Dans Kherson libérée, des leaders juifs sont accusés de collaboration avec la Russie
Après la recapture par l'Ukraine de cette ville sous occupation russe, un responsable juif craint d'être poursuivi pour avoir autorisé des soldats ennemis à prier à la synagogue
JTA — Quand les troupes russes avaient franchi la frontière ukrainienne, au mois de mars, des milliers de personnes avaient fui les villes qui se trouveraient immanquablement sur le chemin des envahisseurs. Mais à Kherson, ville portuaire du sud du pays présentant une forte valeur stratégique pour les Russes, le rabbin Yosef Itzhak Wolff, pour sa part, avait décidé de rester.
Une décision qui n’avait guère été surprenante de la part d’un rabbin appartenant au mouvement ‘Habad-Loubavitch – un mouvement dont la philosophie est que les rabbins se dévoueront corps et âme à la ville qui les accueille et qu’ils s’y consacreront contre vents et marées.
Mais une décision qui pourrait aussi lui coûter son service auprès des Juifs de Kherson. Selon un reportage paru cette semaine dans le New York Times, Wolff est actuellement en Allemagne et s’inquiète de ce que certains, à Kherson, ne l’accusent d’avoir collaboré avec les forces russes.
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De son côté, un membre de la communauté juive de la ville risque aujourd’hui une peine de prison à vie pour une action commise pendant les premiers jours du conflit – des journées chaotiques et profondément troublées, selon le reportage du Times.
La Russie avait capturé Kherson en date du 2 mars et pendant des mois, la ville avait été placée sous le joug d’une occupation brutale qui avait entraîné des centaines de morts, des dizaines de portés disparus et des dizaines d’actes de torture, fait savoir Human Rights Watch.
Parmi ceux qui avaient choisi de rester vivre dans la ville occupée, Wolff, un rabbin né en Israël et arrivé en Ukraine il y a presque trente ans, dans le sillage immédiat de la chute de l’Union soviétique et de l’indépendance du pays. Il avait présidé, au cours des treize dernières années, la communauté juive de Kherson – une communauté qui était constituée avant-guerre, selon les estimations, d’environ 8 000 personnes.
Dès les premières heures du conflit, le travail de Wolff – qui s’était battu pour obtenir des denrées alimentaires, des médicaments et pour apporter un semblant de joie à Pourim – avait été très médiatisé.
Pendant un voyage, avait fait savoir le Times of Israel, il avait réussi à ramener dans la ville, sous les balles, des produits alimentaires en provenance de la frontière avec la Crimée, où son frère est également rabbin. Au cours d’un autre déplacement, avait raconté le site Chabad.org, il n’avait pas hésité à continuer sa distribution de nourriture alors même que les chars russes faisaient leur entrée dans la ville.
« Malgré les lourds combats qui ont éclaté dans les rues de Kherson, le rabbin Yosef Wolff n’aura jamais abandonné sa communauté, ne serait-ce qu’un instant ; il est resté dans la ville dévastée par la guerre, se mettant au service de la population locale », a commenté le rabbin Motti Seligson, porte-parole du mouvement Habad, auprès de JTA. Il a évoqué « un vrai héros du peuple juif et un vrai héros auquel s’identifieront tous les gens de bien partout où ils se trouvent ».
Avant la Shoah, Kherson était un centre majeur de vie juive, avec environ 26 synagogues. Aujourd’hui, il n’en reste plus qu’une, celle de Wolff. Et avant la guerre, le lieu de culte ressemblait à tous les centres Habad du monde entier : Il était au service de la communauté locale mais il accueillait avec joie les visages non-familiers, et notamment les visiteurs étrangers.
Cette ouverture aux nouveaux-venus avait pris une nouvelle dimension quand la guerre avait commencé et que les Russes avaient afflué dans Kherson. Pendant une grande partie de l’année, il a été difficile de déterminer si l’Ukraine pourrait reprendre le contrôle de la ville ou si cette dernière deviendrait comme la Crimée, soumise en permanence à l’occupation russe. Mais, le mois dernier, l’Ukraine a libéré Kherson, donnant lieu à des scènes de jubilation – et faisant naître le soupçon à l’égard de tous ceux qui ont pu, d’une manière ou d’une autre, donner l’impression d’avoir collaboré avec l’ennemi.
