Gaza : Après le cessez-le-feu, l’Égypte sur le devant de la scène régionale
Avec un affichage public sans précédent de ses liens avec Israël, l'Égypte cherche à dissiper les inquiétudes internationales sur ses antécédents en termes de droits de l'Homme
Les photos en Une des réunions entre les responsables israéliens et égyptiens qui ont été publiées dimanche des deux côtés du canal de Suez ont été inhabituelles – ne serait-ce que parce qu’elles ont été diffusées au public.
Mais elles ont bien été là : avec le ministre des Affaires étrangères, Gabi Ashkenazi, qui a pris la pose devant les appareils photo au Caire au cours de cette toute première visite en son genre depuis 2008 et, peut-être plus surprenant, avec un cliché montrant le chef des renseignements égyptien, Abbas Kamel, en train de serrer la main au Premier ministre Benjamin Netanyahu à Jérusalem.
Les liens entre Israël et l’Égypte ont fleuri depuis que le président égyptien Abdel-Fattah el-Sissi est arrivé au pouvoir lors d’un coup d’État militaire en 2013. Mais cette relation ne s’était que rarement affichée aussi ouvertement.
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« La plus grande partie de nos entretiens se déroulaient à Sharm el-Sheikh », une station balnéaire touristique du Sinaï, explique Yitzhak Levanon, ancien ambassadeur israélien en Égypte. « Mais Ashkenazi a été invité au Caire. Cela signifie quelque chose pour le gouvernement égyptien, pour le public égyptien ».
La dernière crise entre Israël et la bande de Gaza s’avère être une opportunité donnée au Caire de se présenter comme un acteur régional important. Elle permet aux Égyptiens – restés en coulisses au cours de ces derniers mois – de se repositionner à l’international face aux Émirats arabes unis et au Bahreïn, salués dans les capitales occidentales pour la normalisation des liens avec l’État juif, l’année dernière.
Et – peut-être plus important – le régime égyptien, souvent critiqué pour ses antécédents très médiocres en termes de droits de l’Homme, attire l’attention des Américains. Pour Le Caire, démontrer son rôle d’artisan de la paix entre dans le jeu.
« L’Égypte veut asseoir sa présence en tant que leader régional. Elle veut souligner devant les États-Unis, l’Occident, l’Union européenne qu’elle peut être un acteur positif, un atout stratégique – malgré les cas de conscience que peuvent nourrir ces derniers en raison des violations faites aux droits de l’Homme et à la démocratie par le régime », commente Ofir Winter, qui étudie les relations israélo-égyptiennes au sein de l’Institut d’études de sécurité nationale.
Depuis le coup d’État militaire de 2013, le gouvernement de Sissi a cherché à nouer des liens plus étroits avec l’État juif – au point que l’ancien ambassadeur en Égypte, Haim Koren, avait qualifié à une occasion les relations entre les deux pays de « meilleures qu’elles ne l’ont jamais été ».
Dans la péninsule du Sinaï, les deux pays ont œuvré de concert à réprimer l’insurrection des islamistes radicaux. Ils travaillent tous deux avec ferveur à mettre en place une initiative ambitieuse portant sur le gaz naturel en Méditerranée dans le cadre d’un forum régional sur l’énergie.
Mais, au cours des dernières années, le régime de Sissi a pu se trouver dans l’incapacité d’afficher si publiquement ses relations avec Israël – par crainte, peut-être, d’un retour de bâton à l’intérieur du pays. L’Égypte maintient une « paix froide » depuis la signature du traité de paix avec Israël, en 1979, et les citoyens qui normalisent leurs liens avec des Israéliens écopent souvent de sanctions de la part des instances liées au gouvernement.
Toutefois, les Accords d’Abraham qui ont été signés l’année dernière – et qui ont permis de lancer le processus de normalisation des liens entre l’État juif et quatre États arabes en quelques semaines seulement – ont changé radicalement le paysage régional.
« Depuis la normalisation avec les Émirats, Bahreïn, le Maroc et le Soudan, les choses ont changé. Le monde arabe peut maintenant dire et faire davantage que ce n’était le cas auparavant », commente l’ancien diplomate égyptien Ezzedine Fishere, maître de conférence à l’université de Dartmouth.
En Égypte, d’un autre côté, le gouvernement a éliminé sans relâche l’opposition et envoyé ses détracteurs en exil. Selon les groupes de défense des droits de l’Homme, environ 60 000 prisonniers politiques se trouvent actuellement dans les geôles égyptiennes.
Les combats récents à Gaza ont entraîné des manifestations de solidarité populaire avec la cause palestinienne dans le monde arabe. Mais les rues du Caire sont restées vides.
« Peut-être pendant d’autres crises, comme en 2014 et 2015, quand le régime venait tout juste d’être établi, les choses ont été moins confortables pour lui… cela pourrait être le signe que le régime de Sissi a stabilisé son statut », dit Winter.
Obtenir l’attention de Washington
Le président américain Joe Biden ne s’est pas entretenu avec Sissi pendant presque cinq mois après son arrivée à la Maison Blanche, au mois de janvier dernier. Il s’était promis d’adopter un positionnement plus critique face à l’Égypte que cela n’avait été le cas de son prédécesseur, Donald Trump, qui se vantait publiquement de ses liens étroits noués avec Sissi, son « dictateur préféré ».
