre photos qu’elle a placées sur une étagère de son salon : le rabbin loubavitch Menachem Mendel Schneerson ; le rabbin Abraham Isaac Kook (premier grand-rabbin ashkénaze de la Palestine sous mandat britannique en terre d’Israël), le rabbin Shlomo Carlebach (« le rabbin chantant ») et le rabbin Kalonymus Kalman Shapira (connu sous le nom de Rebbe Piaseczner, victime de la Shoah).

Les photos (de gauche à droite) du rabbin Menachem Mendel Scheerson, du rabbin Abraham Isaac Kook, du rabbin Shlomo Carlebach, et du rabbin Kalonymus Kalman Shapira dans le salon de Yiscah Smith, au mois d’août 2019. (Crédit : Renee Ghert-Zand/TOI)

Smith partage son approche spirituelle du judaïsme en enseignant à l’Institut Pardes d’études juives de Jérusalem, en publiant des articles sur son site Internet « Vie juive authentique », en encadrant des individus dans la vie réelle ou virtuellement et en s’exprimant publiquement dans le monde entier. Elle a également publié des mémoires, non traduites en français, intitulées Forty Years in the Wilderness [« Quarante années dans le monde sauvage »].

« Yiscah a une pensée très profonde et a une manière unique de rassembler la pratique méditative et son narratif personnel dans l’apprentissage de texte. Elle a éveillé en moi un intérêt profond pour le texte et m’a inspirée en termes de développement religieux personnel », note Nechama Goldman Barash, spécialiste des textes rabbiniques et de la Halakha (loi juive), qui est l’une des collègues de Smith à Pardes.

Ce sont les maîtres hassidiques qui l’ont aidée à revenir au judaïsme

« Elle n’adopte pas d’approche critique, universitaire au texte. On l’apprend à ses côtés. Elle vous permet d’entrer dans le texte en profondeur. C’est ce type d’apprentissage qui lui a permis de faire sa transition. Ce sont les maîtres hassidiques qui l’ont aidée à revenir au judaïsme », ajoute Nechama Goldman Barash.

Jason Gusdorf, étudiant de la faculté de médecine de l’université de Georgetown, âgé de 26 ans, est sorti inspiré d’un cours donné par Smith lors d’un cycle d’études récent à Pardes. Il dit avoir été frappé par l’enseignement authentique et « venu du cœur » de son enseignante.

Bouleversé par la manière dont elle est parvenue à relier elle-même à ce qu’elle était en réalité, Gusdorf a commencé à écrire de la musique il y a un an.

« Les cours de Yiscah m’ont aidé à découvrir ce qui était à l’intérieur de moi », dit-il.

D’autres perçoivent également l’attention calme et sereine de Smith.

« Yiscah est inspirée et inspirante. Elle accorde tout son cœur et tout son esprit à chaque rencontre, à chaque moment de l’existence », commente le rabbin Ami Silver, l’un des partenaires d’étude de Smith à Jérusalem.

Smith explique n’avoir jamais pensé revenir à un judaïsme non halakhique. Elle ne considère pas toutefois qu’elle fait partie d’un mouvement religieux juif et clame appartenir à un judaïsme post-dénomination.

Une femme, point final

En ce qui concerne le mouvement en faveur des droits LGBTQ, Smith explique ne s’être pas particulièrement engagée politiquement. Elle se considère comme défenseuse des droits humains et militante spirituelle, plus que tout le reste.

Même si elle a été étiquetée par certains comme la grand-mère de la communauté transgenre israélienne, Smith parle d’elle-même comme d’une femme, et non comme d’une transgenre.

« Je suis née transgenre, et pour moi, être transgenre était le problème qui me pesait. Ma transition a été la solution apportée à mon problème », explique-t-elle.

La femme transgenre américaine et juive religieuse Yiscah Smith s’entretient avec des participants de Mekudeshet sur sa recherche de la vérité. (Crédit : Jessica Steinberg/Times of Israel)

Smith n’est pas d’accord non plus en ce qui concerne le regroupement des transgenres avec les lesbiennes, les gays et les bisexuels. Elle est soutenue en cela par son amie et voisine Sarah Weil, dont la cérémonie de mariage avec une autre femme a été dirigée par Smith en 2017.

« Yiscah pense que les trans se distinguent, et je suis d’accord avec elle. L’intersectionnalité efface les expériences individuelles. LGBT, ce n’est pas un système de valeurs. Le judaïsme est le système de valeurs adopté par Yiscah. Elle s’identifie à la communauté juive et aux valeurs humaines universelles. C’est pour ça que tant de gens se retrouvent en elle et sont inspirés par elle », dit Weil.

La transition et le retour spirituel de Smith l’ont fait passer d’une vie de solitude à une existence dans laquelle elle est entourée de nombreux amis, collègues et élèves. Plus important encore, ils lui ont permis de rentrer à nouveau en contact avec certains membres de sa famille. Elle a pu se réconcilier avec sa mère décédée, son père et l’une de ses deux sœurs.

Elle ré-établit également des relations avec certains de ses enfants – aucun d’entre eux n’appartient à la communauté ultra-orthodoxe. Il est difficile, pour Smith, de revenir sur les mauvaises décisions éducatives qu’elle a pu prendre, mais elle demande aujourd’hui pardon à ses enfants.

« En ne vivant pas une existence authentique et en vivant dans la douleur, je me suis fait passer au premier plan à certains moments. Je n’ai pas été là pour mes enfants comme cela aurait été nécessaire pour eux. Je ne les ai pas véritablement entendus », dit Smith.

« Je fais encore des erreurs – mais elles ne sont plus causées par ma fuite de la vérité. Mes enfants voient dorénavant que je suis là pour eux », ajoute-t-elle.

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