Israël en guerre - Jour 652

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Carnet du journaliste

Face aux missiles: Tel Aviv, le calme apparent et la peur sous-jacente

Affrontant la menace, les habitants s'accrochent à leurs habitudes, mais sous l'apaisement apparent de la ville, la fatigue et le doute à l'égard des responsables sont difficiles à dissimuler

La promenade de la plage Metzitzim, au nord de Tel-Aviv, le 15 juin 2025. (Crédit : Ariela Karmel)
La promenade de la plage Metzitzim, au nord de Tel-Aviv, le 15 juin 2025. (Crédit : Ariela Karmel)

Il n’y a qu’à Tel Aviv que les conséquences d’une frappe aux missiles balistiques peuvent encore comprendre des baigneurs qui s’attardent sur la plage Gordon ou des clients qui prennent le temps de siroter un café sur une terrasse de l’avenue Dizengoff. Depuis vendredi soir, des explosions illuminent le ciel, à un moment où l’Iran a tiré des centaines de missiles balistiques en direction d’Israël en riposte à l’attaque historique et sans précédent qui a été lancée par l’État juif contre le programme nucléaire de la république islamique.

La riposte iranienne a poussé des millions de personnes à trouver refuge dans des abris antiaériens. Elle directement touché des zones résidentielles à Tel Aviv, à Ramat Gan, à Tamra et à Bat Yam, entraînant la mort de quatorze personnes et faisant des dizaines de blessés.

Dans d’autres pays, une telle résilience serait inimaginable. Mais Tel Aviv vit au rythme de tirs qui sont quasiment constants depuis près de deux ans, essuyant les roquettes du Hamas, du Hezbollah et des Houthis. La ville a également connu les deux attaques aux missiles balistiques qui avaient émané de la République islamique, l’année dernière, avec la crainte persistante et croissante d’une guerre qui s’avèrerait être sans fin.

Au fil du temps, les habitants ont appris à appréhender les crises les unes après les autres, à garder leur sang-froid, à s’adapter rapidement et à continuer à vivre.

Pour Avichai, 23 ans, qui est technicien internet, dimanche a été une journée encore plus chargée que d’habitude.

« Enormément de gens sont coincés chez eux, dans leurs abris, avec des problèmes de WiFi et des problèmes techniques » dit-il. « Les besoins sont plus importants que d’habitude en matière d’assistance ».

Rien, dans l’attitude calme et enjouée d’Avichai, ne peut laisser penser que le jeune homme vit à seulement deux pâtés de maisons d’un immeuble de Bat Yam qui a été directement touché par un missile balistique iranien, dans la soirée de samedi. Une frappe qui a fait sept morts, dont deux enfants, près de 200 blessés et qui a partiellement détruit le bâtiment.

« Un de mes amis habite là-bas et il a été blessé », confie-t-il. « Lui et son frère sont actuellement à l’hôpital ».

Avichai, 23 ans, technicien internet à Bat Yam, près de Tel Aviv, le 15 juin 2025. (Crédit : Ariela Karmel)

Le fait que sa famille dispose d’un mamad – une pièce blindée qui tient lieu d’abri à l’intérieur de leur appartement – ne le rassure pas complètement.

« C’est effrayant. Tout l’immeuble tremble. Même si vous avez un mamad, s’il y a un impact, tout peut être fini », dit-il.

Il ajoute ne pas ressentir d’anxiété pour autant.

« Je ne ressens plus de stress en entendant les sirènes depuis l’âge de 12 ans », indique-t-il, évoquant la guerre qui, pendant huit jours, avait opposé l’armée israélienne au Hamas, en 2012. Le groupe terroriste avait déclenché le conflit lorsqu’il avait tiré plus de cent roquettes en direction de l’État juif en l’espace de vingt-quatre heures.

« Mon père voyait bien à quel point j’étais stressé par les sirènes – alors il m’a emmené avec lui dans les bases militaires pour distribuer de quoi manger et des vêtements aux soldats. Là-bas, on entend des explosions à chaque seconde et on s’habitue ».

