Des anciens résidents de Gaza prennent racine dans le sable
A Halutza, les communautés fondées par les expulsés du Gush Katif rêvent de faire fortune grâce aux etrogs
Bnei Netzarim, sud d’Israël – Quand Eliyahu Ozan a quitté le Gush Katif en 2005, il explique qu’il s’était promis que malgré les difficultés que lui et sa famille rencontreraient, il ne s’en plaindrait pas.
Ozan, 54 ans, est l’un des 8 000 résidents expulsés de Gaza en 2005 dans le cadre du très controversé retrait unilatéral des implantations israéliennes de la bande de Gaza, décidé par Ariel Sharon. Il est parti volontairement, comme la moitié des résidents de son bloc d’implantation.
Mais un grand nombre de ses voisins ont dû être littéralement trainés hors des implantations par des dizaines de milliers de soldats.
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Certains résidents se sont clôturés derrière des fils barbelés. D’autres versaient toutes les larmes de leur corps, agrippés aux soldats démunis. Un résident opposé à l’éviction s’est même barricadé dans sa maison avec des femmes et des enfants, un fusil M-16 sur l’épaule.
Le retrait de Gaza était l’un des événements majeurs de l’Histoire israélienne qui a divisé la population. Il a formé des clivages prononcés entre la droite et la gauche, entre les pro-résidents et les anti-résidents et même entre les laïcs et les religieux. Pendant les mois qui ont précédé le retrait, des rubans orange flottaient sur les voitures et les squares de la ville qui étaient envahis de manifestants portant des panneaux où l’on pouvait lire « Un Juif n’expulse pas un Juif ».
Les sondages de l’époque indiquaient que 60 % des citoyens israéliens approuvaient le retrait, alors que 40 % s’y opposaient catégoriquement. Les partis politiques de droite et les partis religieux décrivaient des scénarios catastrophes si le retrait avait lieu. Ils affirmaient que l’expulsion des Israéliens de Gaza ouvrirait la porte au terrorisme, aux roquettes, et que cela entraînerait éventuellement la destruction de l’Etat juif.
Mais malgré les manifestations, malgré les polémiques et les protestations, le jour fatidique est arrivé et le 15 août 2005, Ozan a quitté sa maison, ses serres et ses vergers où il vivait confortablement grâce à sa vie de fermier. Il y avait des photos déchirantes de mères traînées hors de leurs maisons, d’adolescents en T-shirt orange sanglotant et les pères brûlant les immeubles pour ne rien laisser derrière eux.
Une semaine plus tard, le Gush Katif n’était rien d’autre qu’un vaste champ de gravats. Ozan était persuadé que son histoire serait différente car pour beaucoup de résidents des implantations de Gaza, la vie après le Gush Katif était devenue un vide précaire.
Neuf ans plus tard, plus de 30 % des anciens résidents de Gaza vivent encore dans des hébergements temporaires.
La ville de Nitzan, dans les badlands [désigne un paysage ruiniforme des terrains marneux ou argileux, ravinés par les eaux du ruissellement généralement impropres à l’agriculture] du nord d’Ashkelon, est devenue dans les faits un camp de réfugiés rempli de caravanes et de familles qui s’enfoncent de plus en plus profondément dans la pauvreté.
Halutza
Il a quitté Gaza avec sa femme et ses 8 enfants, et rapidement, à l’âge de 46 ans, il est devenu le père de jumeaux. Au début, la famille vivait dans une caravane à Yavul, qui est juste un minuscule point sur la carte près de la frontière égyptienne, mais très rapidement, ils ont entendu parler d’une nouvelle communauté qui se bâtissait grâce à l’aide du Fonds national juif (KKL).
