Enfin, Netanyahu peut se présenter contre quelqu’un d’autre que lui-même
Échaudé par l'échec de la politique identitaire et de l'alarmisme qui ne lui ont pas permis de remporter la victoire, le leader du Likud a décidé de tenter une nouvelle voie
C’est un nouveau style plutôt déconcertant qui a été finalement adopté par le plus grand parti politique israélien. Les accusations d’infidélité, les soupçons de maladie psychique lancés à l’encontre des adversaires politiques appartiennent dorénavant au passé. Bien sûr, quelques propos acerbes peuvent encore être postés sur Twitter – mais ils sont moins nombreux. La campagne du Likud ne se concentre plus aujourd’hui sur Benjamin Netanyahu de manière ultra-ciblée, comme cela pouvait être le cas lors des derniers scrutins.
Non, c’est une campagne résolument bien plus apaisée, bien plus chaleureuse qui est actuellement en cours dans cette campagne qualifiée de « cinquième round » par les Israéliens désabusés. Pour la première fois depuis des années – au moins depuis les élections de 2015 – le Likud se présente en soumettant des propositions politiques spécifiques. Fini, les vidéos de campagne sinistres, fini, les clips qui affolaient – comme celui qui montrait Isaac Herzog laissant rentrer des Jihadistes de l’État islamique en Israël. Aujourd’hui, ces vidéos sont d’une humilité charmante. Clip de campagne après clip de campagne, le leader du parti, Benjamin Netanyahu, transmet son nouveau message à ses concitoyens, un message qui semble être : « Ne parlons pas de moi, parlons de ce que vous inquiète ».
Une vidéo – les vœux de Netanyahu présentés pour la nouvelle année aux Israéliens – illustre parfaitement ce nouveau ton.
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En une minute et cinquante secondes, les traits d’esprit de Netanyahu ne tardent pas à faire leur entrée. « Bonne année à tous ceux qui ont terminé un marathon cette année. Et bonne année à leurs amis qui vont passer toute une année à entendre la manière dont leurs amis ont terminé un marathon. »
Il y inclut une moquerie gentillette à l’égard de l’un de ses (anciens) adversaires : « Bonne année à Naftali [Bennett] de Raanana. Nous te souhaitons beaucoup de succès dans ton nouveau parcours. »
Mais c’est l’auto-dérision qu’il pratique en majorité, se souvenant des vieilles accusations lancées à son encontre de dépenses inconsidérées faites avec les fonds du gouvernement – et, entre autres, de l’argent qu’il aurait dépensé pour de la glace à la pistache de premier choix : « Bonne année à tous ceux qui ont eu la chance de manger un cône à la pistache. J’adore la pistache ! »
Une fois son inoffensivité bien établie, l’ancien Premier ministre arrive au cœur de son clip en faisant part de ce qui est aujourd’hui le message essentiel de sa nouvelle campagne. Après avoir souhaité une « vraie » bonne année aux soldats et aux personnels de santé, Netanyahu s’adresse directement à ses électeurs de droite.
« Bonne année aux électeurs de droite qui, l’année dernière, se sont dit : ‘Que peut-il arriver de pire ? Le jour des élections, j’irai à la plage’. »
« Vous avez vu ce qui est arrivé », ajoute-t-il avec solennité. « Cette année, nous prenons en main personnellement ces élections. Si chaque électeur de droite ayant voté au cours des dernières élections amène un électeur de droite qui n’a pas voté au dernier scrutin, nous remporterons la victoire, et une grande victoire ».
Le meilleur et le pire des moments
La nouvelle campagne peut paraître entraînante, fantasque. Mais elle ne l’est pas. Elle résulte d’une initiative délibérée, très calculée et inquiète de réparer les dégâts entraînés par les campagnes passées de Netanyahu.
Au scrutin du mois de mars 2020 – le « troisième round » – le Likud avait remporté 1,35 million de votes dans les urnes, le plus important score jamais réalisé par un parti politique israélien. Cela avait été l’occasion d’un afflux extraordinaire vers les urnes des partisans de Netanyahu, avec presque un quart de million de nouveaux votes en faveur du Likud par rapport à la performance obtenue par le parti six mois plus tôt seulement – à l’occasion du « deuxième round », au mois de septembre 2019.
Mais cela n’avait pas été suffisant : l’autre partie s’était rassemblée de manière presque aussi spectaculaire.
