Comment un tout « autre » Schindler a contribué à la Seconde Guerre mondiale
En contrôlant jusqu'à 20 espions allemands, Oskar Schindler a contribué à la mise en scène du faux "Incident de Gleiwitz" qui a déclenché l'invasion de la Pologne par l'Allemagne
![Oskar Schindler a participé à la préparation de l'attaque commando contre l'émetteur radio de Gleiwitz qui a précédé l'invasion allemande de la Pologne, le 1er septembre 1939. (Domaine public) Oskar Schindler a participé à la préparation de l'attaque commando contre l'émetteur radio de Gleiwitz qui a précédé l'invasion allemande de la Pologne, le 1er septembre 1939. (Domaine public)](https://static-cdn.toi-media.com/fr/uploads/2019/09/matt-08152019-1024x640.jpg)
CRACOVIE, Pologne – Oskar Schindler a sauvé 1 200 ouvriers d’usine juifs pendant la Shoah, et un film hollywoodien sur ce sauvetage héroïque a transformé son nom en archétype des Justes parmi les nations. Cependant, le nazi devenu sauveur jouait aussi des rôles moins altruistes sous le règne d’Hitler.
Fait ignoré par le livre et le film portant son nom, Schindler aida l’Allemagne à jeter les bases de son invasion de la Pologne il y a 80 ans. Avant le « blitzkrieg » [« guerre éclair »] lancée le 1er septembre 1939, Schindler dirigea un réseau de 25 espions et prépara une infâme et fausse attaque appelée « incident de Gleiwitz ».
Aux dires de tous, Schindler, au milieu de la trentaine, était « au chômage et frustré », sans parler du fait qu’il était alcoolique et qu’il avait de nombreuses dettes. Il a multiplié les inculpations pénales et les séjours en prison, notamment pour bagarre, menaces de mort et escroquerie. Les mauvais coups de Schindler portaient aussi bien sur l’aviculture que sur la banque, et il était connu sous le nom de « Schindler Swindler » [Schindler l’escroc].
Au cours de plusieurs soirées de la haute société, Schindler impressionna les bons maîtres espions nazis. L’un d’eux l’a recruté dans l’Abwehr (renseignement militaire) allemand, et Schindler fut envoyé à Ostrava, dans l’actuelle République tchèque. Située près de la frontière avec la Pologne, la ville était un foyer d’agents et d’agents doubles.
Contrairement au manipulateur charmant représenté dans le film « La Liste de Schindler », le premier rôle d’espion du jeune homme de 30 ans avait un caractère cocasse. Les habitants d’Ostrava connaissaient Schindler par son nom, et il ne prit pas la peine de changer son adresse, tout en recueillant des informations sur les défenses militaires tchèques. Une négligence qui conduisit à son arrestation, accusé d’infractions à l’encontre de l’Etat tchèque passibles de la peine capitale.
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En août 1938, Schindler plaida coupable et fut condamné à mort au cours d’une procédure judiciaire à Brno. Cependant, l’Allemagne s’installe dans les Sudètes deux mois plus tard, et tous les prisonniers politiques – y compris Schindler – sont graciés et libérés.
Les détails de cette période de la vie de Schindler ne sont apparus qu’après que le livre et le film ont fait de lui une légende. Il y a quinze ans, David M. Crowe a révélé une grande partie de son histoire dans son livre, « Oskar Schindler : The Untold Account of his Life, Wartime Activities, and the True Story Behind the List”, [Oskar Schindler : le récit méconnu de sa vie, de ses activités en temps de guerre et de l’histoire vraie derrière la Liste].
Parmi les activités rapportées dans le livre, l’auteur décrit comment Schindler a un jour amené des cages de pigeons dans l’appartement qu’il partageait avec son épouse Emilie. Les oiseaux étaient destinés à transmettre des messages, mais Schindler ne s’y intéressait plus. Il semble cependant avoir intériorisé les leçons de son premier rôle raté d’espion et adopté des noms de code comme Otto et Schofer.
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Élément important pour la carrière de Schindler et sa capacité future à sauver les Juifs, il a reçu une promotion dans l’Abwehr : commandant adjoint du renseignement pour la région entourant Ostrava. Près de son territoire se trouvait la ville allemande de Gleiwitz – Gliwice dans l’actuelle Pologne – avec son château du 14e siècle.
Gleiwitz abritait également la plus haute structure en bois d’Europe, un émetteur radio achevé en 1935. A 118 mètres de hauteur, la structure s’appelait « Tour Eiffel de Silésie » dans la ville, et sa situation près de la frontière en faisait un puissant outil de propagande.
Après avoir officiellement rejoint le parti nazi en 1939, Schindler fut appelé à préparer une fausse attaque contre la tour Gleiwitz. La propagande anti-polonaise alimentait les régions frontalières, et Schindler contribua à allumer l’une des nombreuses mèches.
« Un don pour les jolies histoires sur les gens »
Au début du livre « Schindler’s Ark » [La Liste de Schindler] de Thomas Keneally, paru en 1982, il est question du rôle de l’industriel dans l’espionnage nazi.
« Lors de son voyage en Pologne pour le compte de l’Abwehr, il s’est avéré doué pour obtenir des informations sur les gens, surtout dans un cadre mondain – à table, autour d’un cocktail », écrit Keneally. « Nous ne connaissons pas l’importance exacte de ce qu’il a découvert [pour ses maîtres], mais il en est venu à beaucoup aimer la ville de Cracovie », écrit l’auteur.
