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Nommer Deri ministre est « radicalement déraisonnable », dit la procureure-générale

Baharav-Miara a écrit que la nomination de Deri risquait de gravement saper la confiance publique dans le comportement éthique des élus en raison de ses condamnations

La nouvelle procureure générale Gali Baharav-Miara lors d'une cérémonie d'accueil, à Jérusalem, le 8 février 2022. (Crédit : Yonatan Sindel/Flash90)
La nouvelle procureure générale Gali Baharav-Miara lors d'une cérémonie d'accueil, à Jérusalem, le 8 février 2022. (Crédit : Yonatan Sindel/Flash90)

La procureure-générale Gali Baharav-Miara a informé la Haute cour, mercredi, qu’elle s’opposait avec force à la nomination du leader du Shas, Aryeh Deri, à un poste de ministre, affirmant que ses condamnations passées – il a été encore reconnu coupable de délits fiscaux il y a moins de douze mois – devaient lui interdire de pouvoir prendre un portefeuille ministériel.

L’opposition de Baharav-Miara à la désignation de Deri à la tête de deux ministères du gouvernement était attendue après l’annonce faite par la procureure-générale, mardi, qu’elle ne défendrait ni le chef du Shas ni le Premier ministre Benjamin Netanyahu dans le cadre de trois requêtes appelant à interdire toute fonction ministérielle au dirigeant de la faction ultra-orthodoxe.

Deri, pour sa part, a indiqué mercredi qu’il était confiant à l’idée que la Haute cour saurait entendre les voix « des plus de deux millions de citoyens israéliens et des 400 000 électeurs du Shas qui désirent me voir devenir ministre au sein de ce gouvernement ». L’équipe juridique de Netanyahu a, de son côté, affirmé que la présence de Deri dans le gouvernement était cruciale pour la stabilité de ce dernier.

Dans son avis juridique remis à la Haute cour en réponse aux requêtes qui ont été déposées, Baharav-Miara, par le biais du Bureau de la procureure-générale, a affirmé que la désignation de Deri à la tête du ministère de l’Intérieur et du ministère de Santé après des condamnations répétées était « un éloignement radical de ce qui peut être considéré comme raisonnable » et que les juges devaient donc annuler la décision prise par le Premier ministre de lui faire intégrer le cabinet.

Elle a estimé que Deri « présente une tendance à se prêter à des activités criminelles, en majorité lorsqu’il se trouve à un poste public… ce qui est instructif concernant la manière dont il se rapporte à l’état de droit ».

Dans son avis, elle a toutefois noté que la cour ne devrait pas intervenir contre une loi qui serait adoptée de manière à permettre à Deri d’assumer les fonctions qu’il convoite. Elle a affirmé que dans la mesure où la législation amenée par la coalition pour ce faire était une Loi fondamentale, qui a un statut quasi-constitutionnel, le tribunal devait faire preuve d’une plus grande prudence dans son réexamen judiciaire.

Les requêtes contre la nomination de Deri, qui ont été déposées par le Mouvement pour un gouvernement de qualité, le Mouvement pour un comportement éthique et un groupe d’individus qui s’est manifesté à titre privé, estiment pour leur part que la condamnation du chef du Shas pour délits fiscaux en 2022, en plus de sa condamnation pour corruption en 1999, rendent sa nomination « déraisonnable ».

Le chef du parti Shas, Aryeh Deri, lors d’une cérémonie pour le prochain ministre des Affaires sociales Yaacov Margi au ministère des Affaires sociales de Jérusalem, le 1err janvier 2023. (Crédit : Yonatan Sindel/FLASH90

De plus, ces requêtes affirment que le projet de loi qui a été récemment approuvé par la nouvelle coalition et qui a amendé la Loi fondamentale : Le gouvernement pour permettre à Deri d’être désigné ministre est illégitime, le texte ayant été adopté en raison des considérations politiques d’un politicien individuel et de celles du nouveau gouvernement.

Une audience sur ces requêtes est prévue dans la matinée de jeudi.

Dans sa réponse à la Haute cour, Baharav-Miara a aussi écrit que les enjeux, ici, portaient sur des aspects déterminants du système du gouvernement du pays et notamment sur la capacité de la Knesset à approuver des textes de nature constitutionnelle, ainsi que sur l’idée même d’état de droit.

Elle a fait remarquer que la Loi Fondamentale : Le gouvernement avait été initialement légiférée sans référence à un individu en particulier – ou sans une quelconque intention d’aider un individu en particulier – mais que cela n’avait manifestement pas été le cas dans l’amendement qui a récemment été approuvé.

L’amendement adopté le mois dernier par le gouvernement a modifié la Loi fondamentale d’une manière qui permet dorénavant à Deri d’obtenir un portefeuille malgré sa condamnation, au mois de février 2022, à une peine de douze mois avec sursis.

La procureure-générale a indiqué que les requêtes contre l’amendement apporté à la Loi fondamentale devaient être rejetées dans la mesure où « il n’y a aucune cause juridique » pour un réexamen judiciaire de la législation.