L’alliance Kakhol lavan de Benny Gantz, au centre-gauche, avait raflé presque 70 000 votes de plus que lors du dernier scrutin en récoltant 1,2 million des suffrages. La liste arabe unie avait pour sa part fait un bond de 24 %, avec 580 000 voix – un chiffre là aussi sans précédent pour l’alliance de partis à majorité arabe.
Netanyahu avait fait une belle performance – mais cela avait aussi été le cas de ses adversaires. L’impasse avait continué en conséquence.
Pour sortir de l’impasse, Netanyahu avait proposé un accord de rotation au poste de Premier ministre à Gantz, au mois de mai 2020, jurant de concrétiser ce transfert du pouvoir promis « sans ruse et sans chichis ». L’accord entre les deux hommes avait été signé.
Mais rien ne s’était passé comme Gantz l’avait anticipé. En refusant – une initiative sans précédent – d’adopter un budget de l’État pour l’année fiscale 2020, Netanyahu avait forcé la dissolution de la Knesset, croyant qu’en ayant amené Kakhol lavan à rompre son partenariat avec le parti Yesh Atid de Yair Lapid, il s’était dorénavant assuré une victoire très convoitée.
Netanyahu, en cela, avait eu raison. La formation de Gantz s’était décomposée après sa décision de siéger dans un gouvernement d’unité avec Netanyahu. Les partis arabes, de leur côté, avaient dissous leur alliance et les sondages avaient révélé que la participation aux élections des Arabes israéliens pourrait probablement connaître une baisse précipitée. Netanyahu affrontait à ce moment-là une opposition en chute libre.
Mais ses plans avaient néanmoins été déjoués – et, cette fois-ci, par ses propres soutiens. Alors que le centre-gauche se querellait et que la participation des Arabes israéliens aux élections avait diminué de 34%, un Netanyahu au bord de la victoire avait été contraint d’observer la débandade de ses propres partisans qui l’avaient abandonné en grand nombre.
Le décompte des bulletins en faveur du Likud avait baissé de 285 000 votes, soit une chute de 21 %.
De nombreux Israéliens y avaient vu le signal de la lassitude généralisée qui avait été entraînée par ces élections sans fin. Mais cette baisse était trop concentrée pour qu’une explication aussi large puisse être satisfaisante. En effet, elle s’était particulièrement concentrée sur deux partis, avec 285 000 votes perdus pour le Likud et 202 000 suffrages perdus pour les partis arabes. Chacune des deux formations avait connu une perte de bulletins plus importante que la moyenne enregistrée pour les autres factions – 180 000 votes, soit quatre points de pourcentage dans le taux général de participation électorale (ce qui signifie aussi que les partis s’étaient renforcés là où le Likud avait reculé).
Une autre explication plus probable, correspondant d’ailleurs à ce que les électeurs confiaient aux journalistes dans les rues de bastions du Likud comme Dimona ou Beer Sheva, avait été que de nombreux électeurs de Netanyahu s’étaient sentis frustrés par les campagnes ratées et de plus en plus acerbes du leader du Likud. Certains Israéliens favorables au parti – et notamment des personnalités des médias pro-Likud à l’époque – avaient également fait part de leur exaspération et de leur embarras face à sa mauvaise conduite à l’égard de Gantz. Avec le Likud en diminution dans les urnes, les critiques les plus véhéments de Netanyahu, à droite – Yamina et le tout nouveau parti Tikva Hadasha – avaient gagné, à eux deux, dix sièges à la Knesset.
Regagner les électeurs
Netanyahu devrait l’emporter encore une fois. Le centre, la gauche et les factions arabes sont tous profondément divisés et se méfient les uns des autres. Plusieurs partis de gauche et arabes oscillent juste en-dessous (et dans le cas de Balad, en-dessous) du seuil électoral de représentation à la Knesset, qui est de 3,25%. La participation des Arabes israéliens devrait encore baisser par rapport au dernier scrutin, laissent penser des sondages internes qui ont été commandités par les factions arabes.
Et si le centre-gauche et les factions arabes vacillent, Netanyahu a fait tous les efforts possibles pour garantir qu’un tel cas de figure n’arrivera pas à droite. Il a orchestré lui-même des alliances – même parmi les éléments les plus extrémistes de la droite, comme avec la formation kahaniste Otzma Yehudit, qui monte rapidement dans les enquêtes d’opinion et qui semble être partie pour devenir un acteur majeur et influent de la droite israélienne.
