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Deborah Lipstadt évoque l’extrême-droite et l’antisémitisme aux Etats-Unis

L'historienne de la Shoah parle de la dernière flambée d'antisémitisme au Congrès et de l'aide qu'elle apporte pour amener les suprématistes de Charlottesville devant la justice

Deborah Lipstadt, historienne basée à Atlanta, à Jérusalem, juillet 2019. (Raphael Ahren/Times of Israel)
Deborah Lipstadt, historienne basée à Atlanta, à Jérusalem, juillet 2019. (Raphael Ahren/Times of Israel)

Mieux connue pour s’être défendue avec succès face au négationniste de la Shoah David Irving, la professeure Deborah Lipstadt, cette année, est intervenue dans les médias et elle a répondu à l’antisémitisme qui émane principalement du cyberespace – avec notamment QAnon et les théories du complot relayées par Marjorie Taylor Greene, récemment élue au Congrès et que la vénérable institution a sanctionnée au début du mois de février.

Cette semaine, cette enseignante renommée de la Emory University pose son regard sur le rassemblement de la CPAC qui se déroule à Orlando, où la forme de la scène a été comparée par certains à un symbole arboré par les officiers SS.

« Je suis sûre que cette forme est accidentelle », explique Lipstadt au Times of Israel, cette semaine. « Mais le fait que personne ne l’ait remarqué… Oups. »

« J’ai écrit dans The Guardian au sujet de ces Républicains qui gardent le silence – s’ils n’approuvent pas Greene. Et les choses sont devenues encore plus extrêmes, semble-t-il, depuis mon article », indique Lipstadt. « Au mieux – et c’est le moins qu’on puisse dire – ce ne sont pas des amis sur lesquels on peut compter ».

A gauche : une vue partielle de la scène alors que le sénateur du Texas Ted Cruz, s’exprime lors de la CPAC (Conservative Political Action Conference), le vendredi 26 février à Orlando, en Floride. (Crédit : AP Photo/John Raoux); A droite : la rune nordique connue sous le nom d’Odal ou Othala. (Crédit : Domaine public)

Lipstadt est aussi témoin-experte dans la plainte fédérale qui avait été déposée contre les organisateurs du rassemblement « Unite the Right » à Charlottesville, en Virginie. Elle avait été retenue par les plaignants dans l’affaire Sines v. Kessler, une plainte appuyée par le groupe Integrity First for America contre les néo-nazis et les suprématistes blanc. Au cours d’un rassemblement qui avait duré deux jours, en 2017, Heather Heyer avait été tuée et plusieurs personnes avaient été blessées.

Même si le rassemblement de Charlottesville a eu lieu il y a plus de trois ans, Lipstadt constate des liens entre la rhétorique et les théories du complot affichées en Virginie et les plus récents soubresauts d’antisémitisme.

« L’antisémitisme est omniprésent. C’est ce qui le rend différent des autres préjugés – il vient de toutes les directions. Il s’exprime à différents degrés, avec des expressions différentes, des dangers différents en fonction de l’époque », continue Lipstadt.

Même si des initiatives devaient être prises pour élargir l’enseignement de la Shoah, estime Lipstadt, il y aurait encore probablement de l’antisémitisme.

Un suprémaciste blanc quitte le parc Emancipation à Charlottesville en Virginie, le 12 août 2017. (AP Photo/Steve Helber)

« [L’enseignement de la Shoah] n’est pas une cartouche magique », dit-elle encore. « La Shoah devrait être intégrée dans un module d’enseignement plus large sur l’antisémitisme. Mais est-ce que les gens – et en particulier ceux qui sont à des postes à responsabilité – ont besoin d’un enseignement pour savoir que des Juifs utilisant des lasers pour allumer des incendies, ce n’est pas seulement une idée absurde, mais également dangereuse ? »

« Des efforts visant à dresser les communautés les unes contre les autres »

Le groupe de plaignants qui a décidé de poursuivre en justice les organisateurs du rassemblement « Unite the Right » accusent ces derniers de « conspiration civile », tel que le concept est défini dans la loi Ku Klux Klan datant de 1871. Le procès devrait commencer en octobre, bien qu’il y ait déjà eu plusieurs reports.