Le père d’Avichai, qui est rabbin, a servi dans la réserve militaire jusqu’à récemment et il fait désormais partie de l’équipe de sécurité civile de Bat Yam. Samedi soir, il se trouvait sur les lieux de la frappe au missile, aidant les premiers intervenants à rechercher les personnes disparues et à évacuer les habitants.

Un immeuble d’habitation détruit par un missile balistique iranien, à Bat Yam, le 15 juin 2025. (Chaim Goldberg/Flash90)

« Au cours des derniers jours, il n’est rentré que tard dans la nuit », note Avichai. « Mais c’est ce qui lui donne le sentiment d’avoir un objectif ».

Des fissures dans le calme

Malgré le calme apparent d’Avichai et pour de nombreux habitants de Tel Aviv, ces derniers épisodes semblent néanmoins différents. L’ampleur de l’attaque iranienne et l’incertitude concernant l’avenir ont fissuré le calme légendaire de la ville.

Dimanche – c’était le premier jour ouvrable après un week-end éprouvant qui a été marqué par les frappes dévastatrices aux missiles – les habitants sont sortis prudemment de leurs abris pour reprendre leur vie, aussi fragile soit-elle. Ils sont allés travailler dans les cafés, ils ont fait leur jogging sur la promenade, le long de la plage, ils sont allés faire quelques courses en trottinette – le tout dans une atmosphère de fatigue, de peur et de frustration qui couve sous la surface des rues qui, si elles sont calmes, sont toutefois loin d’être désertes.

Dans la rue Dizengoff, qui est habituellement très animée, le Facility, un café cosy, réputé pour ses excellentes pâtisseries en journée et pour ses happy-hours en soirée, est ouvert – mais il est nettement plus calme que d’habitude. Quelques clients ont pris place en terrasse. C’est Noam, le propriétaire de l’établissement, qui fait le service.

Le Café Facility, rue Dizengoff, à Tel Aviv, 15 juin 2025. (Crédit : Ariela Karmel)

Noam, qui a seulement 23 ans, a ouvert le Café Facility il y a six mois. Il a décidé de rouvrir dimanche après être resté fermé vendredi et samedi à cause des attaques aux missiles – et ce même si le week-end est le moment de la semaine où il travaille le plus.

« Qu’est-ce qu’on peut y faire ? Il y a pire dans la vie, et j’essaie d’être optimiste, mais ça a été un coup dur pour mes finances », déclare-t-il.

Le jeune homme note avoir été particulièrement déçu par l’annulation des événements de la marche des fiertés, pendant le week-end, des événements auxquels lui et son partenaire avaient prévu d’assister.

« Nous devions aller au défilé et à plusieurs fêtes et tout a été annulé », s’exclame-t-il.

 

Des drapeaux arc-en-ciel ornent toujours l’établissement. Noam dit qu’il s’attendait à une affluence plus importante en raison de la fête, ce qui rend son annulation d’autant plus décevante et ce qui porte un coup dur à ses activités commerciales.

Comme beaucoup de résidents de Tel Aviv, Noam fait preuve de prudence et il affiche une sorte de résilience obstinée. Il se rend au travail à vélo en fonction de la chaleur et il dit ne pas ressentir de nervosité lorsqu’il est à l’extérieur.

« Je fais confiance au Commandement du front intérieur, et je suis à proximité d’un abri – j’irai donc là-bas si c’est nécessaire », explique-t-il. « Les gens sortent dorénavant. Pendant la journée, c’est assez calme, c’est la nuit qu’il y a des missiles ». (Quelques heures plus tard, dimanche, les Israéliens devaient être été appelés à se rendre dans leurs abris, même pendant la journée).

Noam, 23 ans, propriétaire du Facility, un café de la rue Dizengoff à Tel-Aviv, le 15 juin 2025. (Crédit : Ariela Karmel)

Au-delà des tensions sécuritaires et économiques immédiates, Noam explique que la situation l’amène à réfléchir à l’avenir avec plus de profondeur.

« Mon partenaire et moi voulons vraiment avoir des enfants, cela n’a pas changé », indique-t-il. « Mais nous nous demandons si ici, c’est vraiment le bon endroit pour les élever ».

Que nous réserve l’avenir ?

