Cour Suprême : le limogeage du chef du Shin Bet par Netanyahu était illégal
La procureure-générale a sommé Netanyahu de ne pas nommer de nouveau chef du Shin Bet suite à cette décision de justice ; le Premier ministre a répondu qu'il n'en tiendra pas compte

La Haute Cour de justice a statué mercredi que la décision prise par le cabinet de licencier le chef du Shin Bet, Ronen Bar, avait été prise de manière « inappropriée » et « illégale » et que le Premier ministre Benjamin Netanyahu se trouvait en situation de conflit d’intérêts en raison des enquêtes en cours du Shin Bet sur ses proches collaborateurs, un dénouement spectaculaire dans le cadre d’une lutte acharnée entre le gouvernement et les autorités judiciaires.
Dans un langage très dur, le président de la Cour, le juge Isaac Amit, a estimé que le gouvernement n’ait pas donné de motif valable justifiant le renvoi de Bar. Il a écrit que cette décision reposait sur « une base factuelle mince et fragile dans le meilleur des cas » et que la décision avait donc un caractère « arbitraire ».
La procureure-générale Gali Baharav-Miara a fait savoir dans la foulée à Netanyahu qu’il lui était interdit de désigner un nouveau chef à la tête du Shin Bet tant qu’elle examinait les implications de la décision, dans la mesure où les magistrats avaient conclu que le dossier était entaché de conflit d’intérêts.
Netanyahu a toutefois déclaré que la décision prise par la justice était « scandaleuse » et il a affirmé qu’elle portait atteinte à la démocratie et à la sécurité nationale d’Israël. Rejetant l’avertissement lancé par la procureure-générale, il a expliqué qu’il allait nommer un nouveau dirigeant du chef du Shin Bet, indépendamment des circonstances.
Parce que Bar avait annoncé, au mois d’avril, qu’il quitterait ses fonctions à la tête du Shin Bet en date du 15 juin, la Cour a annoncé qu’elle n’émettrait pas d’ordonnance sur le sujet, devenu sans objet.
Mais dans la formulation de son jugement, la Cour a clairement indiqué que le licenciement de Bar par le gouvernement était fondamentalement défaillant, ce qui signifie que les magistrats seraient probablement intervenus dans ce limogeage si Bar n’avait pas pris l’initiative de démissionner.

Dans son opinion écrite au nom de la majorité, Amit a aussi souligné que le dossier était important dans la mesure où il concerne directement les capacités du Shin Bet à mener ses opérations de manière indépendante et apolitique. Il a rappelé que l’une de ses tâches était, entre autres, de préserver le régime démocratique d’Israël.
Les graves failles qui apparaissent dans la décision portant sur le licenciement de Bar traduisent, écrit Amit, « une négligence des concepts qui sont pourtant à la base du base Shin Bet et aux fondements du poste du chef du Shin Bet, qui se doit d’être un responsable apolitique et indépendant qui conserve un devoir de loyauté à l’égard du public avant tout le reste ».
La magistrate Daphne Barak Erez a apporté son soutien à l’opinion d’Amit – mais le vice-président Noam Sohlberg a exprimé son désaccord, estimant que la Cour ne devait pas se prononcer sur des questions théoriques, en particulier au vu du conflit sociétal féroce qui a été déclenché par le licenciement de Bar et à la lumière du conflit actuel qui oppose les différentes branches du gouvernement.
Sohlberg a toutefois reconnu que le licenciement de Bar posait des « problèmes importants ».
Abaisser la barre
Le 16 mars, Netanyahu avait annoncé son intention de démettre le chef du Shin Bet de ses fonctions – une décision qui était devenue effective suite à un vote du cabinet, en date du 21 mars. Netanyahu avait alors évoqué son manque de confiance dans les capacités de Bar à faire son travail.
Les groupes de veille du gouvernement avaient toutefois déposé une requête auprès de la Haute Cour, condamnant cette décision et disant que le chef du Shin Bet avait été licencié en raison de sa défiance à l’égard du Premier ministre concernant plusieurs dossiers de premier plan. Affirmant que Bar n’avait été pas été limogé en raison de considérations relatives à ses compétences professionnelles, ils avaient ajouté que Netanyahu se trouvait, de surcroît, en situation de conflit d’intérêts en raison des enquêtes lancées dans l’affaire du Qatargate et sur des fuites de documents, des investigations menées par le Shin Bet à l’encontre de proches collaborateurs du chef de gouvernement.
