Israël en guerre - Jour 346

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De jeunes juifs turcs s’éloignent d’une communauté qui s’amenuise

Face à une montée de l’antisémitisme, une économie ralentie, il reste moins de 15 000 membres parmi la communauté

Ilan Ben Zion est journaliste au Times of Israel. Il est titulaire d'une maîtrise en diplomatie de l'Université de Tel Aviv et d'une licence de l'Université de Toronto en études du Proche-Orient et en études juives

Des Juifs dans une synagogue turque (Crédit : Michel Alfandari)
Des Juifs dans une synagogue turque (Crédit : Michel Alfandari)

Cinq siècles après que le sultan Bayezid II ait accueilli des réfugiés juifs sépharades à Istanbul, la communauté juive turque décroit lentement.

Face à une montée de l’antisémitisme, de l’autoritarisme croissant et les circonstances économiques désastreuses, de plus en plus de jeunes juifs turcs ont jeté leur dévolu sur Israël, l’Europe et l’Amérique du Nord.

Malgré une histoire riche sous les Ottomans s’élevant fortement à des postes importants comme ministres, commerçants et boucaniers – et une participation active à la vie publique au début de la république turque, les juifs turcs ne contribuent plus de manière significative à la vie politique ou culturelle du pays.

En 1948, la Turquie était le foyer d’environ 80.000 juifs, trois ans plus tard, près de
40 % avaient quitté le pays. En parlant avec les membres de la communauté aujourd’hui, on est susceptible d’entendre l’avenir des juifs en Turquie décrit comme ‘sombre’.

Le départ de la jeunesse juive n’est en aucune façon un exode. Les chiffres sont moindres mais il en est de même pour la communauté d’où ils partent. Officiellement, 15 000 juifs vivent aujourd’hui en Turquie, la grande majorité à Istanbul, ce qui en fait la plus grande communauté juive dans le monde musulman. Une décennie plus tôt, leur nombre avoisinait les 20.000.

Une chose est claire, la taille des classes juives dans les écoles maternelles est en baisse, le taux de natalité chute, et la communauté est vieillissante.

Des statistiques dures concernant l’émigration des jeunes juifs, cependant, est difficile à trouver. Le chiffre officiel par exemple, ne tient pas compte de l’augmentation des jeunes diplômés du secondaire qui sont partis pour des opportunités professionnelles à l’étranger.

Mois Gabay, un chroniqueur du journal juif « Salom » écrivait l’an passé sur la tendance croissante des jeunes juifs turcs partant à l’étranger.

Il a déclaré à Deutsche Welle que « 40 % des diplômés juifs ont opté pour poursuivre leur étude à l’étranger » en 2014. En 2013 ; c’était la moitié de ce chiffre. Il a affirmé que ce chiffre augmenterait.

« Je ne peux vous dire si les jeunes juifs quittent, ou combien de jeunes juifs quittent, » a-t-il déclaré au téléphone.

Il a cependant ajouté que la communauté ne pouvait ignorer le fait que l’anxiété collective s’installait.

Face au discours antisémite qui a donné libre cours au gouvernement ces dernières années et amplifié par les médias sociaux, certains jeunes juifs sont partis en Israël pour des raisons idéologiques. L’immigration en Israël par des juifs turcs est restée stable à environ 100 par an depuis 1980. Dans la dernière décennie, 1 002 juifs turcs ont immigré en Israël selon le ministère de l’Immigration et de l’Intégration.

« J’ai toujours senti que je n’appartenais pas à la population turque, je me sentais comme étranger, comme si je n’y appartenais pas, » déclare Israel Maden agé de 29 ans. Il a grandi dans le quartier de Gotzepe d’Istanbul sur la rive asiatique du Bosphore et était un membre actif dans le club de la jeunesse juive.

Comme beaucoup de jeunes juifs turcs, Maden a de la famille en Israël, « et l’idée de partir et venir en Israël était vive ». En 2009, il a émigré dans le pays dont il porte le nom.

L’expérience de Maden comparée à celle de Lisya Malky, une jeune mère de 31 ans qui est partie en 2008 et vit désormais dans une petite ville au nord de Tel Aviv.

« Même si j’ai grandi là-bas, nous avions nos propres vacances, notre propre culture, » dit-elle en hébreu teinté d’un léger accent turc. « J’étais une juive vivant en Turquie, c’est ce que j’ai toujours ressenti ».

Parallèlement à la montée de l’islam et de l’autoritarisme du président Recep Tayyip Erdogan avec son parti Justice et Développement (AKP) ; les discours antisémites et anti-Israël ont augmenté dans les médias financés par l’Etat.

« La Turquie a acquis un regard plus conservateur qui s’accroît de jour en jour, » a déclaré Selin Nasi, jeune femme d’Istanbul, postulant à un doctorat en sciences politiques à l’université Bogazici. L’islam est devenu « une façon de diriger la politique, » dit elle, et l’autoritarisme est en hausse.

Avant les élections nationales, Erdogan a utilisé un Coran comme outil de campagne électoral, – un geste sans précédent dans un gouvernement officiellement laïc. Son acte a été une cause de préoccupation pour les minorités religieuses de Turquie dont les Juifs, et il a été accusé rapidement d’utiliser la religion à des fins politiques.

