Comment une famille juive a sauvé la demeure de Thomas Jefferson par deux fois
Le nouveau documentaire "The Levys of Monticello" montre comment un oncle et son neveu ont lutté contre l'antisémitisme pour sauver Monticello de la ruine et le préserver
- Uriah Phillips Levy, en tant que jeune officier de marine, a combattu pendant la guerre de 1812. (Crédit : PerlePress Productions)
- Extérieur de Monticello (Crédit: PerlePress Productions)
- Article de journal de 1833 annonçant que Monticello, la maison de Thomas Jefferson, est à vendre. (Crédit: PerlePress Productions)
- Rachel Phillips Levy, mère d'Uriah Phillips Levy, est enterrée à Monticello, où elle a vécu les dernières années de sa vie. (Crédit:PerlePress Productions)
- Les membres de la famille Levy ont possédé Monticello pendant 89 ans, plus longtemps que Thomas Jefferson et ses descendants (photo non datée). (Crédit: PerlePress Productions)
- La tombe de Rachel Phillips Levy, la mère d'Uriah Levy, le long de Mulberry Row à Monticello. (Crédit: PerlePress Productions)
- Jefferson Monroe Levy, un riche homme d'affaires, a servi deux mandats au Congrès, représentant un district de New York. (Crédit: PerlePress Productions)
Lorsque les suprémacistes blancs ont défilé à Charlottesville en août 2017, ils ont encerclé la célèbre statue de Thomas Jefferson à l’université de Virginie, en criant « Les Juifs ne nous remplaceront pas ». Ironiquement, la statue du père fondateur américain a été réalisée par le sculpteur juif patriotique Moses Ezekiel.
Les antisémites ignoraient probablement aussi que la maison historique voisine de Jefferson, Monticello – un monument historique national et la seule maison présidentielle des États-Unis désignée site du patrimoine mondial de l’UNESCO – a été sauvée par deux fois grâce aux efforts d’une famille juive nommée Levy.
Grands admirateurs de Jefferson, les Levy étaient des Américains farouchement fiers et loyaux. Reconnaissants pour la liberté religieuse accordée par la Constitution des États-Unis, les membres de la famille se sont consacrés au service militaire et à la politique. Les Levy, en particulier Uriah Phillips Levy et son neveu Jefferson Monroe Levy, ont possédé, préservé et géré Monticello pendant 89 ans – plus longtemps que Jefferson et ses descendants.
Pourtant peu en sont conscients. Le lien qui unit les Levy et Monticello a été oubliée dans l’histoire pendant la majeure partie du XXe siècle. Un nouveau film documentaire, « The Levys of Monticello », met en lumière le lien majeure des Levy avec ce monument précieux, ainsi que les raisons néfastes pour lesquelles le rôle important de la famille juive a été effacé pendant si longtemps.
« Vous ne pouvez pas être plus américain que les Levy, pourtant, en tant que Juifs, ils ont été rejetés comme des étrangers », a déclaré le réalisateur Steven Pressman.
« Je voulais faire un film centré sur l’expérience personnelle d’une seule famille, mais également sur l’expérience juive américaine en général », a-t-il déclaré.

Pressman se base sur l’histoire de Levy pour explorer l’antisémitisme auquel les Juifs ont été confrontés en Amérique depuis avant que les États-Unis ne déclarent leur indépendance de la Grande-Bretagne en 1776. Et en incluant l’histoire de l’esclavage à Monticello, le film soulève également des questions troublantes sur les Juifs américains, la possession d’esclaves et la compréhension sélective du concept de liberté.
Les Levy ont été parmi les premiers Juifs de l’Amérique coloniale. La famille sépharade est descendante de Zipra Nunez, la fille de Samuel Nunez, un médecin qui faisait partie d’un petit groupe de Juifs arrivés en Géorgie en 1733 à l’époque de la fondation de Savannah. Il est arrivé via Londres, après avoir échappé aux persécutions de l’Église catholique au Portugal.
« The Levys of Monticello » a été présenté en avant-première en streaming au Festival du film juif d’Atlanta le 16 février. Sa première projection en personne aura lieu le 6 mars à la Congrégation Mikve Israel à Savannah. Le site est significatif, car Samuel Nunez était l’un des fondateurs de Mickve Israel, la troisième plus ancienne congrégation juive d’Amérique.