A la fin du mois d’avril, Bar avait annoncé qu’il démissionnerait avant le 15 juin mais il avait demandé au tribunal de rendre une décision définitive sur les requêtes déposées le cadre de son renvoi, dans le but d’assurer que l’indépendance afin des futurs chefs du Shin Bet serait bien préservée. Le gouvernement avait alors annulé la résolution limogeant le chef du Shin Bet qui avait été votée par le cabinet. La Cour a toutefois déclaré mercredi que l’affaire était d’une telle importance qu’elle méritait un jugement, et ce même si les requête initiales étaient devenues sans objet.
Le dossier a suscité une énorme controverse publique, les opposants au gouvernement affirmant que Netanyahu tentait d’étouffer les enquêtes lancées à l’encontre de ses conseillers, tandis que la coalition et ses partisans n’ont cessé de soutenir que la procureure-générale et la Cour s’efforçaient de se substituer au gouvernement élu et à son autorité.
Dans ce contexte, une crise constitutionnelle a même paru possible – après que plusieurs ministres de premier plan ont indiqué que le gouvernement devrait ignorer la Cour si elle devait invalider le renvoi.

Des appels similaires ont été lancés par les ministres du cabinet dans la soirée de mercredi, sommant Netanyahu de ne pas obéir aux instructions données par la procureure-générale de ne pas nommer un nouveau chef du Shin Bet.
Le jugement
Dans son opinion rédigée pour le compte de la majorité, Amit a dit que le rôle du chef du Shin Bet était celui d’un « gardien » – en raison de la mission de protection du « régime démocratique et les institutions du pays » qui est celle de l’agence. Il a rejeté l’affirmation faite par le gouvernement, qui avait déclaré avoir une « autorité totale » sur l’embauche et le licenciement du chef du service.
Si tel était le cas, a ajouté Amit, le responsable du Shin Bet n’aurait plus d’indépendance professionnelle face au gouvernement, ce qui implique que l’agence pourrait probablement être utilisée à des fins politiques.
Évoquant un autre aspect essentiel de ce jugement, Amit a également écrit que le gouvernement était dans l’obligation de consulter la commission consultative des nominations de haut niveau, qui est chargée d’approuver la nomination du chef du Shin Bet, avant de licencier Bar.
La procureure-générale avait informé le gouvernement de cette nécessité avant qu’il ne licencie Bar, mais ses instructions étaient restées lettre morte.
Le conflit d’intérêts de Netanyahu
Amit a également estimé que l’affaire des documents qui avaient été divulgués par le porte-parole militaire du Premier ministre au journal allemand Bild, et l’affaire du Qatargate – un proche conseiller de Netanyahu y est accusé de divers délits en raison de son travail simultané au Bureau de Netanyahu et pour le compte du Qatar – signifiaient que le chef de gouvernement se trouvait dans une situation de conflit d’intérêts évident concernant le limogeage de Bar.
Le magistrat a également noté que Netanyahu lui-même avait reconnu que, même s’il n’est pas soupçonné dans l’un ou l’autre de ces scandales, l’existence même des deux enquêtes l’affectait directement en tant que Premier ministre.
Amit a mentionné plusieurs vidéos diffusées par Netanyahu sur les réseaux sociaux, des images où il affirme que les enquêtes ont été conçues spécifiquement pour porter atteinte à sa position de Premier ministre. Il a par ailleurs fait remarquer que le Premier ministre a été appelé par la police à témoigner dans l’affaire du Qatargate.

« Le Premier ministre s’est trouvé dans une situation de conflit d’intérêts, situation qui aurait dû l’empêcher de s’impliquer dans la question de la fin du mandat du chef du Shin Bet », a écrit le juge en chef.
Des fondations fragiles
Le président de la Cour a refusé de se prononcer sur les accusations lancées par les groupes de veille et par Bar lui-même, qui avaient laissé entendre que le chef du Shin Bet avait été renvoyé en raison des convenances personnelles et politiques de Netanyahu.
