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"On devient absolument insensible"

Depuis un siècle, il défie la mort : la vie d’Henri Mosson, rescapé du Struthof

Engagé dans la Résistance avec des amis dès ses 17 ans, il est arrêté dans un maquis près de Dijon et condamné à mort le 29 juin 1943 mais échappe au peloton d'exécution

Le résistant français de la Seconde Guerre mondiale Henri Mosson, qui a été déporté au camp de concentration de Natzweiler-Struthof et au camp de Dachau, construit par les nazis, pose à Dijon, dans le centre-est de la France, le 28 octobre 2024. (Crédit : ARNAUD FINISTRE / AFP)
Le résistant français de la Seconde Guerre mondiale Henri Mosson, qui a été déporté au camp de concentration de Natzweiler-Struthof et au camp de Dachau, construit par les nazis, pose à Dijon, dans le centre-est de la France, le 28 octobre 2024. (Crédit : ARNAUD FINISTRE / AFP)

Condamné à mort à 19 ans pour des actes de résistance. Détenu au camp nazi du Struthof en Alsace. Victime d’un accident de la route gravissime en 1992… « Je m’en suis toujours sorti », dit Henri Mosson.

Les 101 ans que cet homme à l’allure fine et au regard clair va bientôt fêter sont un formidable pied de nez à la promesse que lui avait faite le commandant du camp de concentration, le seul de France géré par les nazis, à son arrivée le 26 novembre 1943.

« Il nous a dit : ‘Vous êtes des voyous. Vous êtes entrés ici par la grande porte et vous ressortirez par la cheminée' », se souvient Henri Mosson en recevant l’AFP chez lui à Dijon.

Au camp de Natzwiller-Struthof (Bas-Rhin), « mon numéro était le 6290 », dit-il, avant de le répéter en allemand, langue dont la connaissance l’a sauvé d’une mort certaine.

« On avait nos numéros à coudre sur nos vêtements mais je l’ai cousu de travers. Je me suis alors pris la plus grande claque de ma vie. J’ai lancé au SS un ‘warum ?’ (pourquoi ?) : il a compris que je parlais allemand. J’ai alors été affecté à la désinfection » des vêtements avec lesquels les détenus arrivaient. « C’était un peu une planque ».

« Pour les autres, ceux qui ne parlaient pas allemand, la durée de vie était en moyenne de 90 jours. J’en ai vu qui mouraient en trois jours », ajoute l’ancien détenu classé « Nacht und Nebel » (nuit et brouillard), comme tous les opposants politiques voués à disparaître sans laisser de traces.

Sur cette photo d’archives prise le 16 avril 2015, une vue générale de l’entrée du seul camp de la mort nazi sur le sol français, le camp de concentration du Struthof de la Seconde Guerre mondiale, à Natzwiller, dans l’est de la France. (Crédit : Patrick Hertzog/AFP)

« Cadavres sur le dos »

Chaque jour, les prisonniers ramassaient leurs morts qui, eux aussi, devaient être présents aux appels tenus sur la place du camp. Ils « ramenaient les cadavres sur le dos », se souvient Henri Mosson, avec une apparente froideur.

« On devient absolument insensible », s’excuse celui qui est l’un des derniers rescapés du Struthof toujours en vie.

Engagé dans la Résistance avec des amis dès ses 17 ans, il est arrêté dans un maquis près de Dijon et condamné à mort le 29 juin 1943.

Il fait alors « connaissance avec la rigueur » nazie, dit-il pince-sans-rire : en prison, ses tortionnaires le pendent par les mains des journées durant. « Le matin, mes pieds touchaient à peine le sol. Le soir, ils touchaient bien ».

Il échappe au peloton d’exécution et est envoyé au fort de Romainville (Seine-Saint-Denis). « C’était une réserve d’otages », où les nazis puisaient pour leurs exécutions en représailles d’assassinats de soldats allemands.

Là aussi, il échappe à la mort. « Passer la journée. Résister », c’était sa motivation, explique-t-il. « J’ai toujours eu espoir ».

Une chambre à gaz du camp de concentration du Struthof à Natzwiller, dans l’est de la France, utilisée par les nazis pendant la Shoah, le 24 novembre 2022. (Crédit : Sébastien BOZON / AFP)

Bouillon d’orties

Fin août 1944, à l’approche des Alliés, les nazis évacuent le Struthof. Les détenus sont transférés vers d’autres camps, pour finir à celui de Munich-Allach. « Un jour, on s’est réveillé et il n’y avait plus de gardiens », se souvient Henri Mosson.

Mais, à son retour en France, ce n’est « pas la liesse » qui l’attend. « Les gens nous ont pris pour des bêtes curieuses ».

« Je pesais 38 kilos quand je suis rentré » en Bourgogne. « On n’avait à manger que du bouillon de choux-raves. A la fin, on n’avait plus que des orties en bouillon. »

Peu importe. Il se reconstruit et, féru de sport mécanique, il devient contrôleur technique des Formule 1, rencontre les plus grands comme Alain Prost et Ayrton Senna. « J’ai fait trois fois le tour du monde », dit-il fièrement.

Ce n’est cependant pas un accident de piste qui manque de le tuer, en 1992, mais un chevreuil qui percute sa voiture, le laissant quasiment pour mort. « J’avais 13 fractures ».

Toute sa vie, il s’est fait passeur de mémoire, à ses quatre enfants, six petits-enfants et dix arrières-petits-enfants, mais aussi aux quelque « 200 écoles » où il est intervenu. « Même en Allemagne ».

« Il faut informer les jeunes. On ne sait pas ce qui peut arriver », dit-il. « Vous pouvez avoir les Russes dans deux mois, ça peut recommencer. Vous avez vu l’Ukraine… »

Le 5 janvier 2025, l’éternel résistant fêtera ses 101 ans, un cap qu’il est certain de passer. « J’ai toujours eu de la chance ».

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