Elle a toutefois affirmé que l’amendement soulevait « des difficultés substantielles » dans la mesure où il avait été créé sur une base « personnelle », pour aider Deri, et pour être appliqué immédiatement afin d’ouvrir la voie à sa nomination à une fonction ministérielle.

De gauche à droite, les ministres Yoav Gallant, Aryeh Deri, Benjamin Netanyahu, Yariv Levin et Eli Cohen à la Knesset le 29 décembre 2022. (Crédit : Yonatan Sindel/Flash90)

La procureure-générale a écrit que le principe judiciaire pertinent dans le cas d’une telle loi était « le mauvais usage de la doctrine d’autorité constitutionnelle » – soit le principe que les lois de nature quasi constitutionnelles ou constitutionnelles ne sauraient être amendées pour des raisons étroites au service d’objectifs à court-terme.

« Mettre en œuvre ce principe nécessite de la prudence », a-t-elle déclaré, parce que c’est une Loi fondamentale adoptée par la Knesset qui est en jeu. Elle a ajouté que la jurisprudence n’autorisait pas, jusqu’à présent, la mise en œuvre du principe de « mauvais usage constitutionnel » concernant de telles législations.

Évoquant le caractère « raisonnable » de la nomination de Deri au vu de ses condamnations criminelles, Baharav-Miara a expliqué que si le Premier ministre avait un large pouvoir d’appréciation pour nommer les ministres, la désignation de Deri dépassait toutefois cette marge de liberté.

Elle a fait remarquer qu’en 2015 et 2016, la Haute-cour avait estimé que la nomination de Deri à un poste ministériel était à la limite du « caractère raisonnable » au vu de sa condamnation pour corruption, en 1999.

La procureure-générale a affirmé que dans la mesure où Deri avait été à nouveau condamné depuis – cette fois pour fraude fiscale, un délit qu’un tribunal aurait assorti du statut de « turpitude morale » – sa nomination devait être écartée et disqualifiée.

« Ces crimes… aux yeux de la procureure-générale placent la nomination de Deri à un poste de ministre au-delà des limites du ‘raisonnable’, ce qui revient à dire que cette nomination est déraisonnable et qu’elle ne saurait être approuvée », a écrit Baharav-Miara.

Le chef du parti Shas, Aryeh Deri, arrive pour une audience au tribunal de Jérusalem, le 1er février 2022. (Crédit : Yonatan Sindel/Flash90)

« La nomination, à l’heure actuelle, du ministre Deri au poste prestigieux de ministre du cabinet, moins d’un an après qu’il a été condamné et qu’il a écopé d’une peine avec sursis, entraînera de graves conséquences en ce qui concerne la confiance placée par le public dans le comportement éthique des élus ».

Elle a reconnu que – comme l’a fait valoir le conseiller juridique indépendant de Netanyahu – le rôle de Deri en tant que dirigeant d’un parti occupant onze sièges à la Knesset, et le vote de confiance du parlement dans le nouveau gouvernement qui comprend le chef du Shas, devaient être pris en compte.

Elle a néanmoins déclaré que les condamnations pénales répétées de Deri n’avaient pas été suffisamment prises en considération.

Le gouvernement « n’a pas donné un poids suffisant à la gravité représentée par des violations répétées de la loi par un député, des violations empreintes de turpitude morale, et il n’a pas suffisamment réfléchi à l’importance qu’il faut accorder aux questions d’éthique et de respect de l’état de droit de la part de ceux qui pilotent le régime », a-t-elle ajouté.

« Sa nomination excède à l’extrême les limites du raisonnable et nous pensons qu’elle ne doit pas être acceptée », a écrit la procureur-générale.

Répondant à l’avis juridique de Baharav-Miara, Deri l’a remerciée pour « avoir réfuté les accusations mensongères lancées à mon encontre ces dernières semaines, et qui laissaient entendre que j’avais manipulé le tribunal ».

« La procureure-générale a confirmé dans sa réponse que je ne me suis jamais engagé à me retirer pour de bon de la vie publique et que je n’ai en rien violé ma négociation de peine, pas plus que je n’ai manipulé le tribunal quand j’ai quitté la 24e Knesset », a écrit le leader du Shas sur Twitter.

Il a ajouté : « J’ai confiance dans le fait que la Haute cour de Jérusalem qui se réunira demain en présence d’un panel élargi de onze juges saura entendre les voix des plus de deux millions de citoyens israéliens et des plus de 400 000 électeurs du Shas qui désirent me voir être ministre dans ce gouvernement ».

Mardi, l’équipe juridique de Netanyahu a écrit une réponse à la Haute cour, expliquant pourquoi Deri pouvait et devait prendre un poste de ministre dans le nouveau gouvernement.

Les quatre dernières années d’instabilité politique – qui ont été marquées par cinq scrutins successifs – ont entraîné « des circonstances sans précédent » qui exigent du Premier ministre qu’il rétablisse l’ordre politique, ont affirmé les juristes de Netanyahu.

« Il est impossible de retrouver une stabilité gouvernementale sans nommer le chef du Shas à un poste ministériel », ont-ils ajouté.

Tobias Siegal a contribué à la rédaction de cet article.

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