Wolff n’a pas été épargné par les soupçons, le rabbin ayant permis à des soldats russes de prier à la synagogue. Les soldats étaient des officiers juifs arrivés en compagnie de gardes armés, a-t-il expliqué au New York Times.
Dans les jours qui ont suivi la libération, le rabbin a quitté Kherson et l’Ukraine pour l’Allemagne. Et maintenant, alors que les Ukrainiens se mettent à la poursuite des éventuels collaborateurs, il a déclaré au journal qu’il n’était pas sûr de quand il reviendrait – ajoutant qu’il n’avait pas de certitude, d’ailleurs, sur un éventuel retour dans la ville.
Et parmi ceux qui étaient restés à Kherson, un membre important de la communauté juive est aujourd’hui poursuivi pour le choix qu’il avait fait, un jour, dans la réalité chaotique de l’occupation.
Illia Karamalikov, propriétaire d’une boîte de nuit, membre du conseil municipal de Kherson, est aussi un proche de Wolff – il autorisait souvent le mouvement Habad à utiliser son night-club, dans le passé, pour y organiser des événements, a raconté le rabbin au New York Times.
Les premiers jours de l’occupation avaient été une période d’anarchie dans la ville. L’administration civile ukrainienne avait pris la fuite devant les forces russes et après avoir conquis la municipalité sans rencontrer beaucoup de résistance, la Russie ne s’était pas réellement préoccupée de son administration, choisissant d’envoyer ses soldats vers d’autres cibles, comme les régions voisines d’Odessa, Mykolaiv, Kryvyi Rih — la ville natale du président ukrainien Voldymyr Zelensky – et, objectif ultime, vers Kiev.
La ville connaissait des pillages nombreux et des pannes d’électricité et d’approvisionnement. Les milliers de personnes restées à Kherson risquaient réellement de connaître la faim.
Les locaux s’étaient alors chargés eux-mêmes de remettre un semblant d’ordre. Karamalikov avait aidé à mettre en place une patrouille communautaire composée de 1 200 personnes pour faire respecter le couvre-feu et pour prévenir les pillages.
Cela avait été dans ce rôle, selon le reportage du New York Times, qu’il s’était retrouvé face à un pilote russe perdu, confus, que ses hommes avaient mis en captivité. Karamalikov avait gardé le prisonnier chez lui pendant une nuit dans un cagibi avant de le rendre aux forces russes, sain et sauf.
Une initiative qui lui a valu une mise en examen de l’Ukraine – avec un acte d’inculpation qui fait douze pages. Il lui est reproché d’avoir violé les lois qui avaient été émises dès le début de la guerre et qui stipulaient que « la collaboration avec l’État agresseur, ses formations armées ou avec l’administration d’occupation » étaient susceptibles d’être sanctionnés en tant qu’actes de collaboration, conformément au code civil ukrainien.
Un grand nombre de ceux qui se sont exprimés auprès du New York Times ont indiqué que ces lois ne prenaient pas en compte la réalité de la vie sous occupation.
« Tous ces gens qui ont pris la fuite nous jugent », a déploré Wolff auprès du journal. « C’est une époque cruelle ».
En laissant repartir le soldat, Karamalikov aurait « permis à un soldat russe de participer à nouveau à l’agression menée contre l’Ukraine », selon l’acte de mise en examen.
Mais un grand nombre, à Kherson, ne sont pas convaincus qu’il y ait eu un autre choix possible dans ce contexte. La patrouille communautaire de Karamalikov reposait sur des bénévoles et elle était une force non-militaire, dont l’autorité limitée consistait notamment à convaincre les pilleurs de se mettre au service du public. Dans cette mesure, s’en prendre au soldat aurait fait d’eux des combattants contre la Russie.
« Il s’est interrogé plus tard : Aurait-il dû tuer le soldat et ne rien dire ? », a confié l’un des patrouilleurs, Andriy Skvortsov, au New York Times. « Mais en réfléchissant, je me dis que non – ça n’aurait pas été une bonne chose ».
« Avec une vie entre ses mains, je ne peux pas seulement imaginer Illia tuant qui que ce soit, jamais », a dit Wolff au journal. « La décision qu’il a prise a été la plus humaine qu’il pouvait prendre ».
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