Il n’y aura « plus de chèque en blanc au nom du ‘dictateur favori’ de Trump », avait écrit Biden sur Twitter au mois de juin dernier, se référant à des propos tenus par Trump au sujet du président égyptien.
Mais cette nouvelle série de combats a forcé Washington à s’appuyer lourdement sur l’Égypte – l’un des rares acteurs régionaux à entretenir des relations avec Israël et avec le Hamas. Et, pendant le conflit qui a opposé les deux parties, Biden et Sissi se sont parlés au téléphone à deux reprises.
Le secrétaire d’État américain Anthony Blinken s’est rendu dans la capitale égyptienne au cours de son déplacement dans la région, après le cessez-le-feu. Dans un communiqué émis par le Département d’État, Blinken a salué le rôle tenu par l’Égypte dans la négociation du cessez-le-feu.
Le diplomate a « affirmé le fort partenariat stratégique entre les États-Unis et l’Égypte, ainsi que l’attachement du président Biden à cette relation », a dit le Département d’État.
Les droits de l’Homme ont été mentionnés également en fin de déclaration – le département d’État faisant savoir que les deux responsables ont eu un « dialogue constructif » sur le sujet.
Blinken a ultérieurement raconté aux journalistes, à Amman, qu’il avait longuement discuté des droits de l’Homme avec Sissi, et rejeté l’idée que Washington garderait le silence en cas d’inquiétudes à ce sujet.
Le Caire a aidé à négocier la majorité des cessez-le-feu conclus entre l’État juif et les groupes terroristes palestiniens de Gaza depuis 2008. Les Égyptiens sont peut-être les seuls intermédiaires acceptables aux yeux de toutes les parties en lice : Israël, l’Autorité palestinienne, le Hamas et d’autres acteurs régionaux tels que les Émirats arabes unis et l’Arabie saoudite.
Le Qatar, le patron régional du Hamas, ne peut pas jouer un tel rôle ; les Émirats sont considérés comme étant trop proches du rival de l’Autorité palestinienne Mohammad Dahlan et les Saoudiens se sont largement détachés du conflit israélo-palestinien, avait expliqué au mois de mars un analyste politique égyptien au Times of Israel.
Après la guerre de 2014 entre Israël et le Hamas – qui avait été connue sous le nom d’Opération Bordure protectrice – les Égyptiens avaient accueilli une grande conférence au Caire consacrée à la reconstruction de la bande de Gaza dévastée.
Alors que les combats sont terminés pour le moment, l’Égypte espère accueillir des discussions similaires sur la reconstruction de Gaza et peut-être même une autre conférence réunissant des donateurs internationaux. Le pays est aussi en première ligne dans des pourparlers indirects entre Israël et le Hamas qui pourraient déboucher sur un échange de prisonniers et la conclusion d’un cessez-le-feu à long-terme entre les deux parties.
L’Égypte a promis d’allouer 500 millions de dollars dans les initiatives de reconstruction du Hamas. Mais elle ne devrait pas confier ces fonds à qui que ce soit, en particulier au Hamas. Les experts estiment que des entreprises égyptiennes viendront elles-mêmes mener à bien des projets de travaux au sein de l’enclave côtière.
« L’Égypte deviendra un conduit pour les fonds et ce sont les entreprises égyptiennes qui se chargeront des projets de développement. Il y aura ainsi un bénéfice politique à tirer, mais également des bénéfices financiers », note Winter.
Le Caire a aussi traditionnellement accueilli les factions politiques palestiniennes pour des négociations de réconciliation, en raison de son positionnement unique. Et, dimanche, Abbas a accepté l’offre lancée par les Égyptiens d’organiser une nouvelle réunion pan-palestinienne rassemblant les leaders de faction, qui permettrait d’évoquer une unité palestinienne recherchée depuis longtemps.
« Aucun autre pays ne peut tenir le rôle de l’Égypte. Et l’Égypte est d’autant plus intéressée par ce rôle à assumer que Biden a une approche quelque peu négative de l’Égypte, » commente Fishere.
Alors que les médias égyptiens ont coutume de désigner l’enclave palestinienne de « foyer terroriste », le président Sissi a ordonné « exceptionnellement » la semaine dernière l’ouverture du terminal de Rafah pour permettre à des blessés de Gaza d’être traités dans des hôpitaux égyptiens, et pour faire passer de l’aide médicale.
Dans un discours au Conseil de sécurité de l’ONU, le ministre des Affaires étrangères Sameh Choukri avait estimé, à l’adresse d’Israël, que des « concessions » devaient « être faites ».
Auteur d’un livre sur le Hamas et expert du cercle de réflexion Crisis Group, Tareq Baconi juge que l’Egypte cherche encore un juste équilibre entre une coordination en matière de renseignement avec le Hamas et son aversion pour les Frères musulmans, liés au mouvement palestinien maître de Gaza. « La stratégie (…) est similaire à celle d’Israël », résume-t-il : « s’assurer que Gaza ne prospère pas et que le Hamas reste contenu à l’intérieur ».
L’AFP a contribué à cet article.
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