À l’aide d’un nombre limité d’images d’archives disponibles, d’entretiens à l’écran avec des experts (dont le célèbre spécialiste de l’histoire juive américaine Jonathan Sarna) et de lectures de lettres et de déclarations historiques, Pressman retrace un récit poignant.
C’est une histoire dont Pressman n’était pas lui-même au courant lors de ses visites à Monticello au début des années 1980. Les guides touristiques n’ont pas mentionné les Levy. L’accent était mis sur l’architecture impressionnante, l’art décoratif, les artefacts historiques et les terrains magnifiques. Mais le récit est étrangement passé de l’ère de Jefferson à 1923, lorsque Monticello a été acheté par la fondation privée à but non lucratif Thomas Jefferson.
« Je ne peux pas prétendre avoir moi-même découvert le lien entre Levy et Monticello. Deux des personnes qui apparaissent dans mon film, Marc Leepson et Melvin Urofsky, ont écrit des livres sur le sujet il y a une vingtaine d’années. Mais je pensais que pour la plupart des téléspectateurs, cette histoire serait nouvelle », a déclaré Pressman, dont les deux films précédents portaient sur à la Shoah.

Jefferson a construit Monticello (petite montagne en italien) près de Charlottesville en 1772 comme maison familiale. Alors qu’il était président des États-Unis de 1801 à 1809, il y passait au moins trois mois par an. Il a rempli l’impressionnante demeure d’œuvres d’art, de livres et d’instruments scientifiques qui reflétaient ses divers intérêts et réalisations.
Prodigue et mauvais en affaires, Jefferson n’avait plus d’argent dans les années 1820 et délaissa l’entretien de Monticello.
Lorsque Jefferson mourut en 1826, il laissa des dettes de plusieurs millions de dollars. La vente de presque tous ses biens et possessions, y compris la plupart de ses esclaves, ne suffisait pas à payer ses créanciers, et sa famille décida à regret de vendre Monticello en 1831.

Un homme nommé James Turner Barkley a racheté la propriété pour 7 000 $ et l’échange d’une maison située à Charlottesville, mais il n’est resté à Monticello que deux ans et n’a rien entrepris pour la rénover.
La fille de Jefferson, Martha Jefferson Randolph, remarqua que : « le jardin était labouré jusqu’à la porte et envahi de maïs. La terrasse était une épave. L’endroit, m’a-t-on dit, était tellement différent qu’il aurait été affligeant de le voir. Tout n’était qu’un amas de ruines tant la dégradation a été rapide ».
Lorsque Monticello a de nouveau été mis sur le marché, c’est un admirateur de Jefferson Uriah Phillips Levy qui le racheta pour 2 700 $. Malgré un antisémitisme persistant, Levy, un Américain de cinquième génération, a eu une carrière longue de 50 ans dans la marine américaine. Il fut un héros de la guerre de 1812 et devint le premier commodore juif.
Levy est également connu pour avoir aboli la pratique punitive de la flagellation dans la marine américaine.

Dans ce qui est considéré comme le premier acte de préservation historique en Amérique, Levy a maintenu et préservé Monticello, plutôt que de choisir de le remodeler. Pourtant, les récits retraçant la vente de Monticello à Levy mentionnent son origine juive sur un ton peu flatteur.
La mère d’Uriah, Rachel Phillips Levy, vint vivre à Monticello en 1836. Elle y mourut en 1839, alors que son fils était en mer. Rachel a été enterrée sous le terrain de la maison. La tombe est passée inaperçue et est restée sans surveillance pendant des décennies. (En 1985, le nouveau directeur exécutif de la Fondation Thomas Jefferson, Daniel Jordan, a entendu parler des Levy et a décidé de leur rendre leur dû. La tombe de Rachel a été rénovée et a depuis lors elle a été au centre des explications fournies aux visiteurs sur les contributions des Levy à Monticello.)
La guerre civile a été un désastre pour Monticello. La Confédération a confisqué la propriété parce qu’Uriah Levy était un fervent partisan de l’Union. Levy s’est battu devant les tribunaux confédérés pour récupérer Monticello, mais a échoué avant de mourir en 1862. Le frère de Uriah, Jonas Levy, un partisan confédéré, a repris la gestion de la propriété et y a fait flotter le drapeau confédéré.