Erdogan et l’accolade ouverte de son parti de l’islam politique a également traduit des liens tendus avec Israël et les juifs du pays. Malgré des gestes hautement symboliques comme la restauration de la Grande Synagogue d’Erdine (qui n’a pas de communauté fidèle), les tensions sont fortes.

La Grande Synagogue d'Erdine, Turquie (Crédit : CC-BY-SA CeeGee / Wikimedia Commons)
La Grande Synagogue d’Erdine, Turquie (Crédit : CC-BY-SA CeeGee / Wikimedia Commons)

Des disputes bilatérales entre la Turquie et Israël ont un impact considérable sur les comportements des Juifs turcs, affirme Nasi, faisant allusion aux tensions entre Ankara et Jérusalem et les relations d’Israël avec les Palestiniens.

Auparavant des liens étroits unissaient Israël et la Turquie, puis ils étaient tendus presque au point de rupture en mai 2010 après que les soldats israéliens soient montés à bord du bateau Mavi Marmara, transportant des activistes essayant de briser le blocus de Tsahal sur la bande de Gaza.

Pendant les accrochages entre les activistes et Tsahal, 9 citoyens turcs ont été tués déclenchant une crise diplomatique. Des dizaines de milliers de Turcs ont manifesté à Istanbul et des centaines ont tenté de prendre d’assaut le consulat israélien.

Des attaques similaires ont eu lieu l’été dernier lors de l’opération Bordure protectrice contre les groupes terroristes palestiniens dans la bande de Gaza, et de la propagande latente antisémite et non maitrisée.

Alors que ces mois derniers sont calmes comparativement à l’été dernier, les Juifs turcs « viennent à travers un discours de haine sur une base quotidienne, » affirma Nasi.

« Nous savons que certains journalistes, particulièrement proches du gouvernement sont impliqués dans ce discours de haine et ne sont pas sanctionnés, » déclara Nasi. « Le gouvernement devient aveugle ».

Bien que l’antisémitisme et l’idéologie jouent un rôle pour amener des juifs tels que Malki et Maden en Israël, les juifs turcs sont également affectés par les pressions socio économique qui poussent la classe moyenne turque à rechercher à l’étranger une vie meilleure.

Le boom économique de la Turquie dans la première décennie du 21e siècle a ralenti et sa monnaie a perdu 20 % de sa valeur face au dollar l’an passé.

Comme les frais de scolarité en Turquie ont grimpé en flèche dans les universités concurrentes ces dernières années, la qualité de l’éducation est à la traine face à celle de l’Europe occidentale, les Etats-Unis et le Canada.

« Il n’y a aucun doute que l’antisémitisme est un facteur de motivation, » a déclaré Louis Fishman, professeur adjoint au Brooklyn College qui a scindé son temps entre New York, Istanbul et Tel Aviv. « Mais il y a d’autres groupes (de la communauté juive) qui sont partis car ils font partie de la classe moyenne, ils peuvent aller à l’école aux Etats-Unis et obtenir un travail à l’étranger. »

T, âgé d’une trentaine d’années réside en quelque sorte à Istanbul comme beaucoup d’autres juifs, préfère parler anonymement de crainte de réaction violente car il travaille dans une multinationale qui, dit-il, offre à de nombreux Turcs d’émigrer et une sécurité financière.

« La plupart de mes amis pensent à quoi faire après, » affirma T, surtout après le tollé anti-israélien en Turquie. « Même si la plupart restent ici, chacun pense à son avenir, » affirmant que ces cinq dernières années, il a remarqué une nette augmentation de l émigration juive de Turquie.

Un autre facteur omniprésent de l’angoisse de la communauté est le nombre de juifs turcs qui ont saisi l’occasion d’obtenir la nationalité espagnole. La grande majorité des Juifs turcs sont des descendants des juifs sépharades expulsés en 1492. Peu de temps après, environ 5 000 juifs turcs, approximativement un tiers de la communauté a postulé pour avoir la double nationalité ouvrant potentiellement les portes à l’Europe selon un rapport récent du Financial Time.

Les leaders de la communauté d’Istanbul ont refusé de répondre aux questions concernant le départ de jeunes juifs turcs. Connu pour faire profil bas et être avare dans ses propos, Rifat Bali, juif turc, né à Istanbul a nié d’une part qu’il y ait « un exode des jeunes juifs » et « pense que les rapports sont rédigés sans fondement ». D’autre part, il a reconnu que depuis les années 1980 de jeunes juifs « ont plus ou moins à faire avec leur famille » comme leurs homologues musulmans quittant le pays pour étudier à l’étranger.

« Comme avec toutes les communautés qui sont démographiquement si petites et vieilles, nous verrons si les statistiques continueront à chuter. » écrivait Bali par mail.

Presque partout, le pronostic d’un avenir pour les jeunes juifs en Turquie qui ont appelé l’Anatolie comme leur domicile pendant presque 2 000 ans est sombre. Malki, une jeune mère vivant désormais en Israël affirmait qu’il y a peu d’hommes juifs en âge de se marier encore à Istanbul et que le taux de natalité de façon prévisible est en baisse.

« En Turquie, affirme t-elle, il n’y a pas de futur pour les juifs. » « Il y a du racisme, de l’antisionisme et de l’antisémitisme’, Il y a 1 001 raisons de partir pour les juifs ».

« Nous devons admettre que même s’il n’y pas un exode de juifs fuyant, affirme Fishman, l’avenir global de la communauté n’est pas optimiste.

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