« Des murs, rien que des murs » : l’éprouvante détention de Roland Marchal en Iran
Pendant neuf mois et demi, le chercheur français Roland Marchal a vécu l'enfer de l'arbitraire dans une prison iranienne
Des interrogatoires « surréalistes », l’angoisse de l’isolement et à la fin « la peur » même d’espérer : pendant neuf mois et demi, le chercheur français Roland Marchal a vécu l’enfer de l’arbitraire dans une prison iranienne, avec pour seul horizon « des murs, rien que des murs ».
Deux semaines après sa libération et son retour en France le 21 mars, l’universitaire a raconté à l’AFP comment il avait été arrêté, brisé moralement et avait dû laisser sa compagne, la franco-iranienne Fariba Adelkhah, derrière lui dans la sinistre prison d’Evine.
Arrêté dès sa descente d’avion le 5 juin 2019 à Téhéran, où il venait rendre visite à son amie, chercheuse comme lui à Sciences Po à Paris, Roland Marchal, 64 ans, pense d’abord que tout cela n’est qu’un malentendu et qu’il sera vite relâché.
« On m’a tout de suite emmené dans une salle, on a pris mes bagages, mon ordinateur, mes ‘cell phones’ (portables), mon Ipad et j’ai dû donner les mots de passe immédiatement », relate ce spécialiste de la Corne de l’Afrique, rencontré mardi à Paris.
Il est interrogé « quatre, cinq, six heures », « fouillé complètement », conduit dans ce qui ressemble à un camp militaire, où il passe la nuit, puis dans un quartier de haute sécurité.
« J’avais les yeux couverts par un bandeau, j’ai quand même vu qu’on arrivait à Evine que je connaissais de nom. Ce n’était pas une bonne nouvelle », se souvient-il.
Le procureur lui signifie alors « trois chefs d’accusation », passibles de jusqu’à dix ans de prison. Il sera notamment poursuivi pour « collusion en vue d’attenter à la sûreté nationale », tout comme Fariba Adelkhah. Les Gardiens de la Révolution, bras idéologique du régime iranien, l’accusent d’être un espion à la solde de la France et des Etats-Unis.
« J’ai dû quitter mes vêtements normaux, revêtir les vêtements de la prison (..) et me suis retrouvé dans une cellule », poursuit-il.
« Une partie de l’année en Afrique »
Son état physique se dégrade alors rapidement. « Je n’ai jamais été torturé, j’ai été nourri convenablement, j’ai eu accès à un médecin », dit-il. Mais « le stress, l’angoisse, l’enfermement, l’isolement » l’anéantissent.
« Quand j’ai su que mon amie Fariba était elle-même emprisonnée, je me suis dit que cela allait être très difficile, très long », ajoute-t-il.
Deux équipes d’interrogateurs se relaient, certains « plus gentils », d’autres « beaucoup plus durs ». Il fouillent sa biographie, ses études secondaires, supérieures, ses articles des années 90…
« Ce qui m’a beaucoup frappé et cela m’a mis vraiment en colère, c’était leur mépris affiché pour tout ce qui concernait l’Afrique », relève-t-il. On le soupçonne de travailler secrètement sur l’Iran, sous couverture africaine.
« Moi je leur expliquais que je passe une bonne partie de l’année en Afrique et je suis très content de le faire (..) que j’écris sur l’Afrique et que ce continent, d’un certain point de vue, est beaucoup plus intéressant et prête beaucoup plus à l’optimisme, malgré tous ses problèmes, que l’Iran », dit-il.
Roland Marchal est de plus en plus tenu au secret. Son avocat n’a pas accès à lui, les visites consulaires – dues à tout ressortissant français détenu à l’étranger – se raréfient.
« J’avais accès à des livres (..) mais cela pouvait être très long avant d’avoir de nouveaux livres. Je ne pouvais pas appeler ma famille alors que les autres détenus appelaient une, deux fois par semaine », observe-t-il
La menace du coronavirus
Le chercheur croit convaincre un jour ses geôliers de son innocence, désespère le lendemain de leur faire entendre raison.
« À la fin on a peur de l’espoir, parce qu’on espère beaucoup, on espère malgré tout, malgré toute l’évidence qu’on est là pour longtemps », pointe-t-il avec émotion. Et la déception, « cela fait évidemment très mal ».
En février, une nouvelle menace, sournoise et mortelle, commence à pointer, l’épidémie de Covid-19 dont l’Iran devient l’un des principaux foyers.
« On a vu les gardes petit à petit s’affoler, porter des gants, des masques », dit-il.
Le risque de contamination, pourtant, ne l’affole pas. « J’avais peur d’être enfermé, isolé, de ne plus avoir de livres. Mes peurs c’était cela. Après, le coronavirus, au point où en était… », soupire-t-il.
Le 20 mars finalement, Roland Marchal quitte sa prison, échangé contre un Iranien détenu en France, selon Téhéran. Le lendemain il retrouve la France, Paris totalement confinés, pourtant synonymes pour lui de liberté.
« Là-bas, c’était les murs, l’isolement, l’enfermement (..) Ici je peux appeler ma famille, regarder à travers la fenêtre de mon appartement, je vois la lumière du jour », sourit-il.
Il lui faut maintenant se reconstruire, reprendre des forces physiques, mentales. Et se battre pour obtenir la libération de Fariba Adelkhah.
« Oui cela va être long parce que l’Iran ne reconnaît pas la double nationalité » et que les Gardiens de la Révolution sont braqués contre l’Occident, concède-t-il. « Mais cette fois, il faut garder l’espoir. »