Comment les Juifs du Venezuela tiennent bon malgré la crise
De 25 000 membres dans les années 1990, la communauté juive ancienne est tombée à environ 6 000, alors que la situation politique et économique du pays atteint un point critique
JTA – Une nuit, il y a quelques années, alors qu’un Juif se rendait en voiture chez ses parents à Caracas, au Venezuela, deux voitures ont bloqué la rue où il se trouvait et l’ont braqué sous la menace d’une arme.
Il est monté dans leur voiture et a commencé à répondre à des questions : qui il était, où il vivait, combien d’argent il pouvait leur donner pour sa libération. Après trois heures d’interrogatoire, les ravisseurs se sont rendus chez lui en voiture, ont obtenu 10 000 dollars de sa femme par la porte d’entrée et l’ont laissé partir. Bien qu’il ait porté une kippa, il ne se souvient pas que les ravisseurs étaient antisémites.
De tels « enlèvements express », où les victimes sont détenues contre une rançon pendant quelques heures, constituaient autrefois un danger occasionnel pour les habitants aisés de Caracas, la capitale. Mais davantage maintenant, selon lui.
« Le kidnapping au Venezuela n’est plus une si bonne affaire parce que les gens n’ont plus d’argent », dit l’homme, qui est impliqué dans la communauté juive mais a voulu rester anonyme car il craint des répercussions en cette période de crise au Venezuela. « C’était un moyen de gagner de l’argent rapidement. »
Les enlèvements constituaient l’une des nombreuses facettes de la société vénézuélienne qui s’est effondrée au cours des dernières années, alors que ce pays autrefois riche est tombé dans la misère, l’autoritarisme et le chaos. Cette semaine, le président de l’Assemblée nationale, Juan Guaido, a appelé les militaires à soutenir son mouvement pour remplacer l’actuel président du pays, Nicolas Maduro. Jusqu’à présent, et malgré des troubles généralisés, le mouvement semble s’essouffler.
Les États-Unis, Israël et plusieurs autres pays ont reconnu Guaido comme le président légitime du pays.
La crise a également contribué à l’appauvrissement de la communauté juive du Venezuela. De 25 000 membres dans les années 1990, elle est passée à environ 6 000 aujourd’hui et diminue, le reste ayant fui vers les États-Unis, Israël ou ailleurs. La plupart de ceux qui restent vivent à Caracas. Ceux qui ont tenu bon comptent les uns sur les autres pour survivre dans une situation de plus en plus difficile.
La criminalité généralisée a pour conséquence que les gens ne mangent plus à l’extérieur, les gens organisent ainsi souvent des dîners de fin de semaine chez eux, selon les gens qui connaissent cette situation. L’inflation a grimpé en flèche, la population paie ainsi tout – et sont payés – en dollars américains.
Les membres de la communauté juive, qui ont tendance à être à l’aise économiquement, se déplacent avec un chauffeur et parfois une voiture blindée, et ont souvent des gardes chez eux. Lorsque l’électricité est tombée en panne dans le pays en mars, la communauté juive s’est organisée pour s’assurer que chaque membre de la communauté de Caracas était bien en sécurité.
Les gens restent, a dit le membre de la communauté, parce que le Venezuela est le foyer de leur famille depuis des générations. Une grande partie d’entre eux est arrivée après la Shoah ou après l’émigration de nombreux Juifs marocains après la guerre des Six Jours de 1967. Il décrit les Juifs vénézuéliens comme étant chaleureux, soudés et solidaires. Comme il reste si peu de gens, la plupart se connaissent par leurs noms.
« On est dans la communauté, on connait tout le monde », a-t-il dit. « On a un climat magnifique, merveilleux, des médecins et des institutions qu’on connait. »
Mais rester est quand même l’exception qui confirme la règle. Les gens – juifs et non juifs – sont partis moins à cause du coup d’Etat possible, disent les Juifs vénézuéliens, que pour des raisons d’instabilité économique.
« Il n’y a aucune perspective professionnelle au Venezuela », a déclaré Sammy Eppel, 71 ans, un journaliste et homme d’affaires juif qui a émigré à Miami il y a trois ans et demi. « Il n’y a plus moyen de prospérer. Je pense que les Juifs du Venezuela sont dans la même situation que tout le monde dans le pays. Nous n’avons pas été particulièrement ciblés. »
Mais la persécution politique joue parfois un rôle. Les écrits d’Eppel dans El Universal, un grand journal vénézuélien, étaient souvent critiques des gouvernements socialistes du Venezuela. Il possédait également un centre d’appels avec des clients tels que Microsoft et Motorola, et il y a plus d’une décennie, le gouvernement a coupé ses lignes téléphoniques, l’obligeant à fermer son entreprise. Après cela, explique-t-il, des groupes de personnes se présentaient à son immeuble en se faisant passer pour des percepteurs d’impôts, demandaient à son concierge de le faire descendre, puis ils disparaissaient.
Lorsque des hommes ont menacé le concierge avec une arme à feu, il a jugé qu’il était temps de quitter le pays.
« Aux yeux du régime, j’étais un ennemi », a-t-il dit, se rappelant que les hommes s’étaient adressés à son gardien et « avaient pointé une arme sur sa tête et lui avaient dit, ‘Ne nous mens pas. On sait qu’il est là' ».
Le gouvernement est également depuis longtemps fermement anti-israélien. Maduro, et son prédécesseur Hugo Chavez, sont proches des adversaires d’Israël tels que l’Iran. Jérusalem et Caracas n’entretiennent pas de relations diplomatiques. En 2004 et 2007, les forces gouvernementales ont fait une descente dans une école et un centre communautaire juifs.
« Quand Chavez a rompu ses relations avec Israël, cela a envoyé un message à beaucoup de Juifs qu’ils n’étaient pas les bienvenus là-bas « , a déclaré Dina Siegel Vann, directrice du Belfer Institute for Latino and Latin American Affairs du American Jewish Committee. « Je pense que beaucoup d’entre eux sont restés parce qu’ils pensaient que les choses allaient s’améliorer. »
Les choses ne se sont pas améliorées. Mais il y a quelque chose qui n’existe pas, dit-elle, c’est l’antisémitisme. Les périodes de crise, dans d’autres endroits, se sont avérées des terrains fertiles pour la propagation de la haine des Juifs. Mais Siegel Vann a dit que l’antisémitisme le plus important au Venezuela venait du gouvernement et non de la base. Maintenant que le gouvernement est en désarroi, l’antisémitisme a disparu.
« Les Vénézuéliens ne sont pas antisémites », a-t-elle dit. « En Europe, il y a un bagage historique. Au Venezuela, on n’a pas ça. Il a été promu par le sommet. »
Dans la mesure où la communauté juive fait face à la crise, a dit le membre anonyme de la communauté, ses représentants officiels ont pris soin de ne pas prendre parti. Elle reste en contact avec Maduro, qui détient toujours le pouvoir, et critique ses positions anti-israéliennes.
Mais lui aussi veut émigrer en Israël. Quand partira-t-il ?
« Dès que Maduro m’aura viré », dit-il en riant.