Pendant les semaines qui avaient précédé ce rassemblement de 2017, les organisateurs avaient encouragé la violence par le biais du Daily Stormer et autres plateformes. La rhétorique employée avait largement ciblé les Juifs, avec des expressions répétées d’admiration à l’égard de Hitler et de la Shoah.

« L’idéologie, les symboles et la rhétorique qui ont été affichés lors du rassemblement de Charlottesville sont ceux d’une longue tradition d’antisémitisme. C’est une partie de cette tradition qui a entraîné le meurtre violent de millions de Juifs pendant la Shoah », écrit Lipstadt dans son rapport d’expertise de 48 pages.

Manifestation de suprématistes blancs, torches à la main, sur le campus de l’université de Virginie, à Charlottesville, le 11 août 2017. (Crédit : capture d’écran YouTube)

Lipstadt démontre également que les thématiques anti-afro-américaines et antisémites des organisateurs sont largement entremêlées. Même si les accusés sont souvent dépeints sous l’étiquette de « suprématistes blancs », il est impossible de faire la distinction entre leur haine des Juifs et des Afro-américains, explique Amy Spitalnick, cheffe de l’organisation à but non-lucratif et non-partisane Integrity First for America.

« Il est déterminant de comprendre que l’antisémitisme se trouve au cœur de la suprématie blanche qui a attisé tant de violences au cours des dernières années », dit Spitalnick au Times of Israel. « C’est la raison pour laquelle les efforts visant à dresser une communauté contre l’autre sont si dangereux – nos destinées sont profondément liées les unes aux autres. On ne peut pas s’attaquer à une forme de haine sans s’attaquer à toutes », ajoute-t-elle.

Groupe financé par des donateurs privés et par des fonds participatifs collectés sur internet, plusieurs responsables d’Integrity First for America sont des activistes juifs. La stratégie de sensibilisation dans les synagogues et dans d’autres communautés religieuses a encouragé à combattre l’extrémisme sur le terrain et – en soutenant cette plainte importante déposée contre les organisateurs du rassemblement de Charlottesville – via les comptes bancaires.

« La théorie du grand remplacement »

Depuis Charlottesville, explique Spitalnick, une théorie du complot impliquant Afro-américains et Juifs a été particulièrement puissante.

« Les attaques des suprématistes blancs à Charlottesville, à Pittsburgh, à Christchurch, à Poway ou à El Paso ont été motivées par la théorie vile dite ‘du grand remplacement’ : cette idée que les Juifs sont des marionnettistes qui orchestrent le ‘remplacement’ de la race blanche par le biais du soutien que nous apportons aux immigrants, aux réfugiés, aux communautés de couleur et ainsi de suite », note Spitalnick.

Parmi les théories du complot d’un autre âge adoptées par les accusés, les Juifs seraient des communistes désireux de dominer le monde. Un accusé dont la personnalité a été étudiée dans le rapport de Lipstadt, Jeff Schoep, avait déclaré qu’il aurait souhaité dire à Hitler : « Merci pour votre sacrifice, et j’espère que nous vous avons rendu hommage à notre humble niveau en continuant la lutte ».

Des centaines de suprématistes, de néonazis et de membres de l’extrême-droite américaine à Charlottesville, en Virginie, le 12 août 2017. (Crédit : Chip Somodevilla/Getty Images/AFP)

Selon Spitalnick, « la plus grande menace pour notre pays et pour nos communautés » est posée par les extrémistes de droite – notamment ceux qui seront amenés devant les juges au mois d’octobre prochain.

« L’ADL a fait savoir que presque tous les meurtres extrémistes aux Etats-Unis ont été commis par des membres de l’extrême-droite », a dit Spitalnick. « Le Département de la sécurité intérieure a estimé que le suprématisme blanc était ‘la menace la plus persistante et la plus meurtrière’ de tous les Etats-Unis et le FBI a confirmé que les crimes de haine avaient atteint un niveau meurtrier sans précédent. Les informations, les unes après les autres, nous montrent que nous sommes en train de vivre une crise d’extrémisme de droite », conclut Spitalnick.

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