Les astres semblent enfin s’aligner pour l’ex-Premier ministre. Et pourtant, Netanyahu paraît devoir faire face à la même vulnérabilité qui l’avait privé d’une victoire qui semblait pourtant acquise, la fois dernière : cette vulnérabilité, ce sont les centaines de milliers de partisans qui avaient manqué à l’appel à l’heure de vérité.
Les quatre dernières élections ont servi de sorte d’expérimentation naturelle examinant la puissance de mobilisation de Netanyahu auprès des électeurs de droite dans un contexte de procès pour corruption, des campagnes qui se sont aussi centrées sur la division entre mizrahis et ashkénazes, sur de graves mises en garde au sujet d’une éventuelle victoire de la gauche ou des « Frères musulmans. » A chaque vote, Netanyahu s’était heurté au même plafond obstiné. Mais il s’était alors focalisé sur la nécessité de rassembler sa base, une base qui s’est avérée ne jamais être suffisante pour gagner.
Netanyahu n’a jamais remporté la majorité dans les sondages qui examinent « l’aptitude » des candidats à occuper le poste de Premier ministre ». Il devance les autres chefs de parti mais il ne dépasse jamais la marque des 50%. La pluralité est significative dans un système multipartite, mais elle n’est pas suffisante en cas d’union des opposants.
Du pugilat à l’allocation garderie
Et le Likud a donc décidé de changer de stratégie.
Il est tout à fait conscient du prix payé pour ses campagnes au vitriol. Il est conscient également qu’il y a en Israël un nouvel électorat susceptible de lui accorder soudainement ses faveurs.
D’anciens Likudniks, au centre-droit, qui avaient voté pour Tikva Hadasha et pour Yamina pourraient avoir des difficultés à choisir un bulletin le jour du le scrutin, le mois prochain. La faction Yamina s’est effondrée et ce qu’il en reste est dorénavant à la barre de la formation Habayit Hayehudi, une faction usée, presque défunte. Tikva Hadasha a rejoint Kakhol lavan, de Gantz – se déplaçant plus à gauche que pourraient le souhaiter de nombreux ex-électeurs du Likud qui avaient suivi Gideon Saar dans sa nouvelle aventure. Une campagne plus paisible sera-t-elle à même de les ramener au bercail ?
C’est en tout cas ce que tentent de faire le Likud et son dirigeant.
Le 3 août, pour la toute première fois depuis des années, Netanyahu a présenté un programme économique détaillé dans le cadre de la campagne de son parti. Cette dernière ne reposerait donc pas sur Netanyahu lui-même ou sur les dangers que poserait une sinistre alliance entre la gauche et les partis arabes, mais sur le nécessaire « retour à la stabilité » et sur l’engagement pris de mener à bien des réformes longtemps remises au lendemain.
Il a présenté une wish-list des réformes concernées : la réduction des taxes et des régulations sur les importations pour permettre à des produits importés à bas prix de faire baisser les prix à la consommation ; une rationalisation du processus d’approbation des constructions de logement ; un abaissement du coût de l’électricité, du carburant et de l’eau (apparemment par le biais de subventions ou d’un contrôle des prix) ; le subventionnement de l’achat foncier pour les jeunes désireux de faire construire ; le gel des taxes foncières municipales pendant un an pour aider à contrecarrer l’inflation et, de manière spectaculaire, l’abaissement de l’âge de l’éducation publique gratuite pour un enfant, qui passera de trois ans à zéro, et l’accès à des crèches financées par l’État dès la naissance.
Pour la toute première fois depuis les élections de 2015, le Likud veut parler du fond.
Il s’est également – et c’est la première fois – retourné contre ses activistes les plus agressifs et les moins recommandables.
Ainsi, quand un agitateur de campagne de triste mémoire, Rami Ben Yehuda, a été filmé le mois dernier en train d’agresser un manifestant de gauche, le Likud a rapidement annoncé qu’il serait renvoyé. Les défenseurs de Ben Yehuda, au sein du parti, ont insisté sur le fait qu’il n’avait pas été à l’origine de l’altercation et que les 13 secondes d’images devenues virales, qui ont été très partagées sur les réseaux sociaux, avaient délibérément fait l’objet d’un montage pour ne pas montrer les violences qu’il avait subies. Mais ni Ben Yehuda, ni ses soutiens du Likud n’avaient compris le message. Ben Yehuda, filmé en train de donner des violents coups de poing et en train de hurler « traîtres », était devenu le symbole des outrances des campagnes précédentes du parti. Et dans cette nouvelle tentative de rallier des soutiens qui se sont éloignés du mouvement, Ben Yehuda et son entourage étaient devenus autant de handicaps.
