Comment le journal d’une ado juive de New York en 1945 a fait le buzz sur TikTok
Charlotte Buchsbaum, qui a grandi à Brooklyn, racontait des histoires de bar-mitzvahs, de fêtes de Pessah et l'enthousiasme suscité par la victoire des États-Unis sur le Japon. Aujourd'hui, elle est suivie par des millions d'abonnés

New York Jewish Week – Un samedi du mois d’avril 1945, une adolescente juive vivant dans un quartier est de New York, Charlotte Buchsbaum, s’était lavé les cheveux avec du citron. « C’était joli », écrit-elle dans son journal intime.
Le lendemain, cette jeune fille de 15 ans, originaire de Brooklyn, s’était rendue à une bar-mitzvah au Rainbow Room, où s’était déroulée une » véritable cérémonie » qui avait été suivie d’un dîner et d’une soirée dansante.
Deux semaines plus tard, elle était à l’école lorsqu’un haut-parleur avait annoncé que « les hostilités ont cessé en Allemagne et dans toute l’Europe ».
Ces réflexions d’une lycéenne juive – des réflexions qui reflètent des événements à la fois très intimes et d’une importance déterminante sur le plan historique – ont récemment trouvé un public très contemporain et composé de plusieurs millions de personnes.
A l’origine de ce phénomène improbable, une vidéo postée par Helaina Ferraioli, responsable des réseaux sociaux pour le magasin de souvenirs que possède sa famille à Carroll Gardens, avec des images qui ont fait le buzz sur TikTok.
Ferraioli avait trouvé le journal de Buchsbaum en 2019 – elle n’en avait alors lu que quelques pages avant de le ranger sur une étagère. Toutefois, le mois dernier, à un moment où elle se remettait d’une blessure qu’elle s’était faite en faisant de la course à pied, Ferraioli a redécouvert le journal de la jeune fille et elle a rapidement réalisé l’importance historique de ce qu’avait vécu Buchsbaum, qui devait vivre son adolescence à la fin de la Seconde Guerre mondiale. C’est ainsi que Ferraioli a posté sa première publication au sujet du journal intime sur TikTok – il y a eu six posts pour le moment – en date du 21 novembre. Depuis, il a été visionné à plus de trois millions de reprises.
Ferraioli attribue l’intérêt porté au journal à la fois à la jeunesse de Buchsbaum et à sa façon de décrire des événements historiques majeurs. « L’époque à laquelle ce journal a été écrit est un moment charnière dans un monde qui était alors en pleine mutation », explique-t-elle.
« Il commence juste avant la fin de la Seconde guerre mondiale et il se termine juste après », ajoute Ferraioli. « Et cette période est tellement importante au niveau historique ! Voir ce moment raconté par quelqu’un – on se dit toujours : ‘oh, on s’adapte toujours à ces périodes folles, c’est comme lors de l’épidémie de la COVID, tout le monde s’y est habitué très rapidement’ – là, c’est finalement la même idée mais entendre réellement ces faits depuis un point de vue neutre, c’est fascinant ».
Ferraioli a partagé d’autres découvertes vintage provenant de la boutique familiale sur les réseaux sociaux – comme des exemplaires de Time Magazine datant de 1912 et un menu qui avait été proposé lors de l’exposition universelle de New York de 1939. Mais le journal de Buchsbaum donne un aperçu rare et personnel de la vie d’une adolescente juive américaine du milieu du siècle dernier : Buchsbaum se rend à son dernier jour d’école le matin et elle fête le seder de Pessah dans la soirée. Elle organise des soirées dansantes pour sa synagogue et elle joue au ping-pong avec ses amies pendant que les garçons terminent leur réunion de l’AZA – une référence à la branche masculine de l’organisation de jeunesse Bnai Brith, qui existe encore aujourd’hui.
« Toutes ces femmes qui lui disent qu’elles l’aiment… J’en ai les larmes aux yeux et ça me fait chavirer le cœur au bon sens du terme », a confié Eric Kaplan, fils de Buchsbaum et rédacteur pour une chaîne de télévision, au Washington Post.
Grâce au succès gigantesque de la vidéo publiée sur TikTok, le journal intime a pu être rendu à ses propriétaires légitimes, à la famille de Buchsbaum.
L’autre fils de Buchsbaum, Philip, qui est auteur dramatique, a déclaré : « Je pense que maman aurait été très heureuse que des gens s’intéressent à sa vie ».
Selon une interview de Kaplan qui avait été publiée en 2013 dans le New York Times et selon un entretien accordé dans le cadre d’un podcast, l’année dernière, à l’initiative de Mayim Bialik, Charlotte Buchsbaum avait passé son enfance dans l’est de New York. Née dans un foyer orthodoxe – des principes qui avaient guidé son éducation – son père était originaire de la région de Galicie, en Europe de l’Est.