Mais Amit a toutefois noté qu’il y avait des « circonstances aggravantes » entourant les motivations du Premier ministre. Il a notamment souligné une affirmation faite par Bar dans le cadre d’une déclaration sous serment, dans laquelle le chef du Shin Bet disait que Netanyahu lui avait demandé d’agir contre les manifestants qui s’opposent au gouvernement – ce que Netanyahu n’avait pas entièrement réfuté dans sa propre déclaration sous serment – ainsi que la proximité entre le lancement de l’enquête sur le Qatargate et le licenciement du numéro un de l’agence de sécurité.
Le magistrat a également souligné qu’après avoir annoncé, à la fin du mois de mars, qu’Eli Sharvit serait le prochain chef du Shin Bet, Netanyahu était revenu sur sa décision dès le lendemain – au moment où le soutien apporté par Sharvit aux manifestations contre le plan de refonte radicale du système judiciaire avancé par son gouvernement avait été révélé, ce qui avait suscité de vives critiques de la part du Likud et d’autres membres de la coalition.
Mais Amit a reproché à Netanyahu et au gouvernement de ne pas avoir fourni de justifications ou de preuves venant appuyer les raisons pour lesquelles le Premier ministre avait perdu confiance en Bar et en ses capacités à assumer au mieux ses fonctions – surtout compte-tenu du caractère sans précédent de la décision prise par le cabinet. Jamais un dirigeant du Shin Bet n’avait été renvoyé jusqu’à aujourd’hui.
« Il ne serait pas exagéré de dire que les ministres n’ont avancé que des formules médiatiques, ne fournissant aucun exemple concret susceptible de justifier la nécessité immédiate et urgente de mettre fin au mandat du chef du Shin Bet, surtout en tenant compte du fait que le cabinet n’a pas respecté la procédure habituelle et qu’il a refusé du positionnement de la commission consultative », a critiqué Amit.
Il a expliqué que les arguments avancés par Netanyahu dans la lettre qui motivait le licenciement de Bar, un courrier qui avait été présenté au cabinet, « n’étaient pas étayés par des preuves et correctement réfléchis », ajoutant qu’ils étaient « formulés en termes généraux et vagues, sans inclure les détails factuels nécessaires – dates, événements, références à des événements concrets – et sans inclure des conclusions concrètes issues des enquêtes ». Il a fait remarquer que la missive ne contenait pas de pièces justificatives – par exemple, des retranscriptions d’audiences consacrées à la sécurité qui auraient pu être utilisées, dans ce cas, pour établir l’inaptitude présumée de Bar à exercer ses fonctions.
Le juge a ajouté qu’aucun fondement factuel justifiant le licenciement de Bar, ni aucun document n’avaient été présentés lors de la réunion du cabinet au cours de laquelle il avait été licencié.
« Les affirmations faites par le Premier ministre concernant sa perte de confiance [en Bar] n’ont été étayées par aucune preuve ni aucun exemple concret », a écrit Amit, qui a ajouté que cette absence de fondement factuel était « insuffisante » pour justifier son limogeage.
Le président du tribunal a également noté que Bar n’avait pas bénéficié d’une audience en bonne et due forme avant son licenciement. Il a affirmé que si le chef du Shin Bet avait été invité à assister à la réunion du cabinet, il ne lui avait pas été fait état de griefs concrets qu’il aurait été en mesure de réfuter et qu’il avait eu moins de 24 heures pour se préparer.
« Cette décision a été prise dans le cadre d’une procédure irrégulière, sans que la question ait été soumise à la commission consultative ; […] en violation des principes sur les conflit d’intérêts ; sans fondement factuel approprié et en violation du droit du chef du Shin Bet à être entendu », a conclu Amit.
Netanyahu a rejeté la décision du tribunal, arguant que la loi sur le Shin Bet stipulait clairement que le Premier ministre et le gouvernement étaient habilités à nommer et à révoquer le chef de l’agence. Il a rejeté l’affirmation faite par Amit, qui a déclaré que de telles décisions étaient toujours soumises au contrôle des juges – un contrôle inscrit dans le droit administratif israélien.
« C’est la loi », a-t-il déclaré. « C’est clair, net et précis. Il n’y a pas de failles… Tout le monde doit respecter la loi. Je dois respecter la loi. Vous devez respecter la loi. Tous les citoyens d’Israël doivent respecter la loi. Les juges doivent respecter la loi. Et la procureure-générale doit respecter la loi », a dit Netanyahu. « Le gouvernement israélien, sous ma direction, nommera le chef du Shin Bet. C’est essentiel pour notre sécurité. Nous le ferons. »