Drame dans un atelier au Maroc: le Premier ministre promet des « sanctions »
L'inondation d'un atelier clandestin de textile qui a fait 28 morts lundi à Tanger ravive un débat ancien sur les conditions de travail et le respect des lois au Maroc

Le Premier ministre marocain a promis des « sanctions » après l’inondation d’un atelier clandestin de textile ayant fait 28 morts lundi dans un sous-sol de la ville de Tanger, ravivant un débat ancien sur les conditions de travail et le respect des lois au Maroc.
Un total de 28 corps, en grande majorité des femmes, ont été extraits des niveaux souterrains d’une maison privée, dans un quartier résidentiel inondé après des pluies torrentielles, selon le bilan communiqué mardi par les autorités locales à un correspondant de l’AFP.
« Les eaux ont subitement submergé l’espace confiné, les victimes se sont retrouvées coincées sans aucune issue de secours » et sont « mortes noyées », a déclaré Abderrahim Kabajj, le commandant régional de la protection civile dans un reportage de la chaîne publique 2M.
Lundi, les députés marocains ont observé une minute de silence à la mémoire des « martyres de l’économie informelle », avant les premiers enterrements organisés dans la soirée.

« Les responsabilités seront déterminées et les sanctions nécessaires prises (…) cela ne peut pas passer sans suite », a assuré le Premier ministre, Saad-Eddine El Othmani, dans un message de condoléances sur sa page Facebook.
Le drame amène « à reposer la question lancinante du respect du droit du travail », souligne pour sa part l’éditorial du quotidien L’Economiste en pointant « l’hypocrisie flagrante » d’un modèle économique « au visage hideux » permettant l’existence des « usines à misère ».
Pour le quotidien arabophone Al Massae, « une grande part de responsabilité (…) revient aux autorités locales qui ne sont pas intervenues pour fermer cette unité clandestine ».
Comme beaucoup, Mohamed Benaïssa, le président l’Observatoire du nord des droits humains, une ONG locale, s’interroge sur la « clandestinité » de cet atelier qui, selon lui, « existait depuis plus dix ans » avec un raccordement électrique de haut voltage « exigeant une attestation officielle ».
Et selon lui, « ce n’est pas le seul » à Tanger : l’association « a constaté l’existence de plusieurs autres ateliers situés dans des sous-sols de maisons sans aucun respect des normes de sécurité, même pendant la pandémie de coronavirus », a-t-il dit dans un entretien téléphonique avec l’AFP.
Plus de la moitié (54 %) de la production du secteur « textile et cuir » du Maroc provient d’unités « informelles », incluant des unités de production « ne répondant pas aux normes légales », selon une étude publiée en 2018 par la Confédération patronale marocaine (CGEM).

« Conditions défaillantes »
Le problème n’est pas nouveau : une étude du Bureau international du Travail datant du début des années 2000 évoquait déjà la « précarité des emplois » dans un système de sous-traitance marqué par une « protection sociale insuffisante », des « conditions de travail défaillantes », des salaires « souvent inférieurs au salaire minimum légal » -environ 250 euros.
En même temps, ce secteur considéré comme « stratégique » représente plus du quart des emplois industriels au Maroc – dont environ 200 000 dans le secteur informel – et pèse dans les exportations du royaume, selon les chiffres officiels.
Au fil des ans, de nombreux rapports ont noté « l’insuffisance des dispositifs de contrôle et de conformité aux normes » dans l’industrie textile.
Une étude publiée en 2019 par deux chercheurs de l’université Ibn Tofail, souligne ainsi l’importance de la « lutte contre la corruption » et de la « bonne gouvernance » face à une « mise en place fragmentaire des lois et des politiques ».
La ville de Tanger et son grand port, à quelques encablures de l’Espagne jouit d’une position privilégiée pour les exportations vers l’Union européenne.
Développé dans les années 1980, le secteur textile marocain souffre depuis plusieurs années de la concurrence des pays asiatiques, notamment la Chine, et de la Turquie.
Sa part de marché dans l’Union européenne, son premier débouché, a chuté d’environ 3% en 2019 à quelque 3 milliards d’euros, selon les chiffres officiels. Et la situation s’est encore détériorée en 2020 avec la crise sanitaire liée à la pandémie de coronavirus, malgré les efforts de reconversion rapide vers la production de masques sanitaires.