Des élus approuvent l’utilisation par la police de caméras de reconnaissance faciale
Le projet de loi présente les caméras comme un outil de lutte contre la criminalité dans la communauté arabe ; le conseiller juridique du ministère de la Justice l'a aussi approuvé
Carrie Keller-Lynn est la correspondante politique et juridique du Times of Israël.
Une commission ministérielle a voté lundi pour apporter le soutien du cabinet à un projet de loi parrainé par le gouvernement visant à légaliser l’utilisation par la police de caméras de reconnaissance faciale placées dans les espaces publics à travers Israël.
La législation, soutenue par le ministre de la Justice Yariv Levin et le ministre de la Sécurité nationale Itamar Ben Gvir, est présentée comme un effort du gouvernement pour lutter contre la criminalité dans les communautés arabes, mais les critiques disent qu’il manque des garde-fous suffisamment clairs sur cette technologie puissante, en particulier au vu des récentes allégations d’utilisation abusive par la police d’autres outils avancés.
Des sources proches de Levin ont déclaré que le projet de loi a été présenté en urgence lors d’une session spéciale de la commission des Lois, où il était le seul point à l’ordre du jour, afin de le préparer pour une prochaine session spéciale de la Knesset, qui devrait se tenir avant que cette dernière ne reprenne du service le 15 octobre. Le Parlement israélien doit tenir sa prochaine session extraordinaire mardi, mais la source a déclaré qu’il était peu probable que le projet de loi soit prêt à temps.
Le soutien formel de la commission des Lois de la Knesset facilite le passage d’un projet de loi et permet généralement d’obtenir le soutien de la coalition pour la législation. L’approbation du projet de loi par la commission ministérielle, lundi, est soumise à un certain nombre de réserves émises par cette dernière.
Avant la réunion de lundi, un conseiller juridique du ministère de la Justice a émis un avis juridique qui soutenait le projet de loi, mais soulignait également l’attente d’une législation ultérieure pour affiner l’utilisation de l’outil et les protections de la vie privée.
La police soutient le projet de loi et, lundi, le chef de la police israélienne, Kobi Shabtaï a salué la technologie de reconnaissance faciale comme un « outil salvateur » qui pourrait être essentiel pour lutter contre le crime organisé, en particulier dans les communautés arabes.
« Le projet de loi qui est soumis aujourd’hui à l’approbation de la commission ministérielle est un outil de sauvetage, sans lequel la police israélienne ne serait pas en mesure de faire face au terrorisme criminel, aux affaires de meurtre et aux tentatives d’assassinat dans la communauté arabe », a déclaré Shabtaï à son équipe de commandement lors de leur réunion hebdomadaire.
Selon The Abraham Initiatives, une organisation à but non lucratif qui recense les crimes violents dans la communauté arabe, 175 membres de la communauté arabe d’Israël (166 citoyens arabes israéliens et 9 Palestiniens non-citoyens) ont été tués depuis le début de l’année, principalement dans des fusillades, liée en grande partie au crime organisé. Ce chiffre représente plus du double des 79 personnes tuées dans la communauté à la même époque l’année dernière.
Selon le projet de loi, la police sera autorisée à déployer la technologie de reconnaissance faciale pour « prévenir, contrecarrer ou découvrir des crimes graves et les personnes impliquées dans leur planification ou leur exécution ». Ce projet de loi est similaire à un autre projet de loi, en attente des derniers votes de la Knesset, qui légaliserait rétroactivement l’utilisation du programme controversé et non réglementé, Hawk-Eye, qui permet de suivre et d’identifier les plaques d’immatriculation et de déterminer si le véhicule a été volé ou si le permis de conduire de son propriétaire a expiré.
Le projet de loi permet également à la police de conserver et d’utiliser les données recueillies par les caméras biométriques de reconnaissance faciale pour enquêter sur des activités criminelles, mais exige que la police purge les données qui ne sont pas utilisées pour une identification en temps réel dans les 72 heures.
En 2020, une source policière avait déclaré que les forces de l’ordre avaient compilé des informations sur les déplacements d’Israéliens non-soupçonnés de crime dans une base de données secrète. La police avait déclaré à l’époque que l’utilisation du système était « validée par des outils juridiques et utilisée de manière ordonnée en cas de besoin ».
Alors que Shabtaï a déclaré que le projet de loi proposé représente « un équilibre entre la nécessité de préserver la vie humaine et l’importance de protéger les droits individuels », les critiques affirment qu’il n’y a pas de mécanisme de supervision clair.
Dans sa version actuelle, le projet de loi ne fournit que des lignes directrices vagues en matière de supervision et accorderait à la police une large autorité pour déployer des caméras de reconnaissance faciale dans les espaces publics. Lundi, la commission des Lois a assorti son approbation de conditions, notamment l’exclusion explicite des « événements liés à la liberté d’expression » – tels que les manifestations – du déploiement des caméras.
Ben Gvir a insisté à maintes reprises sur la nécessité d’une application plus stricte de la loi contre les manifestations de masse qui ont eu lieu au cours des neuf derniers mois pour protester contre le plan de restructuration judiciaire du gouvernement, lui-même dirigé par Levin.
En outre, le projet de loi confie à la police la responsabilité de superviser sa propre utilisation des caméras, bien que les forces de l’ordre soient obligées de présenter des rapports annuels à la Knesset et au procureur général sur l’utilisation des caméras.
Certains craignent également que la nouvelle technologie ne porte atteinte à la vie privée, notamment parce que les caméras nécessitent l’accès à des bases de données existantes de photographies biométriques afin de pouvoir procéder à des identifications en temps réel.
Il s’agit notamment des photographies biométriques détenues par un certain nombre d’organismes chargés de l’application de la loi, dont Tsahal, l’agence de sécurité intérieure du Shin Bet et tout autre organisme public consulté par le ministre de la Justice, avec l’approbation de la commission de Sécurité nationale de la Knesset.
La commission des Lois a également conditionné son soutien au projet de loi à une discussion avec l’autorité qui supervise l’application des données biométriques « au sujet de la supervision technologique et de la durée [de détention] des photographies », selon un porte-parole de Levin.
Shabtaï a affirmé que « l’outil ne sera utilisé que sous réserve de mécanismes de supervision et de contrôle qui garantiront son utilisation à des fins fixées par la loi et dans le cadre de restrictions [légales] », et que des « sanctions » non spécifiées seraient imposées en cas d’utilisation abusive.
La police a fait l’objet d’un examen minutieux mais n’a eu que peu de répercussions pour avoir outrepassé les mandats délivrés par les tribunaux en déployant des logiciels espions pour pirater les téléphones des Israéliens. L’étendue de l’utilisation par la police du logiciel Pegasus du groupe NSO et d’autres technologies similaires n’est toujours pas claire.
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Depuis qu’il a été nommé ministre de la Sécurité nationale en décembre, Ben Gvir, un homme d’extrême-droite, a fait pression pour obtenir des pouvoirs accrus, même si ses demandes se sont heurtées à des problèmes de droits civils.
Tehilla Shwartz Altshuler, experte en politique des technologies de surveillance à l’Institut israélien de la démocratie (IDI), a écrit sur X – anciennement Twitter – dimanche que le projet de loi soutenu par Ben Gvir et Levin « qui permettrait à la police de placer des caméras de reconnaissance faciale dans les espaces publics et lors des manifestations avec une supervision minimale » est « aussi horrible et dangereux qu’il en a l’air ».