Des bébés kurdes en danger de mort à cause de la bureaucratie israélienne
Des médecins israéliens sont prêts à opérer ces enfants kurdes en danger de mort, mais le désordre bureaucratique empêche leur venue dans le pays

Il y a trois semaines, des médecins de l’hôpital Sheba près de Tel Aviv ont informé la famille de la petite Hena qu’elle devait subir une intervention chirurgicale d’urgence dans les deux semaines, ou ils risquaient de la perdre.
Bien qu’ils ne l’aient jamais vue, les médecins de Sheba étaient prêts à soigner Hena, née le 21 janvier au Kurdistan irakien avec de nombreuses complications de santé, y compris une atrésie pulmonaire, une malformation cardiaque qui rend difficile l’arrivée du sang dans les poumons pour y puiser de l’oxygène, ce qui la met en danger immédiat.
Mais pour qu’Hena puisse se rendre à l’hôpital pour cette opération qui pourrait lui sauver la vie, son cas doit passer par un redoutable parcours bureaucratique en Israël, compliqué par les restrictions spéciales entrant dans le cadre de la lutte contre le coronavirus – ce qui la laisse, elle et d’autres enfants, dans une situation terrible et difficilement inextricable.
« C’est une période vraiment difficile pour moi – quand je regarde ma fille malade et que je ne peux rien faire pour elle », a déclaré le père de Hena au Times of Israël depuis un camp de réfugiés près de Duhok, en Irak. « On nous a dit que nous devions l’emmener en dehors du pays et qu’il était difficile de voyager, en particulier en Israël. »
Hena est l’une des neuf bébés du Kurdistan irakien à avoir vu sa demande d’entrée en Israël pour une chirurgie cardiaque d’urgence être rejetée au cours des deux dernières semaines, alors que la bureaucratie israélienne fait transférer ses demandes entre différents bureaux officiels. Quatre des enfants souffrent de transposition des grosses artères, un syndrome mortel dans lequel les artères principales transportant le sang du cœur sont inversées. Cette condition peut être soignée par une intervention chirurgicale pratiquée sur les nourrissons au cours des deux premiers mois de leur vie.
La venue d’un universitaire kurde luttant contre un cancer du foie de stade IV a également été refusée.
« Ils n’ont pas d’autre choix qu’Israël », a déclaré Jonathan Miles, fondateur de Shevet Achim, une organisation humanitaire chrétienne qui conduit des enfants de pays arabes voisins en Israël pour qu’ils y reçoivent un traitement médical. (Par souci de transparence : l’auteur de ces lignes a voyagé avec Shevet Achim au Kurdistan irakien en 2014 pour un reportage sur les efforts de l’organisation visant à amener des bébés en Israël pour une intervention chirurgicale.)
En plus de vingt ans, Shevet Achim a facilité les traitements médicaux vitaux pour des centaines d’enfants palestiniens, jordaniens, irakiens et syriens dans des hôpitaux israéliens. Le groupe a travaillé en étroite coordination avec Save A Child’s Heart à l’hôpital Wolfson de Holon, et plus récemment avec les médecins et les infirmières de l’établissement Sheba.
Israël a fortement restreint l’entrée dans le pays par voie terrestre et aérienne depuis le 25 janvier, y compris pour ses propres citoyens, dans le but d’empêcher de nouveaux variants contagieux du coronavirus d’entrer dans le pays. Une commission des exemptions gérée par le gouvernement avait été mise en place pour accorder au cas par cas une autorisation à ceux qui cherchaient à entrer dans le pays, bien que son processus décisionnel opaque – qui pourrait avoir été motivé politiquement à l’approche des élections – lui a été reproché.

Néanmoins, le mécanisme pour accueillir des enfants malades a fonctionné sans heurts jusqu’à ce mois-ci, a déclaré Miles.
Shevet Achim devait soumettre une demande au ministère de l’Intérieur, qui demandait à l’agence de sécurité intérieure du Shin Bet d’effectuer des vérifications sécuritaires. Le ministère de l’Intérieur envoyait alors un avis au service consulaire d’Israël à Amman, en Jordanie, pour fournir des visas aux enfants et à un membre de leur famille.
« Le consulat israélien devait également faire appel à la commission des exemptions par l’intermédiaire du ministère des Affaires étrangères » pour autoriser l’entrée en Israël, a expliqué Miles.
Le processus prenait un jour.

