France: la libération de « la parole haineuse », ferment de la poussée antisémite
Selon le sociologue Michel Wievorka, l'antisémitisme d'aujourd'hui trouve son ressort non pas dans les courants radicaux de l'islam mais "du côté idéologique de l'ultra-droite"

La poussée de l’antisémitisme en France en 2018 peut s’expliquer par une « résurgence » de l’idéologie d’extrême droite, qui a parfois profité du mouvement des « gilets jaunes » pour se propager dans un contexte de « libération de la parole haineuse », affirment des experts.
Les actes antijuifs ont bondi de 74 % en 2018, selon les chiffres du gouvernement publiés mardi après un week-end marqué par plusieurs inscriptions et dégradations antisémites, en plein coeur de Paris.
« Ce n’est pas simplement un problème franco-français, cela s’inscrit dans un mouvement beaucoup plus large de montée des tensions et des mouvements organisés de haine », affirme à l’AFP Frédéric Potier, délégué interministériel à la lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la haine anti-LGBT (Dilcrah), citant une « hausse de 66 % en Italie l’année dernière, et d’environ 50 % aux États-Unis ».
En France, où le régime de Vichy a activement collaboré avec l’Allemagne nazie pendant la seconde guerre mondiale, il y a aujourd’hui « un antisémitisme qui vient de l’islamisme, qui reste très puissant, qui s’est bien installé », juge-t-il, mais « ce qui est nouveau et qui alimente cette poussée antisémite, en 2018, c’est la résurgence d’une extrême droite très virulente dans ses propos, dans ses actes, ces dernières semaines, mais pas seulement », ajoute-t-il.

Selon le sociologue Michel Wievorka, l’antisémitisme d’aujourd’hui trouve son ressort non pas dans les courants radicaux de l’islam mais « du côté idéologique de l’ultra-droite » sans que ce soit nécessairement mis en oeuvre par « des groupes structurés ou organisés ».
Cet expert pointe également des « milieux qui ne se reconnaissent dans aucune idéologie », mais où « le contexte est favorable ». Ce climat est celui de la « libération de la parole haineuse – sur internet, qui prend des proportions gigantesques ces derniers temps – mais aussi en public », relève le sociologue.
À cela, s’ajoute « aussi un contexte de relégitimation d’une certaine violence, dans des milieux qui disent aujourd’hui ‘après tout, elle paie et peut permettre d’obtenir certaines choses' »
Une « désinhibition » que relève aussi Joël Mergui, président du Consistoire, qui demande « des peines à la hauteur et s’interroge sur une éventuelle « impression d’impunité » qui pourrait inciter à commettre des faits graves ».
Théories du complot
« Il y un socle ancien de tolérance aux actes antisémites en France qui rend possible une hausse très rapide de l’antisémitisme », estime pour sa part Vincent Duclert, historien et chercheur à l’École des hautes études en sciences sociales, spécialiste de l’affaire Dreyfus.
Le chercheur énumère plusieurs antisémitismes à l’oeuvre depuis plusieurs années: celui « identitaire de l’extrême droite, celui de l’extrême gauche, un antisémitisme qui se nourrit de l’islamisme, l’antisionisme idéologique, l’antisémitisme d’une France conservatrice ».
Fait nouveau, selon lui: ces différentes formes trouvent « un espace de développement à l’occasion du mouvement des ‘gilets jaunes’ (citoyens qui mènent une fronde sociale depuis près de trois mois, ndlr), parce qu’il est violent ».

Plusieurs groupuscules antisémites ont tenté d’en profiter: en marge d’une de leurs manifestations, plusieurs figures de l’antijudaïsme français, dont un essayiste d’extrême droite condamné plusieurs fois pour des propos antisémites, Alain Soral, s’étaient réunies le 19 janvier pour tenter « d’aiguillonner les ‘gilets jaunes' ».
« On voit très bien que plusieurs groupuscules d’extrême droite ont cherché à manipuler ce mouvement, en tout cas à y imposer un certain nombre de discours », juge M. Potier.
« Le mouvement a facilité la libération de la parole », admet M. Wievorka, »ce qui ne veut pas dire que le mouvement des ‘gilets jaunes’ soit lui-même antisémite ».
L’antisémitisme est également alimenté par les théories du complot, qui certes ne sont pas un phénomène nouveau, mais connaissent « une nouvelle jeunesse avec Internet et les réseaux sociaux », et « nourrissent des mouvements de rejet », relève M. Potier.
Selon une enquête de la Fondation Jean-Jaurès et Conspiracy Watch réalisée par l’Ifop sur l’état du complotisme en France, 22 % des Français se disent d’accord avec l’idée selon laquelle « il existe un complot sioniste à l’échelle mondiale ».