GB: 70 ans de retranscriptions du Parlement montrent une « obsession » pour Israël
En utilisant un nouvel outil analytique, le chercheur David Collier a recensé 17 667 références parlementaires à l’État juif - plus que la Jordanie, le Liban et la Palestine
Cet article a été rédigé en mars 2019
LONDRES — Les observateurs habituels du rituel mensuel de la Chambre des communes – au cours duquel les députés britanniques interrogent longuement les ministres des Affaires étrangères – savent qu’Israël et les Palestiniens sont un fréquent sujet de débat.
Mais la réelle envergure de la focalisation croissante du Parlement britannique sur l’Etat juif a été révélée par le chercheur et blogueur David Collier en mars dernier.
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En utilisant Hansard — les retranscriptions officielles des débats au Parlement – Collier a révélé ce qui est, selon lui, le « résultat sidérant » soulignant « l’obsession totale à l’égard d’Israël » de la législature britannique.
En travaillant avec l’outil en ligne de Hansard, Collier a découvert qu’Israël avait été référencé pas moins de 17 667 fois entre le 1er janvier 1946 et le 20 janvier 2019. Les recherches ont porté sur les mentions de l’État juif à la Chambre des communes et dans la seconde chambre non élue du Parlement, la Chambre des Lords.
Comme le note le chercheur, pendant la plus grande partie de l’après-guerre, des pics de référence à Israël ont été enregistrés à des moments prévisibles de l’histoire – avec les conflits entre Israël, ses voisins arabes et les Palestiniens. Parmi ces périodes, celles de la guerre d’Indépendance, la Crise de Suez en 1956, la guerre des Six jours, la guerre de Yom Kippour, la guerre du Liban en 1982, la période qui s’est étendue entre la guerre du Golfe en 1991 et la signature des Accords d’Oslo en 1993, la Seconde Intifada et la Seconde Guerre du Liban, en 2006.
Mais ce sont dans les années qui ont suivi 2005 que les chiffres semblent indiquer, selon Collier, que le Parlement est devenu « totalement obsédé » par Israël.
Même avec des pics prévisibles dans les années 2008-2009, 2012 et 2014 – avec les guerres à Gaza – le nombre de références à Israël distance généralement les niveaux de discussions survenus avant 2006. Et en effet, le nombre de références à Israël pendant les années où ont eu lieu les guerres à Gaza, en 2008-2009 puis en 2014, est plus élevé que n’importe quelle autre année – à l’exception de lors de la crise de Suez en 1956, dans laquelle le Royaume-Uni était directement impliqué.
« Je pense que depuis 2005 et l’émergence du BDS [le mouvement Boycott, Divestment and Sanctions anti-israélien], les Palestiniens ont ‘internationalisé’ le conflit », a commenté Collier auprès du Times of Israel. « Les ONG, qui vont des organisations caritatives islamiques aux groupes d’églises, financent des voyages de manière à pouvoir ‘voir la vérité’, traitent les Palestiniens comme des rois et à leur tour, les responsables politiques deviennent des militants, soulevant la question des Palestiniens partout et à chaque fois qu’ils sont en mesure de le faire. Les réseaux sociaux ont clairement eu un impact sur ce phénomène également », ajoute-t-il.
Le blogueur a remis en perspective son travail sur Israël en comparant les références faites à l’État juif et celles faites à d’autres pays du Moyen-Orient au cours des mêmes périodes. Il y a eu, par exemple, 11 671 références faites à l’Iran ; 11 468 à la Syrie ; 9 676 à l’Égypte ; 4 780 à la Jordanie et 4 514 au Liban. La Palestine a été mentionnée à 7 032 occasions (les résultats de recherche mentionnant l’Autorité palestinienne n’ont pas été inclus dans le rapport, mais Collier a noté que presque chaque fois que le mot « Palestinien » était prononcé, la « Palestine » l’était aussi).
Même si elle n’a pas été incluse dans l’enquête en question, une recherche sur Hansard a également révélé qu’au cours, toujours, de la même période, l’Irak a été mentionné à 25 389 reprises. Il s’agit toutefois d’un pays avec lequel la Grande-Bretagne a connu deux guerres dans les 28 dernières années – avec un dernier conflit, en 2003, qui reste hautement contentieux dans le royaume et des troupes britanniques qui sont restées dans le pays jusqu’au mois de mai 2011 (les forces britanniques sont par ailleurs restées intégrées au sein de la coalition anti-État islamique opérant en Syrie et en Irak).