Après une longue bataille devant les tribunaux sur le testament d’Uriah Levy concernant Monticello, en 1879, son neveu Jefferson Monroe Levy (le fils de Jonas Levy) a légalement obtenu la possession de la maison de son homonyme. Il a racheté les parts des autres héritiers pour 10 500 $ afin de reprendre ce qui était à nouveau une propriété totalement délabrée.
Investisseur new-yorkais et membre démocrate du Congrès pour trois mandats, Jefferson Levy a investi environ 1 million de dollars en fonds propre dans la restauration et la conservation de Monticello pendant les 44 années où il en était propriétaire. Il a rendu certaines des affaires de Jefferson et a également meublé la maison avec des pièces somptueuses qu’il a apportées d’Europe. Levy a ouvert Monticello au public et a fièrement accueilli des dignitaires américains et étrangers.

Toutes les personnes conviées par Levy n’étaient pas forcément convaincues que Monticello était entre de bonnes mains.
Après que Maud Littlet et son mari, le membre du Congrès Martin Littletonon ont été invités par Levy à diner au manoir en 1909, elle a tenu des propos antisémites déguisés.
« Je n’ai pas eu le sentiment d’être dans la maison que Jefferson a construite et rendue sacrée. Il semblait être écarté et s’estomper dans une sombre tradition. Quelqu’un d’autre prenait sa place à Monticello – un étranger, un étranger de renom », a écrit Maud Littleton.

Selon le directeur Pressman, la bataille nationale prolongée que Maud Littleton a menée dans la presse et au Congrès pour faire retirer Monticello des mains de « l’étranger » et « l’oriental » Levy montre à quel point l’antisémitisme était monnaie courante à l’époque.
« Levy était un Américain de sixième génération, mais toujours qualifié d’étranger. Et quand nous considérons les événements d’aujourd’hui – un siècle plus tard – il semble que nous, les Juifs américains, serons toujours vus de cette façon », a déclaré Pressman.
Les tropes antisémites et le langage codé utilisés contre Levy l’ont mis en colère, l’amenant à refuser de vendre. Mais il a finalement été forcé de remettre Monticello sur le marché lorsque ses finances ont été mises à mal en 1919. Monticello a été racheté par la Fondation Thomas Jefferson pour 500 000 $. Tous les objets ne datant pas de l’époque de Jefferson ont été retirés de la propriété. Levy est mort un an plus tard.
Dans le film, Niya Bates, chercheur principal en histoire afro-américaine à la Fondation Thomas Jefferson, a souligné que la construction initiale de Monticello sous Jefferson, ainsi que les préservations ultérieures par Uriah Levy, ont été réalisées par des esclaves.
« J’ai vraiment eu du mal avec la partie sur l’esclavage. Au départ, j’ai résisté à l’avoir dans le film, mais vous ne pouvez raconter aucune histoire sur Monticello sans aborder la question de l’esclavage », a déclaré Pressman.
Loin d’être un propriétaire d’esclaves bienveillant, Jefferson n’a libéré que 10 ou 11 des 607 esclaves qu’il a possédé au cours de sa vie.
« Au moment où Uriah Levy est devenu propriétaire de Monticello, ce n’était plus une plantation en activité, mais il possédait toujours une vingtaine d’esclaves », a déclaré Pressman.
Levy incarnait des siècles de persécution envers les Juifs pour leurs croyances et leurs pratiques religieuses. Il considérait donc la liberté religieuse offerte par l’Amérique comme un don précieux et une valeur suprême.
« [Cependant] les gens qui croyaient en la liberté religieuse pouvaient ne pas croire en la liberté des esclaves », a déclaré Bates.
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