Il y a actuellement huit bébés kurdes traités dans les hôpitaux israéliens dont la venue a été approuvée dans le cadre de cette procédure. Ils ont reçu l’approbation du ministère de l’Intérieur le 27 janvier, ont reçu des visas le 2 février et sont entrés en Israël via la Jordanie la semaine dernière.
Mais les choses semblaient avoir changé quand le personnel de Shevet Achim a soumis des demandes à l’autorité de la Population et de l’Immigration du ministère de l’Intérieur pour six bébés le 9 mars, et trois autres le 15 mars.
L’autorité de la Population et de l’Immigration a informé l’organisation qu’elle ne traiterait pas les demandes avant d’avoir obtenu l’approbation de la Commission des exemptions, ce qui semble être un changement dans la procédure.
« L’Intérieur s’est mis à expliquer qu’il devait d’abord voir la lettre [de la Commission des exemptions] », a déclaré Miles, « et cela a renversé l’ensemble du processus. Tout le monde dit : ‘Non, vous allez d’abord là-bas, d’abord là’, et personne ne fait rien ».

Le 11 mars, le ministère de l’Intérieur a informé Miles qu’il accepterait les demandes, mais qu’il n’enverrait pas la lettre d’approbation à l’ambassade en Jordanie avant d’avoir reçu la lettre de la Commission des exemptions.
Conformément aux instructions du ministère de l’Intérieur, Miles a soumis les demandes à la Commission des exemptions, avec des lettres d’invitation de l’hôpital Sheba pour chaque enfant. Toutes les demandes ont été rejetées. La Commission a informé Miles que les demandes devaient provenir directement de l’hôpital israélien qui traiterait les patients, et que les invitations n’étaient pas suffisantes.
La Division du tourisme médical international de Sheba s’est tournée vers le médecin de la Commission des exemptions, qui a informé le personnel de Sheba qu’il devait d’abord obtenir une lettre d’approbation du Shin Bet, puis de l’autorité de la Population et de l’Immigration, avant d’envoyer le dossier à la Commission des exemptions.
Lundi, Miles a écrit à Michal Yosefov, directeur du département des Entrées temporaires de l’autorité de la Population, soulignant que « chaque jour qui passe, un ou plusieurs bébés peuvent mourir. Il est évident pour tout le monde que ces cas répondent aux critères de la Commission ».
« Selon les informations disponibles, la venue des enfants en Israël n’a pas été approuvée à ce stade », a été concrètement sa réponse. « Si une autre décision est prise, nous agirons en conséquence. »
Sabine Hadad, porte-parole de l’autorité de la Population et de l’Immigration, a affirmé qu’elle n’était au courant d’aucun changement dans la procédure d’approbation de l’entrée en Israël.
« Le permis nécessaire vient du ministère de la Santé », a-t-elle déclaré au Times of Israël. « Et si le cas est effectivement urgent, ils peuvent se tourner en urgence vers le ministère de la Santé. Nous ne retarderons certainement pas le processus, mais présenter de fausses déclarations est un problème plus grave. »
Miles a déclaré que la réponse de Hadad n’avait de sens que si elle faisait référence au représentant du ministère de la Santé au sein de la Commission des exemptions.
« Pendant de nombreuses années, le ministère de l’Intérieur a sanctifié le nom de Dieu en aidant à sauver des vies d’enfants dont personne d’autre ne se soucie. S’ils font maintenant le premier pas en donnant leur approbation, nous pensons que les autres autorités suivront leur
exemple », a déclaré Miles en réponse à la déclaration de Hadad.

Barak Sari, porte-parole du ministre de l’Intérieur Aryeh Deri, a refusé des demandes répétées de commentaires par téléphone et SMS.
Pour Miles, ressortissant américain, le désordre bureaucratique actuel va à l’encontre de son expérience avec Israël et son peuple au cours des deux dernières décennies.
« Pendant de nombreuses années, le cœur du peuple d’Israël s’est soucié de la vie de ces enfants », a déclaré Miles. « Ils font tout leur possible pour les sauver quand personne d’autre au monde ne semble s’en soucier. Telle est la gloire du peuple d’Israël. Je suis convaincu que c’est ce que sont ces gens, ce qu’ils sont appelés à faire dans ce monde. »
« C’est pourquoi personne ne peut accepter qu’une commission se renverse soudainement et empêche le peuple d’Israël de montrer son hessed et sa rachmanut à ses voisins », a-t-il conclu, utilisant les termes en hébreu pour évoquer des actes de bonté et de miséricorde.

