« Diminuer drastiquement l’usage du béton » dans la construction pour sauver le climat
La construction est responsable de près de 40 % des émissions de gaz à effet de serre mondiales selon l'ONU, dont 28 % liées à l'utilisation de l'énergie et 11 % aux matériaux
Diminuer « drastiquement l’usage du béton », privilégier les « matériaux locaux » et généraliser leur « réutilisation » : la planète doit réinventer des circuits courts pour que le secteur du bâtiment ait moins d’impact sur le climat et résiste mieux aux effets du réchauffement, déclare Lina Ghotmeh, architecte franco-libanaise de 42 ans.
La construction est responsable de près de 40 % des émissions de gaz à effet de serre mondiales selon l’ONU, dont 28 % liées à l’utilisation de l’énergie (lumière, chauffage, climatisation), et 11 % aux matériaux.
Pour Lina Ghotmeh, qui a accordé un entretien à l’AFP avant la conférence des Nations unies sur le climat COP27 de Charm-El-Cheikh en Egypte, la « première étape » pour réduire l’empreinte carbone de la construction est de « conserver l’existant, ne pas démolir » et « travailler sur la rénovation énergétique pour réduire la consommation des bâtiments et les rendre plus bioclimatiques ».
Mais difficile selon elle « d’arrêter de construire » du neuf vu les besoins en logements : « Ce serait comme dire d’arrêter de se nourrir. »
« Ce qu’il faut, c’est changer notre système de valeur », ajoute Mme Ghotmeh, qui a enseigné à l’université de Yale aux États-Unis, copréside une association pour l’architecture en milieu extrême, et vient d’être nommée au conseil d’administration du géant des matériaux Saint Gobain en tant que directrice indépendante.
Pour la manufacture de maroquinerie et sellerie d’un grand groupe de luxe qu’elle construit en France, l’architecte a choisi de construire avec de la brique, fabriquée à partir de la terre d’excavation du site, renforçant ainsi l’inertie du bâtiment – sa capacité à stabiliser sa température et réduire ses besoins en énergie. Pas de matériaux venant du bout du monde. Retour à des techniques ancestrales, associées à de la production d’électricité propre. Et au final un bâtiment « passif » qui produit plus d’énergie qu’il n’en consomme. L’inauguration est prévue début 2023.
Matériaux bio ou géosourcés
Pour elle, le défi des constructeurs face au réchauffement est double : réduire les émissions de CO2 et réduire les consommations. « Comment choisir des matériaux produits avec le moins d’impact carbone possible et dessiner une architecture bioclimatique, c’est-à-dire qui a besoin de moins d’énergie ? », résume-t-elle. Auquel s’ajoute un troisième : Comment bâtir plus léger avec moins de matière ?
L’architecte doit très en amont « réfléchir de manière circulaire, se dire que le matériau choisi sera capable un jour de revenir à la terre ou être réutilisé », et privilégier des origines bio ou géosourcées : bois, chanvre, lin ou pierre, et locales.
« Au Canada, on construit des tours en bois, au Japon aussi, c’est un matériau qui est tout à fait capable d’être utilisé pour des constructions hautes » même en s’adaptant à des réglementations qui « changent constamment » (hauteur, règlements anti-incendies…), dit l’architecte, qui s’apprête à construire une tour en bois à Paris en 2023.
« Dans ma démarche de projet, je regarde de façon scrupuleuse les étiquettes des matériaux », ajoute-t-elle, en « bannissant » par exemple ceux qui ont « trop de plastique, ou trop de colle », ou des étiquettes « pas assez transparentes » sur les composantes.
Beyrouth, terrain « précurseur »
Par ailleurs, « il faut diminuer drastiquement l’usage du béton », dit-elle, et réserver son utilisation aux chantiers pour lesquels il restera irremplaçable, par exemple pour les fondations et constructions en zone sismique.
Exactement ce qu’elle a fait à Beyrouth, la ville « éventrée », défigurée par la guerre où elle a grandi, et qui a suscité sa vocation de « construire ». Sa tour de logements baptisée « Stone Garden » (« jardin de pierre ») en béton couvert d’un enduit peigné issu d’un savoir-faire artisanal local, a résisté à l’explosion du port le 4 août 2020.
Sans dramatiser, elle envisage Beyrouth, ville « du collapse » (effondrement) comme un possible terrain « précurseur », un « avant-goût » de ce qui pourrait attendre nos sociétés pas encore sevrées de pétrole si elles s’effondraient à leur tour sous l’effet des canicules, sécheresses ou inondations liées au changement climatique. « Est-ce que nos systèmes sont résilients, est ce qu’ils sont capables de se transformer, de changer de systèmes de valeur ? » face aux bouleversements amenés par le réchauffement de la planète, s’inquiète-t-elle.
Beyrouth peut aussi être un laboratoire avancé de la transition : « Puisqu’il n’y a quasiment plus qu’une heure d’électricité par jour, j’ai vu que tous les bâtiments ont des panneaux solaires maintenant. Il y a une sorte d’indépendance énergétique qui commence à se mettre en place, par force. Est-ce-qu’il faut une catastrophe comme celle du Liban pour faire la transition ? »