Un endroit qui se trouve entre la frontière de Gaza et l’Egypte. Une étendue de sable fin stérile. Une terre si aride que lorsque Ehud Barak a proposé à Yasser Arafat de l’échanger contre certaines parties de la Cisjordanie, Yasser Arafat lui aurait ri au nez. Mais Ozan avait une idée. Il croyait dur comme fer que malgré la chaleur, la proximité de deux frontières à risque et sans aucune garantie que les plantes pourraient pousser, il pourrait planter des etrogs et voir son travail porter ses fruits.
« Je savais que c’était un endroit propice pour l’etrog. Mon cœur me disait que cette terre était fertile », raconte Ozan, en se tenant au milieu de son immense verger qui aurait dû produire plus de 100 000 fruits cette année. « J’ai vu que beaucoup de fermiers dans le coin cultivaient des citrons et des oranges, et c’est de la même
famille ».
Ozan a emménagé à Bnei Netzarim, l’une des trois communautés qui composent l’enclave de Halutza, en 2000. Il a commencé à planter ses arbres rapidement après son installation, et très vite les arbres produisaient de magnifiques fruits – à l’odeur sucrée, sans aucune marque et avec une peau aussi douce que celle d’un nouveau-né.
Cependant, en vertu de la loi juive, un fermier doit attendre quatre ans avant de tirer profit de ses arbres fruitiers. Chaque année, il a patiemment taillé ses arbres en s’émerveillant des « diamants », comme il les appelle, qu’ils produisaient – de beaux citrons purs qui pourraient lui apporter entre 100 et 400 dollars sur le marché américain.
Les etrogs sont importants pour les Juifs pendant la période automnale (dans l’hémisphère Nord) pour la fête de Souccot. Les fruits les plus beaux ont beaucoup de valeur tandis que ceux abîmés ne valent rien.
Ozan était prêt pour une magnifique récolte pour l’année 2014 qui aurait enfin récompensé ses efforts.
Et là, l’opération Bordure protectrice a été lancée. Les roquettes ont atterri dans les champs et les rues aux alentours de Halutza. Ses travailleurs agricoles, pour la plupart des travailleurs arabes des communautés avoisinantes, sont restés à l’écart, craignant aussi bien les roquettes que le sentiment anti-arabe.
Lorsque j’ai rencontré Ozan dans son verger, les allées de son verger étaient jonchées de fruits qui n’ont pas été cueillis à temps et qui sont tombés sur le sol. Ces citrons abimés et meurtris, qui étaient destinés aux communautés juives aux Etats-Unis, iront à la poubelle.
Il estime qu’il a perdu 40 % de sa récolte cette année, ce qui équivaut à plus d’un million de shekels.
Je lui ai demandé s’il était en colère.
« En colère contre qui ? » m’a-t-il interrogé. « Contre mon pays ? Contre les Palestiniens ? Je suis en colère tous les jours, pas à cause des etrogs, mais à cause de ce qu’ils font à mon peuple tous les jours. Comment cela peut-il m’aider ? ».
Une exception à la règle
Ozan a d’autres cultures – des tomates, des pommes de terre, et différentes choses – donc même s’il connait un coup dur cette année, la guerre ne l’a pas ruiné.
Debout dans la chaleur étouffante de Halutza, avec les etrogs détrempés à nos pieds et le soleil éblouissant, son optimisme est surprenant. L’histoire des anciens résidents juifs de Gaza semble être le recommencement de ce triste schéma – l’extrémisme, les bouleversements et aucune solution.
Le conflit de l’été dernier, qui a été le témoin d’une pluie de roquettes prophétiques sur presque tout le pays et qui a vu des milliers de soldats passer les portes de Gaza, était pour beaucoup la confirmation que le retrait était une véritable honte. Un échec aux proportions effroyables, qui s’est mesuré au son des sirènes et au sang que les Israéliens ont versé. Un Waterloo, si jamais il devait y en avoir un autre.
Les habitants des trois communautés de Halutza – Bnei Netzarim, Naveh et Schlomit – sont tous des orthodoxes modernes et penchent politiquement à droite. Ils ne voulaient pas quitter Gaza, et ne pensent certainement pas qu’Israël devrait céder des territoires en Cisjordanie ou dans le Golan.