« Ce cas humanitaire extrême est apparemment tombé entre les mailles du filet, entre la fermeture et la réouverture ultérieure de l’aéroport », a déclaré la députée Michal Cotler-Wunsh, qui s’efforce de trouver une solution rapide. « Il est impératif de remédier à cela, et j’espère que le ministre de la Santé que j’ai contacté donnera la priorité et accélérera, en lien avec le ministère de l’Intérieur, pour permettre ces procédures médicales vitales. »
« J’essaye de voir la nature humaine »
Le père de Hena, qui a demandé que son nom ne soit pas utilisé en raison de la sensibilité de la situation, a déclaré au Times of Israël qu’il avait placé ses espoirs sur Israël après avoir été informé que les médecins irakiens ne pouvaient rien faire pour Hena et qu’elle devait être traitée « urgemment » à l’étranger.
Il affirme que le voyage de sa fille dans un hôpital israélien ne lui posait pas de problème. L’Irak ne reconnaît pas le droit d’Israël à exister et les deux pays restent techniquement en guerre à ce jour, mais de nombreux Kurdes, qui cherchent à fonder leur propre État, sont en faveur de relations amicales avec Israël.
« Je vois Israël comme chaque pays. J’essaye de voir la nature humaine derrière les pays, sans le prisme de la religion ou de l’idéologie. Je vois Israël comme un pays qui s’inquiète de ceux qui sont dans le besoin et s’efforce de les aider », a déclaré le père, un Yézidi originaire de Sinjar.

Le responsable universitaire kurde souffrant d’un cancer du foie, qui a également demandé à ce que son nom ne soit pas publié, a lui déclaré avoir été informé par ses médecins qu’Israël était la meilleure option pour lui.
« Je comprends qu’il existe des réglementations en place pour les étrangers qui souhaitent se rendre en Israël et je m’engage pleinement à respecter toutes les réglementations », a-t-il souligné. « J’ai choisi Israël parce que le pays a le meilleur traitement disponible pour mon cas. J’ai également déclaré que je paierais moi-même toutes les dépenses, ce qui aiderait le secteur du tourisme médical israélien », a-t-il déclaré.
« En tant que Kurdes, nous croyons qu’Israël et le peuple israélien sont ceux qui sont le plus proches de nous », a-t-il poursuivi. « Nous avons un profond respect pour Israël et partageons de nombreux points communs dans lesquels nous pouvons investir pour renforcer davantage les relations et les liens dans un environnement hostile aux deux parties. »

La Commission des exemptions de l’autorité de la Population et de l’immigration a également rejeté les demandes de neuf volontaires de Shevet Achim d’entrer dans le pays.
« Nous constatons que la demande telle que formulée doit être rejetée, pour les raisons suivantes : votre demande ne répond pas aux critères établis et, en particulier, ne reflète pas un besoin humanitaire ou un besoin personnel particulier justifiant l’approbation de votre demande », a répondu la Commission le 18 mars à une demande de bénévolat. « Nous espérons que nous pourrons tous prochainement surmonter la crise actuelle et les nombreux défis qui l’accompagnent, et revenir à la vie normale. »
L’organisation ne compte actuellement que six membres en Israël afin d’aider aux soins de plus de 15 familles, venues dans le pays pour obtenir un traitement médical.

Le groupe travaille toujours avec acharnement pour essayer de couper les ronces de la bureaucratie dans l’espoir de pouvoir emmener les patients en Israël à temps pour les sauver. En attendant, la famille de Hena veille à ses côtés dans un hôpital de Duhok, avec chaque jour plus de tristesse que le précédent.
« Elle attend, la famille attend », a déploré Miles. « Il n’y a aucune nouvelle de la Commission des exemptions, et ils regardent juste ce bébé s’approcher de la mort. »
Aaron Boxerman a contribué à cet article.
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