Filière jihadiste de Cannes-Torcy : de lourdes peines requises, jusqu’à la perpétuité
Sylvie Kachaner a regretté, en l'absence d'explications des accusés, que le procès n'ait pas permis de comprendre la “haine profonde” et la “fascination pour la mort” de cette jeunesse française
Un groupe dangereux « prêt à recommencer » : de lourdes peines ont été requises vendredi, allant jusqu’à la perpétuité, à l’encontre des membres présumés de la filière jihadiste de Cannes-Torcy, jugés à Paris pour un attentat à Sarcelles (Val-d’Oise) en 2012, des projets d’attaque et des séjours en Syrie.
Trois ans avant les attentats parisiens de 2015, cette cellule était considérée comme une des plus dangereuses de France. A l’audience, elle a été décrite comme « le chaînon manquant » entre le jihadiste toulousain Mohamed Merah et le réseau qui allait frapper la salle de spectacles du Bataclan.
« Il n’y a eu aucun mort, mais l’intention était bien de tuer » : l’avocat général, Philippe Courroye, a appelé à sanctionner des accusés « prêts à recommencer » et dont l’attitude désinvolte pendant le procès ne laisse « aucun doute » quant à leur « radicalité » toujours intacte.
« Votre rêve, notre cauchemar, viendra s’échouer sur le brise-lames de nos valeurs, sur les défenses de notre démocratie », leur lance-t-il. Un lyrisme qui arrache des sourires à certains.
C’est pourtant une filière redoutable qu’il vient de décrire, fruit du rassemblement des « frères » de Cannes (Alpes-Maritimes), sous les ordres de Jérémie Louis-Sidney, un chef violent « bouillant » de sa haine des juifs, et des « frères » de Torcy (Seine-et-Marne), autour de Jérémy Bailly, le fidèle lieutenant.
En l’absence du chef, tué lors de son interpellation, la peine la plus lourde a été requise à l’encontre de Jérémy Bailly: la perpétuité, assortie d’une période de sûreté de 22 ans, pour avoir lancé une grenade dans l’épicerie casher de Sarcelles (Val-d’Oise) le 19 septembre 2012, ne faisant miraculeusement qu’un blessé.
Jérémy Bailly, qui n’a pas caché son engagement jihadiste, a toujours nié sa participation à cet attentat, comme l’en accuse Kevin Phan, le chauffeur de l’équipée, de huit ans son cadet. Contre ce dernier, 25 ans de réclusion criminelle, assortis d’une période de sûreté des deux tiers, ont été demandés.
‘Fascination pour la mort’
Des peines de 16 à 20 ans, avec une sûreté des deux tiers, ont été requises à l’encontre des « Syriens » de la bande.
Sont notamment concernés Ibrahim Boudina, qui a passé seize mois en Syrie et qui était « revenu pour commettre un attentat » sur la Côte d’Azur, et Jamel Bouteraa, qui n’a passé qu’un mois en Syrie mais qui a acheté une arme et « fait des repérages en vue d’une attaque contre des militaires » dans le Var.
Des peines de deux à sept ans de prison ont été requises à l’encontre des sept accusés comparaissant libres.
Les avocats généraux, Philippe Courroye et Sylvie Kachaner, ont tous deux insisté sur le caractère « emblématique » de ce premier gros procès d’une filière jihadiste aux assises, qui se tient dans le contexte d’une forte menace terroriste en Europe, où quatre attentats ont été commis depuis le début des débats en avril.
S’ « il ne s’agit pas de faire le procès de l’islam », l’accusation a cherché à décrire le « fanatisme criminel » de vingt hommes – dont trois en fuite – issus de familles aisées ou ouvrières, originaires d’Algérie, du Laos ou de France, et dont « plus de la moitié sont des convertis ».
Philippe Courroye a souligné le rôle de la mosquée de Torcy, fermée le 10 avril pour incitation au jihad, où « on se convertit comme on ‘like’ sur internet, en un éclair » et celui du voyage en camping-car de « frères de Torcy » à Cannes en juillet 2012, un séjour « d’intégration » et « d’incubation » où l’on achète des armes et où mûrissent les projets mortifères.
Ces jeunes ont basculé dans la radicalité en 2012, ont souligné les magistrats, au moment où se levait au Moyen-Orient « une grande lueur », qui allait devenir le groupe État islamique et que certains ont vu comme une terre promise. Ils sont jugés alors qu’on attend la chute de Raqqa, capitale d’un éphémère « califat ».
Sylvie Kachaner a regretté, en l’absence d’explications des accusés, que le procès n’ait pas permis de comprendre la « haine profonde » et la « fascination pour la mort » de cette jeunesse française.