En Albanie, le seul musée juif menacé de disparition
Un petit espace dans la ville de Berat raconte l'histoire remarquable du seul pays occupé par les nazis qui comptait plus de Juifs après la Shoah qu'avant
Le seul musée juif d’Albanie, ultime témoin de cinq siècles d’histoire et d’un miracle de bravoure nationale, n’existait que par le dévouement de Simon Vrusho : sa mort en février laisse son avenir en suspens.
« Les souvenirs ont besoin d’avoir une maison pour eux », racontait à l’AFP ce professeur retraité de Berat (sud), quelques jours avant d’être emporté à 75 ans par une crise cardiaque, le 9 février.
Cette maison, ce chrétien orthodoxe l’a installée dans une échoppe d’une rue pavée en pente de sa ville de Berat (sud). Il lui a donné le nom de « Musée Salomon », a ouvert ses portes en mai 2018, et y a accueilli des milliers de visiteurs.
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Passée sous silence durant l’ère communiste, l’histoire singulière de la petite communauté juive de ce pays des Balkans majoritairement musulman méritait d’être racontée : « Presque tous les juifs qui vivaient sur le territoire albanais durant l’occupation allemande, qu’ils soient originaires du pays ou réfugiés, ont été sauvés, à l’exception d’une famille », selon Yad Vashem qui a désigné 75 Albanais comme « Justes parmi les Nations ».
« Il y avait davantage de juifs en Albanie à la fin de la guerre qu’au début », poursuit Yad Vashem. De quelques centaines avant le conflit, notamment à Berat, ils étaient plus de 2 000 à l’effondrement de l’Allemagne nazie.
Après avoir été sous tutelle de l’Italie fasciste, l’Albanie est passée sous contrôle allemand en 1943 mais les autorités ont refusé de fournir des listes de juifs.
« C’est mon grand-père »
Au mur du musée, des panneaux racontent l’histoire de ces juifs arrivés au XVIème siècle dans cette petite ville du sud de l’Albanie, chassés d’Espagne.
Au centre de la collection, des documents et des souvenirs donnés par des familles musulmanes et chrétiennes albanaises qui les ont protégés pendant la Deuxième guerre mondiale.
Son petit musée, Simon Vrusho l’avait financé avec des donations déposées dans une boîte à l’entrée ainsi qu’avec sa retraite de 180 euros mensuels.
Nezir Ago, un artiste de 40 ans de Berat, montre la photo exposée d’un vieil homme : « C’est mon grand-père », dit-il. Ce boulanger a protégé une famille de trois personnes. « Il ne les connaissait pas », « n’avait pas d’obligation de les abriter », dit Nezir Ago.
Simon Vrusho avait réuni plusieurs dizaines de ces photos. Rien qu’à Berat, quelque 60 familles ont protégé des juifs. Des familles « chrétiennes et musulmanes, riches et pauvres », selon ses mots affichés au mur. Des gens « profondément, inimaginablement humains », disait Simon Vushro qui a passé des années à recueillir leurs témoignages.
Sur une liste s’alignent 600 noms de rescapés, dont beaucoup venaient d’autres villes des Balkans comme Belgrade ou Pristina, dont les communautés juives ont été décimées.
La loi de la Besa
Marilena Langu Dojaka, 77 ans, vit à Tirana où elle est née en 1942, trois ans après la fuite de Tchécoslovaquie de sa mère et son frère aîné. Ils ont été cachés dans une famille de Mat, dans le nord du pays.
« Quand les nazis ont fouillé le village, (…) ils nous ont cachés dans les montagnes, dans une cave, jusqu’à ce que le danger s’éloigne », dit-elle, montrant une photo d’autres membres de sa famille, « tous morts dans des camps ».
Elle explique être restée liée à la famille qui les a protégés : « Nous avons tout partagé avec eux : le pain, la peine et la joie ».
Comment expliquer cette bravoure albanaise ? Beaucoup invoquent la « Besa », ce code de l’honneur qui place au-dessus de tout le respect de la parole donnée et la protection de l’hôte.
Ce pays où cohabitent chrétiens orthodoxes et catholiques, musulmans sunnites hanafites et soufis (bektachis), a également une tradition de tolérance religieuse. La mosquée et l’église qui se font face sur la place principale de Berat en témoignent.
Aujourd’hui, il reste moins d’une centaine de juifs en Albanie. La plupart ont émigré en Israël en 1991, à la chute du régime communiste qui avait rendu illégales les religions.
Leur histoire est désormais mise en avant par les autorités. Mais la petite boutique de Simon Vrusho reste le seul musée qui la raconte.
Quelques jours avant sa mort, il disait à l’AFP qu’il aurait aimé avoir eu les moyens d’en « doubler la taille », et imaginait un musée en forme d' »amphithéâtre ».
Aujourd’hui, sa veuve Angjelina est « très inquiète sur le sort du musée ». Le loyer de l’échoppe n’est payé que jusqu’en avril. « Cela lui a pris une vie entière » de le monter, dit-elle.
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