De nombreux Israéliens connaissent ce mélange de courage et de pragmatisme qui caractérise la vie quotidienne. Mais sous ce calme apparent se cache la peur et l’incertitude quant à l’avenir à Tel Aviv – des sentiments qui sont partagés par un grand nombre.

Danielle Bett, 35 ans, qui est directrice de la communication à Ramat Gan, est sortie dans la rue Dizengoff pour faire quelques courses essentielles après plusieurs nuits blanches. Au-delà de la peur que lui inspirent les frappes aux missiles, ce qui pèse le plus lourd, dit-elle, est un profond malaise face à ce front qui se renforce et face aux dirigeants du pays qui ont mis le pays dans une telle situation.

« Je ne sais pas combien de temps tout ça va durer — Netanyahu ne s’est engagé à rien, pas même à un calendrier, ce qui est inquiétant », dit-elle.

« Cela ne fait que quelques nuits et tout le monde est touché psychologiquement, sans parler des personnes qui ont été blessées ou de celles qui ont été tuées », ajoute-t-elle.

La rue Dizengoff déserte, à Tel Aviv, le 15 juin 2025. (Crédit : Ariela Karmel)

Tout en reconnaissant la menace réelle que fait planer l’Iran sur l’État juif, Danielle Bett souligne qu’il est difficile de dissocier la situation actuelle des mois de dysfonctionnement de la part du gouvernement et des mois de guerre.

« Il est évident que le fait que l’Iran dispose de capacités nucléaires est dangereux pour Israël, pour la région et pour le monde, il est donc possible que cette guerre soit juste et que ce soit; en effet, le bon moment pour attaquer », note-t-elle.

« Mais nous ne devons pas oublier que ce sont les mêmes dirigeants politiques qui ont mené la guerre à Gaza, où des otages sont toujours détenus aujourd’hui. Nous ne devons pas soutenir aveuglément ces dirigeants et croire qu’ils sont capables de mener ces attaques de manière responsable », continue-t-elle.

Les groupes terroristes de la bande de Gaza détiennent encore 53 otages – dont 52 des 251 personnes qui avaient été kidnappées par les terroristes du Hamas, le 7 octobre 2023.

Parmi eux se trouvent les corps sans vie d’au moins 31 personnes dont la mort a été confirmée par l’armée israélienne. 20 seraient encore vivants. Le sort réservé à deux autres captifs suscite de vives inquiétudes, ont déclaré des responsables israéliens.

Le gouvernement fait face à des critiques croissantes pour son incapacité à obtenir la libération des otages ou à proposer un plan clair qui viendrait mettre un terme à la guerre à Gaza.

Bett raconte que sa décision de quitter son appartement de Ramat Gan, en cette journée dimanche, a été dictée par la nécessité, et non par un sentiment de calme ou de confiance qu’elle serait susceptible d’éprouver.

« On ne peut pas rester chez soi indéfiniment », s’exclame-t-elle. « Il y a des choses essentielles à faire, comme aller à la pharmacie ou acheter de quoi manger ».

Cette photo aérienne montre des bâtiments endommagés sur un site touché par un missile tiré depuis l’Iran dans la ville israélienne de Ramat Gan, près de Tel-Aviv, le 14 juin 2025. (Crédit : Jack GUEZ / AFP)

Ramat Gan a été l’une des villes les plus touchées lors des frappes aux missiles en provenance d’Iran. La République islamique a tiré environ 200 missiles balistiques dans la nuit de vendredi, dont des dizaines ont traversé les systèmes de défense antiaérienne israéliens. Trois personnes ont été tuées, dont Etti Engel Cohen, qui habitait Ramat Gan. Les attaques ont également fait plus de 80 blessés. Des immeubles entiers ont été endommagés ou partiellement détruits dans la ville.

Comme beaucoup d’autres habitants du secteur, Bett a passé les dernières nuits à entrer et à sortir de son abri antiaérien au rythme des explosions.

« J’ai vraiment peur « , confie-t-elle. « On ne sait pas toujours si quelque chose a été touché dans le quartier. On ne sait pas ce qu’on va trouver en ouvrant la porte, si on va voir des choses détruites autour de soi ou non ».

« Ce n’est tout simplement pas une vie », ajoute-t-elle.

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