Ils croient au Grand Israël, ils ont le sentiment qu’Israël n’a pas à négocier la paix et ont ressenti une immense satisfaction lorsque les habitants laïcs de gauche de Tel Aviv ont dû se protéger des roquettes qui atterrissaient en provenance de Gaza.
Rien de tout cela ne compte, affirme Yedidya Harush, un agent de liaison entre le KKL et Halutza. Harush, 26 ans, est né et a grandi dans la communauté d’Atzmona du Gush Katif et avait 17 ans à l’époque du retrait.
Plus tard, lorsqu’il était parachutiste dans l’armée israélienne, il était stationné juste en dehors de Gaza. Parfois, il allait dans la salle de contrôle, où les soldats surveillent les transmissions satellites, et zoomait sur les rues du quartier où se trouvait son ancienne maison.
« Je le fais encore avec Google Earth, parfois, juste pour ne pas oublier. Et je montre à mes enfants où j’ai grandi », raconte-t-il. « D’un côté, je suis passé à autre chose. Mais d’un autre, je n’ai jamais oublié. Et je ne veux pas oublier. Cela fait partie de mon histoire ».
Harush est impliqué dans la communauté de Halutza depuis sa création. En s’associant avec le KKL, la communauté a pu avoir de nombreux avantages comparés aux anciens résidents de Gaza.
En utilisant les fonds collectés par la Diaspora juive, le KKL a construit leur école, a construit l’entrée de la communauté, et a dessiné les plans de leurs parcs et de leurs centres communautaires. Mais Harush insiste sur le fait que c’est l’attitude de Halutza qui les différencie.
« Nous avons décidé que quoiqu’il arrive, nous allions passer à autre chose et continuer [notre chemin] », explique-t-il. « Cela nous demande beaucoup de force pour nous dire : ‘ok, c’est arrivé. C’est comme ça’. Nous avions deux choix. Nous avons fait le choix d’essayer de transformer ce qui nous est arrivé en quelque chose de positif ».
Aujourd’hui, Halutza, qui vient du mot hébreu « pionnier », est composé de 250 familles. Cent cinq familles vivent à Bnei Netzarim, la plus grande et la plus développée des trois communautés, comme c’est le cas pour la communauté de Naveh, qui arrive en deuxième. Shlomit, qui a émergé deux ans auparavant, est la plus petite et la plus primitive des trois communautés est composée de jeunes familles. Cela va changer, affirme Harush – le Shlomit du futur sera fièrement composé de 1 500 familles, précise-t-il, et sera la plus grande ville de cette région.
A l’origine, Halutza n’était composée que d’anciennes familles qui résidaient à Gaza, aujourd’hui ce n’est plus le cas. En dépit de la proximité de Gaza et de l’Egypte, l’air poussiéreux, et la réalité de la menace terroriste, il est facile de voir ce qui pousse les familles à s’installer ici.
A Bnei Netzarim, les exploitations, qui coûtent une fraction de ce que coûterait un deux-pièces à Tel Aviv, s’élèvent sur les pelouses entourées d’arbres fruitiers. Les bicyclettes jonchent les rues. Les voisins, qui ont souvent grandi ensemble à Gaza, laissent les portes ouvertes et on peut aller d’une maison à l’autre. Il y règne une ambiance similaire aux villages qui existaient il y a 50 ou 60 ans. Et, ajoute Harush, la qualité est contrôlée.
Les familles installées à Halutza sont toutes religieuses et ont la même vision de la vie. Celles qui souhaitent s’y installer passent par un comité de sélection. « Nous voulons nous assurer que les familles qui s’installent à Halutza sont de bonnes familles, parce que lorsque vous plantez un arbre, si vous ne le plantez pas droit, dans 10 ans, il sera impossible de le redresser », analyse-t-il. « Nous voulons que la graine de ses familles soit forte ».