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Dans le livre de Keneally, l’ensemble de la carrière d’espion de trois ans de Schindler a été réduit à quelques paragraphes. D’après les archives de l’Abwehr, ce dernier surveillait toutefois les principaux axes de transport et faisait passer clandestinement des combattants et des armes en Pologne. À son apogée, deux douzaines d’agents de terrain lui rendaient compte de leurs activités secrètes.
Contrairement à la représentation cinématographique de Schindler entrant à Cracovie sur les talons de l’armée allemande, il a commencé à y surveiller entreprises et maisons avant l’invasion de la Pologne. Pendant la période où Schindler apprenait à connaître Cracovie, ses agents étaient en train de se préparer à la fausse attaque de Gleiwitz – les uniformes de l’armée polonaise ? C’est bon. Des armes ? C’est bon. Des cigarettes polonaises ? C’est bon.
Les éléments nécessaires à l’opération Gleiwitz étaient entreposés dans l’appartement de Schindler, selon le témoignage d’Emilie, son ex-femme, après la guerre. Emilie Schindler a été chef de bureau et comptable de son époux pendant ces mois-là, et son témoignage constitue le fondement de ce que les historiens savent du travail préparatoire du couple pour Gleiwitz.
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Collectivement, les opérations de fausses attaques et la propagande anti-polonaise s’appelaient « Opération Himmler ». Une semaine avant l’invasion prévue de la Pologne, Hitler avait mis en garde ses généraux contre les « casus belli propagandistes » en préparation, leur assurant que la « crédibilité » de toute « justification » pour envahir la Pologne ne serait pas remise en question après la victoire finale de l’Allemagne.
Fidèle au penchant de Heinrich Himmler pour l’exploitation des prisonniers des camps de concentration, un certain nombre d’entre eux ont été assassinés pour organiser les incidents frontaliers. Après avoir été vêtues d’uniformes polonais, les victimes – appelées « boîtes de conserve » – ont reçu des injections mortelles et des blessures par balles. Leurs cadavres ont été exposés dans plusieurs installations stratégiques près de la frontière comme preuve de l’agression de la Pologne.
Pour l’opération Gleiwitz, un agriculteur allemand connu pour sa sympathie envers la Pologne a été assassiné, et son cadavre présenté à la presse pour être pris en photo. Il devait être l’“assaillant” polonais du fameux émetteur radio, tué par ses défenseurs allemands. Une fausse annonce radiophonique en langue polonaise sur la capture de l’antenne radio a été entendue avec effroi par des millions de personnes en Allemagne.
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Quelques heures après l’opération Gleiwitz, la presse étrangère a été invitée à inspecter la scène sanglante de la tour émettrice de la radio. Partout, les médias ont parlé de l’agression de la Pologne contre l’Allemagne, et ce n’est qu’en 1945 à Nuremberg que la vérité a été révélée.
« Il était toujours dans l’escroquerie »
Dans le film « La Liste de Schindler », le protagoniste épingle une croix gammée sur son revers avant même que l’on voie son visage. On pourrait dire que ce geste rapide fait référence aux trois années de sabotage de Schindler et son rôle dans “l’Opération Himmler”, pour laquelle les gouvernements polonais et tchèque l’ont déclaré criminel de guerre.
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Le cinéaste Steven Spielberg a pris conscience de la carrière de Schindler dans l’Abwehr alors qu’il réalisait « La Liste de Schindler », sorti en 1993. Dans une interview avec « Inside Film » cette année-là, le réalisateur de « E.T. » appelait Schindler, « l’homme qui a perpétré l’arnaque qui a donné à Hitler l’excuse pour envahir la Pologne ».
Selon Spielberg, « [Schindler] a toujours été un escroc ». Son rôle dans l’incident de Gleiwitz, a dit Spielberg, consistait à faire de lui un « petit morceau d’histoire préfabriquée ».
Lorsque David Crowe a publié sa biographie de Schindler en 2004, le livre a été salué pour avoir « ôté tout son éclat au Schindler de Spielberg ». Le regretté Elie Wiesel, survivant et lauréat du prix Nobel, a salué Crowe dans le New York Times pour avoir « compliqué » l’histoire de Schindler et l’avoir rendu « plus humain, et aussi plus extraordinaire ».
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Le livre de Keneally et le film de Spielberg ne sont pas les seuls récits de Schindler qui omettent les activités de sabotage de l’homme de tête. D’après la biographie de Schindler sur le site Internet de Yad Vashem, « Peu après le déclenchement de la guerre en septembre, Schindler, 31 ans, est apparu dans la Cracovie occupée. »
Sur le site web de Yad Vashem et sur la plupart des autres sites de mémoire de la Shoah présentant des informations sur l’homme, il n’y a aucune mention de son rôle dans l’Abwehr. Bien que les activités d’espionnage menées par Schindler avant l’invasion lui aient donné le savoir-faire et les contacts SS nécessaires pour procéder à un sauvetage à grande échelle des Juifs, cette histoire est généralement absente des récits de sa vie.
L’espion a poursuivi son travail de renseignement jusqu’en 1940, date à laquelle il fut envoyé en Turquie pour enquêter sur des employés de l’ambassade d’Allemagne. A cette époque, il dirigeait les activités d’une ancienne usine d’émaillerie de Cracovie, qui appartenait à des Juifs. Bientôt, Schindler appliqua les compétences affinées dans l’Abwehr pour transformer l’usine en un refuge pour 1 200 ouvriers juifs.
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