De plus, une comparaison des références faites à la Syrie et à Israël, depuis le début de la guerre civile en Syrie, est également parlante. La première a ainsi été évoquée 8 856 fois au Parlement britannique, selon Hansard, et Israël 4 152 fois. Dans cet intervalle, le conflit syrien aurait, selon les estimations, fait plus de 500 000 morts.
De la même manière, il y a eu 1 382 références au Darfour depuis le début du génocide là-bas, au mois de février 2003. Dans le même temps, l’État juif a été mentionné 7 414 fois et Gaza 3 519 fois. Il y a eu 39 débats organisés sur le Darfour et 99 sur Gaza. En 2013, les Nations unies avaient estimé que plus de 300 000 personnes avaient été assassinées pendant le génocide.
Bien sûr, une référence à l’État juif n’est pas nécessairement négative. Pendant les guerres de 1967 et de 1973 – lorsque l’opinion publique accordait son soutien à Israël, dans son écrasante majorité – il est raisonnable de présumer que de nombreuses références au pays faites devant le Parlement participaient à des déclarations de soutien.
Même au cours des dernières années, les députés pro-Israël, en collaboration avec des groupes tels que les Conservative Friends of Israel et les Labour Friends of Israel (LFI), assurent les débats et posent des questions parlementaires. Ils interviennent également dans les débats organisés par des députés hostiles à Israël. De telles tactiques, tout en contribuant à redresser les préjugés anti-Israël, augmentent nécessairement le nombre global de références à l’État juif.
Cependant, il est également vrai que de nombreuses mentions parlementaires d’Israël sont négatives à l’extrême. Un débat tenu dans la salle de la Chambre des communes au lendemain de la mort de 62 manifestants – dont 50 que le Hamas a par la suite revendiqués comme ses propres membres – était particulièrement à charge.
La porte-parole du Parti travailliste pour les Affaires étrangères, Emily Thornberry, a donné le ton, condamnant « l’horrible massacre » qu’elle a décrit comme « une politique apparemment calculée et délibérée pour tuer et mutiler des manifestants non armés qui ne représentaient aucune menace pour les forces à la frontière de Gaza ».
Elle a attaqué « l’intention meurtrière des snipers israéliens travaillant à la frontière », a comparé les forces israéliennes aux Américains qui chassent les animaux et dénoncé « ce massacre vicieux ».
Comme le ministre du Moyen-Orient, Alistair Burt, l’a suggéré en réponse, Emily Thornberry a omis de mentionner le Hamas dans ses remarques. Contrairement à la responsable travailliste, certains des députés ayant pris la parole par la suite – dont Layla Moran, députée des Libéraux démocrates centristes et première députée d’origine palestinienne – ont reconnu que le Hamas portait une part de responsabilité dans l’effusion de sang. De nombreuses références au Hamas ont toutefois été faites, la responsabilité de la violence étant attribuée à Israël dans sa grande majorité.
En effet, Gaza s’est souvent révélée être un point de mire pour l’expression d’un sentiment fortement anti-israélien.
En débattant de la guerre de 2014 peu avant que les députés n’entament leurs congés d’été, un député travailliste a clairement indiqué son manque d’intérêt pour toute forme de débat équilibré : « Nous ne devrions pas assimiler l’occupé à l’occupant. Nous ne devrions pas assimiler une population de réfugiés de 1,7 million de personnes emprisonnées dans une minuscule bande de terre aux gardiens de prison. Nous ne devrions pas assimiler les terroristes qui tirent des roquettes à un État soi-disant civilisé qui tue systématiquement des femmes et des enfants ainsi que des personnes âgées et handicapées », a déclaré le représentant de Hammersmith, Andy Slaughter.
Il convient toutefois de noter qu’au cours de ce débat – qui s’est déroulé l’année précédant la nomination de Jeremy Corbyn à la tête du Labour – le porte-parole du parti pour les Affaires étrangères de l’époque, Douglas Alexander, a adopté une position nettement moins négative à l’égard d’Israël a reconnu bien davantage qu’Emily Thornberry en mai dernier ses préoccupations en matière de sécurité et la menace posée par le Hamas.
Alors qu’une grande partie des critiques à l’égard d’Israël proviennent des bancs travaillistes, des libéraux démocrates et des nationalistes écossais et gallois, les députés conservateurs ne sont pas non plus uniformément favorables à l’État juif, les bancs conservateurs contenant un petit nombre de critiques, mais qui se font entendre.