Née en 1930, Buchsbaum était devenue professeure de biologie à l’âge de 20 ans, au lycée Erasmus Hall de Flatbush, à Brooklyn, et elle devait élever sa famille dans ce qui est devenu aujourd’hui Ditmas Park. Elle avait épousé un avocat, Benjamin Kaplan, en 1952 – il est décédé en 2014. En plus d’Eric et de Philip, le couple avait eu un fils, Andy, mort alors qu’il était encore enfant. Buchsbaum, quant à elle, s’est éteinte en 2017.
Le journal de Buchsbaum commence en mars 1945 – même s’il porte la mention de son année d’impression, 1916, parce qu’il appartenait à l’origine à son grand-père, Mechel Guzik. L’adolescence avait rayé au crayon 1916, la remplaçant par 1945.
Dans ses écrits qui courent du mois de mars au mois d’août 1945, Buchsbaum évoque les personnes venues au seder de Pessah, elle note les jours où elle s’est lavée et coiffée, elle parle de ses cours de russe. Elle parle également de ses vêtements du jour (« ma jupe crayon rose et mon nouveau chemisier à cordon. Des perles et des boucles d’oreilles en perles. Mes cheveux lâchés étaient ondulés »). Elle raconte qu’elle a organisé une soirée dansante à sa synagogue, qu’elle a joué au tennis, qu’elle a pris la ligne ferroviaire de Long Island Railroad pour la toute première fois, qu’elle a vu des films classiques au cinéma avec Gregory Peck et Judy Garland, qu’elle a commencé et quitté un emploi, narrant ses rendez-vous galants.
Dans son journal, Buchsbaum fait également référence à une synagogue locale, le Temple Sinai. Les fins limiers de TikTok ont depuis noté qu’elle faisait probablement référence à une ancienne synagogue qui se trouvait sur Arlington Avenue East New York, un lieu de culte qui a finalement été vendu à une église pentecôtiste espagnole dans les années 1980.
« La chose qui, je le pense, est particulièrement touchante, c’est son âge », commente Ferraoili en évoquant la popularité de ses vidéos consacrées au journal de Buchsbaum. « Je pense qu’elle est très jeune. Et je pense que nous sommes tellement habitués à ce que chaque adolescent s’exprime, qu’il consigne toutes les émotions qu’il ressent, qu’il raconte ses danses… La voix des adolescents est désormais familière, nous sommes très à l’aise avec elle – d’ailleurs, la voix la plus populaire sur Internet, c’est désormais celle de l’adolescent influenceur. Mais c’est rare de pouvoir avoir un aperçu des adolescents d’il y a 80 ans. Et je pense que le contraste est tout simplement fascinant ».
Bien sûr, quand Buchsbaum était adolescente, elle avait également vécu des événements qui avaient bouleversé le monde : le président Franklin D. Roosevelt était mort, les Alliés avaient remporté la victoire en Europe, les États-Unis avaient largué la bombe atomique sur le Japon et la guerre avait pris fin. Ce sont des événements dont elle parle dans son journal, allant parfois jusqu’à s’insérer elle-même dans l’Histoire plus largement. Le journal ne mentionne pas la Shoah, dont l’ampleur et l’énormité n’étaient pas encore connues.
Prenons, par exemple, ce qu’avait écrit Buchsbaum en date du 14 août 1945, où elle racontait être allée à Times Square à l’occasion de la Journée de la victoire sur le Japon.

« Ce matin, à environ 2 heures 30, j’ai été réveillé par du bruit. La nouvelle était tombée : nous avions reçu la réponse du Japon. Et nous avons appris qu’officieusement, c’était la paix », écrit Buchsbaum. « Tout au long de la matinée et jusqu’à 6 heures, nous avons marché dans les rues en pyjama et en robe de chambre. Tout le monde faisait la fête. Vers 5 heures 30, nous sommes rentrés et nous avons pris notre petit-déjeuner. Je ne me suis pas rendormie, je me suis habillée et je suis allée travailler. Quand je suis rentrée du travail, nous avons appris que c’était officiel. J’ai mangé très vite et Ann, Rita, Ruth, Felicia et moi, nous sommes allées à Times Square. Nous sommes allées chercher deux hommes de la marine marchande canadienne qui sont restés avec nous toute la nuit. La foule était déchaînée et les soldats et les marins embrassaient tout le monde. Les amis Morty et Fred, qui étaient très gentils, nous ont protégées. Les journalistes et les photographes étaient partout. À 10 h 30 environ, nous sommes partis ».
La scène décrite par Buchsbaum est similaire à celle illustrée par la photo emblématique qui avait été prise par Alfred Eisenstaedt pour Life Magazine et qui montre un soldat de la marine américaine embrassant une assistante dentaire vêtue de blanc (la femme sur la photo, Greta Zimmer Friedman, a déclaré ultérieurement que ce baiser n’avait pas été consensuel).
« Maman était très intelligente ; elle est allée au Brooklyn College, elle a fait des études de sciences et elle est devenue professeur de biologie », a raconté Philip Kaplan. « Je pense que si elle était née dix ou vingt ans plus tard, elle aurait été scientifique et pas professeur de biologie – mais je ne pense pas que ces options étaient vraiment ouvertes aux femmes à l’époque. Et elle ne m’a très certainement jamais parlé du Jour de la Victoire sur le Japon ! Ça a été une surprise totale pour moi », a-t-il ajouté.
Pour sa part, Ferraoili dit être heureuse que la série de vidéos ait pris l’ampleur qu’elle a connue.
« Je pense qu’elle a entraîné de nombreuses conversations intéressantes sur la perspective historique », note-t-elle. « Beaucoup de gens se sont dit : ‘Oh, moi aussi, je veux commencer à tenir un journal’. »
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