Pendant la guerre, cet été, beaucoup de communautés aux alentours de Halutza, dans la région d’Eshkol, sont devenues des villes fantômes. Les familles, aussi bien terrifiées par les roquettes qui tombaient sans cesse que par la découverte des tunnels terroristes du Hamas, ont plié bagage et sont parties se réfugier dans le Nord. Beaucoup ont attendu la fin de la guerre pour revenir.
Les familles reviennent au compte-goutte. Mais des centaines de familles ne sont toujours pas rentrées et Harush craint qu’elles ne reviennent jamais.
A Halutza, cependant, personne n’a fui. La communauté a pris la décision commune de braver la tempête, mais grâce au KKL, ils ont eu un avantage que beaucoup d’autres n’ont pas eu.
Le deuxième jour de guerre, Harush a appelé le président du KKL et lui a expliqué que de nombreuses familles de Shlomit habitaient dans des logements temporaires et qu’il manquait d’abris appropriés. Il lui a expliqué qu’il avait besoin d’un million de dollars pour construire 40 abris. On lui a immédiatement donné les fonds nécessaires, et les abris ont été construits la même semaine.
« Nous croyons en quelque chose. Nous avons une mission », explique Harush. « Nous construisons l’Etat d’Israël. Maintenant, c’est dans le Néguev. Aujourd’hui, c’est la plus importante mission nationale, bien plus importante que les autres parties du pays. Nous ne voyons aucun obstacle, juste notre but qui se trouve devant nos yeux ».
L’agriculture sous les tirs
Alors que les travailleurs agricoles employés par Ozan sont restés à l’écart, les habitants de Halutza qui travaillent dans les champs ont continué à se présenter au travail tous les jours, qu’il y ait des alertes ou non.
Nava Uner, une Juive originaire d’Afrique du Sud qui s’est convertie récemment au judaïsme, a planté des tomates en plein milieu de la guerre. « Lorsque les sirènes retentissaient, nous nous allongions dans les champs et ensuite nous nous levions et reprenions nos activités », raconte-t-elle. « En réalité, cela nous faisait du bien, comme si rien ne pouvait nous arrêter. Et le fait de planter quelque chose qui pousse – c’est juste à l’opposé de ce qu’est la guerre. On se sentait libre ».
Uner est l’un des trois fermiers qui reçoiveNt de l’aide de Halutza grâce au programme du KKL appelé Young Farmers Incubator [L’incubateur des jeunes fermiers]. Ce programme permet de mettre en relation de futurs fermiers avec des fermiers aguerris qui deviendront leurs mentors.
Ces mentors les aident sur le terrain et les aident à subventionner le coût (parfois conséquent) de l’achat des graines, de la formation, et la mise en place de la culture. Elle et son mari, de nouveaux religieux, vivent à Bnei Netzarim.
« Nous sommes tombés amoureux de cet endroit », déclare-t-elle. « Et le fait que nous soyions des fermiers et fassions ce que nous adorons – il y a un potentiel énorme à faire partie de cette communauté ».
Personne à Halutza n’a le sentiment que la guerre de Gaza a mis fin aux hostilités ou a été un tournant dans le processus de paix. Tout le monde sait qu’une autre guerre menace d’éclater au prochain tournant, peut-être dans quatre ans, probablement dans deux ou trois ans.
La plupart d’entre eux, comme Ozan, ne veulent pas vraiment en parler. Ozan préfère marcher dans les allées de son verger, où les jeunes etrogs sont entourés de gaze pour qu’ils ne s’abiment pas, et espérer voir un autre « diamant » apparaître sur les branches.
« Les Juifs, je pense, sont optimistes », affirme Ozan. « Nous observons ce qui arrive et nous disons ‘ hakol yihiyeh tov’ [tout ira bien]. Il est trop difficile de regarder en arrière. Si je le fais, je serais comme la femme de Lot [dans la Genèse], je me transformerais en statue de sel. De ce fait, je regarde uniquement vers l’avant ».
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