Même en dehors des périodes de guerre et de crise, les thèmes débattus sont aussi souvent très négatifs. En l’espace de deux ans, les députés ont par exemple débattu à deux reprises du sujet émotionnel des enfants et jeunes Palestiniens détenus ou emprisonnés par Israël.
Lors du dernier débat, tenu en janvier 2018, la députée travailliste qui l’avait obtenu, Sarah Champion, a fait trois fois référence à la « torture » dans son bref discours d’ouverture. Les crimes pour lesquels les personnes arrêtées étaient détenues étaient aussi souvent minimisés par d’autres.
Un parlementaire, par exemple, a fait référence à « la terreur vécue au tribunal militaire par les enfants qui lançaient des pierres ». (L’idée que des jets de pierres apparemment inoffensifs ont été à l’origine de nombreuses arrestations a également prévalu lors du débat de janvier 2016).
« La majorité des enfants sont enlevés de leurs maisons en Cisjordanie occupée au milieu de la nuit », avait dénoncé un autre député. « Des soldats lourdement armés emmènent les enfants et plusieurs heures plus tard, ils se présentent seuls dans les centres de détention ou d’interrogatoire, privés de sommeil, meurtris et effrayés ».
Les députés pro-israéliens se sont ainsi demandé si l’accent n’avait pas été mis indûment sur le sujet. Joan Ryan, la présidente du groupe des Amis d’Israël au Parlement, a par exemple fait remarquer qu’au cours des deux années qui se sont écoulées depuis que les députés ont abordé le sujet, « nous n’avons pas débattu du sort, par exemple, des enfants prisonniers en Iran, où Amnesty International estime qu’au moins 80 personnes se trouvent dans le couloir de la mort pour des crimes qui auraient été commis alors qu’elles avaient moins de 18 ans, ni même du sort des autres en Arabie saoudite, en Égypte, aux Maldives, au Pakistan, au Soudan, au Sri Lanka et au Yémen, qui ont tous condamné à mort des mineurs délinquants depuis 2010 ».
« Nous n’avons jamais non plus discuté du sort des 60 000 enfants enfermés dans les centres de détention pour mineurs aux Etats-Unis – beaucoup pour avoir fait l’école buissonnière, pour avoir bu avant l’âge légal ou pour avoir eu un comportement sexuel consensuel – ou du fait que, ajusté à la taille de la population, 5,5 fois plus de mineurs ont été arrêtés en 2015-16 en Angleterre et au Pays de Galles qu’en Cisjordanie par Israël », a-t-elle poursuivi.
Mais on peut soutenir que c’est moins le contenu des délibérations du Parlement sur Israël que l’attention apparemment disproportionnée qu’il porte à ses affaires qui est le plus problématique. Il n’est pas nécessaire de croire qu’il puisse y avoir un motif plus sombre pour ce que Collier appelle « la focalisation croissante » sur le seul État juif du monde pour reconnaître qu’elle fausse la façon dont les responsables politiques et le grand public britanniques en viennent à considérer les problèmes de la région.
En consacrant autant d’énergie à discuter du conflit israélo-palestinien, des implantations en Cisjordanie ou de Gaza, les parlementaires – qui n’ont qu’un temps limité à consacrer aux débats – s’attaquent moins aux questions concernant l’extrémisme islamiste, le terrorisme, la gouvernance corrompue et non démocratique, la faiblesse économique et l’expansionnisme iranien qui sont à l’origine des maux du Moyen-Orient.
Le chercheur note également la hausse des mentions d’antisémitisme au Parlement ces dernières années.
« Cela fait partie d’une tendance. Elle n’est pas liée à un seul individu, et les accusations d’antisémitisme ne peuvent pas être simplement un complot pour renverser Corbyn », commente-t-il. Si la « diffamation » de l’antisémitisme existe pour renverser le responsable travailliste, pourquoi y a-t-il eu des pics de discussion en 2004, 2008, 2009, 2011 et 2014 ?
« La montée de Corbyn est liée à la montée de l’antisémitisme, en ce sens que les idéologies extrémistes sont entrées dans le courant dominant … Corbyn est le symptôme d’un problème qui s’aggrave », écrit-il.
Collier a fait valoir au Times of Israel que la préoccupation croissante pour Israël et la montée de l’antisémitisme étaient « absolument liées ».
« Bien que toutes les activités anti-Israël ne soient pas enracinées dans l’antisémitisme, l’antisémitisme fait partie intégrante du militantisme anti-Israël », a-t-il déclaré. « Toute montée dans l’un entraînera inévitablement une montée dans l’autre. »
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