« Je pense que le Likud a fait ce qu’il fallait faire quand il a écarté Rami Ben Yehuda de la campagne », a commenté le député du Likud Miki Zohar, connu pour son style provocateur et pour ne pas retenir ses coups pendant les campagnes du Likud. « Parce qu’il a ramené nos énergies là où elles ne doivent pas être, à la violence ».
Quelqu’un pour se présenter « contre »
Jusqu’à ce qu’il soit écarté du pouvoir, au mois de mai 2021, Netanyahu trouvait logique de focaliser ses campagnes sur des abstractions – politique identitaire, complots sinistres et maladies psychiques présumées de ses adversaires. Etre Premier ministre en exercice présente certains avantages – ce sont souvent les Premiers ministres qui dominent le cycle des informations et qui peuvent établir l’ordre du jour dans les semaines qui précèdent le jour des élections – et pourtant, cet avantage présumé était devenu un obstacle pour Netanyahu. Après douze années passées au pouvoir, il lui était difficile de promettre des changements qu’il n’avait jamais initiés pendant un si long mandat, ou d’aborder des questions qu’il avait ignorées par ailleurs pendant plus d’une décennie.
Le programme économique du Likud est l’illustration de cela. Il est une critique implicite des années passées par le Likud au pouvoir. Les tarifs protectionnistes et les régulations sur les importations que Netanyahu promet dorénavant de supprimer avaient été élargies sous son gouvernement, et il avait renoncé à la tentative d’adopter une réforme similaire en 2015 et en 2016. La lenteur du processus d’obtention d’un permis de construire pour une nouvelle habitation avait été un problème qui n’avait fait qu’empirer quand il occupait la rue Balfour, avec une période d’attente qui devait finalement atteindre presque 300 jours – soit l’une des plus longues parmi l’ensemble des pays développés. Sous son autorité, les difficultés du trafic routier s’étaient encore aggravées, les produits de base étaient devenus parmi les plus chers en Occident, et ainsi de suite.
Netanyahu n’explique nullement comment il prévoit de tenir certaines de ses promesses les plus généreuses. Son engagement à augmenter le financement de l’État à la prise en charge des enfants dès les premiers mois de leur vie a été évalué par des économistes à un coût d’environ 19 milliards de shekels par an, ce qui représente une hausse de 30 % du budget national de l’éducation. Il affirme en réponse que le coût total sera bien moins élevé – entre six et huit milliards de shekels par an – et que le programme sera appliqué en plusieurs phases et sur une période de quatre à cinq ans, ce qui permettra de le financer grâce aux réductions des dépenses du gouvernement.
Illustrant le problème posé par son passé à la barre du pays, un journaliste de Kan a rétorqué : « Si c’est si simple, si peu cher et si faisable – qu’est-ce qui a empêché Netanyahu de le faire au cours de ses douze années au pouvoir ? »
Plus longtemps Netanyahu restera écarté du pouvoir, plus sa position politique va devenir compliquée. Ses alliés haredim réfléchissent déjà discrètement à la possibilité de lui retirer leur soutien pour la simple raison que leurs institutions ne peuvent pas se permettre de passer un plus grand nombre d’années dans l’opposition, sans les subventions qui proviennent de leur adhésion à une coalition. Pour conserver encore ses alliés, Netanyahu doit l’emporter le 1er novembre. Ses 18 mois passés dans l’opposition sont devenus politiquement dangereux.
Mais ils ont aussi été libérateurs. Netanyahu peut enfin mettre en place une campagne qui promet de s’attaquer à toutes les questions que le gouvernement Lapid-Bennett n’est pas parvenu à régler en, eh bien, 18 mois passés au pouvoir. Les problèmes économiques et administratifs non-résolus auxquels se heurtent les citoyens ordinaires ne sont plus un boulet à pousser à la marge en s’appuyant sur la politique identitaire et sur le populisme, mais une source riche de thématiques différentes de campagne susceptibles de toucher la population au-delà de la base électorale du Likud, loyale mais insuffisante en nombre.
Et c’est peut-être là l’ironie qui est au cœur de ce scrutin : Au terme d’une impasse politique longue de 43 mois qui a été marquée par cinq élections, le seul fait que Netanyahu puisse mettre en place une campagne de ce type est un cadeau fait à tous ceux qui l’ont écarté du pouvoir et qui lui ont donné la possibilité, enfin, de se présenter « contre » quelqu’un.
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