Grève de la Histadrout : un tribunal du travail parle d’une grève « politique »
Le chef du syndicat a respecté le jugement - mais ne regrette pas son initiative ; des députés réclament un recours collectif ; certains activistes ont dénoncé le mouvement social qui, selon eux, vient en aide au Hamas
Un tribunal a ordonné aux grévistes de reprendre le travail lundi après-midi, mettant un terme à une action syndicale visant à faire pression sur le gouvernement pour qu’il scelle un cessez-le-feu et un accord sur les otages à Gaza, alors que des milliers de personnes ont manifesté pour obtenir un accord dans tout le pays.
Le tribunal du travail de Tel Aviv a décidé que la fédération syndicale Histadrut avait jusqu’à 14h30 pour mettre fin à une grève générale qui avait fermé les bureaux du gouvernement et limité l’accès aux centres de soin, aux banques, aux transports publics et à d’autres services.
Le verdict était une victoire importante pour le gouvernement, qui avait cherché à bloquer l’initiative du plus grand syndicat du pays, annoncée un jour plus tôt alors que les Israéliens apprenaient douloureusement le rapatriement des corps de six otages, assassinés par leurs ravisseurs à Gaza – dont beaucoup pensaient qu’ils auraient pu être sauvés par un accord qui aurait mis fin à la guerre à Gaza après près d’un an.
L’État et le Forum Tikva, un groupe de familles d’otages qui a largement soutenu la priorité accordée par le gouvernement à l’action militaire plutôt qu’aux concessions pour obtenir la libération des otages, avaient demandé au tribunal d’émettre une injonction contre l’action de la Histadrout, arguant que la grève était motivée par des raisons politiques et sans rapport avec les droits des travailleurs, et qu’elle était donc illégale.
Le tribunal a accepté leurs arguments, rejetant la position de la Histadrout selon laquelle l’incapacité du gouvernement à conclure un accord nuisait à l’économie.
Dans sa décision, le tribunal a noté que « la question des otages, ainsi que l’assassinat des six otages ces derniers jours, nous déchire tous le cœur ».
Le président de la Histadrut, Arnon Bar-David, a déclaré qu’il respecterait la décision, tout en soulignant que « la grève de solidarité était une mesure importante et je la soutenais ».
Il a maintenu que la grève n’avait pas été défendue par un seul camp politique, ce qui indiquait que l’attrait des manifestations de masse de lundi avait dépassé les clivages politiques.
« Des centaines de milliers de citoyens ont voté avec leurs pieds », a-t-il déclaré. « Nous avons prouvé qu’en ce qui concerne le sort des otages, il n’y a pas de droite ou de gauche, seulement la vie ou la mort. »
La fédération syndicale, sommée de répondre avant midi aux requêtes de l’État et du Forum Tikva, a accepté de mettre fin à la grève à 18 heures, mais le tribunal l’a obligée à terminer plus tôt.
Les politiciens de droite du gouvernement du Premier ministre Benjamin Netanyahu avaient affirmé que le syndicat faisait le jeu du Hamas en faisant pression sur le pays pour qu’il accepte un accord, ce qui inciterait le groupe à exécuter davantage d’otages.
« Nous ne permettrons pas que l’économie israélienne soit mise à mal pour servir les intérêts de [Yahya] Sinwar, le chef du Hamas », a déclaré le ministre des Finances, Bezalel Smotrich, qui avait ordonné à l’État de demander une injonction au tribunal.
Le ministre de la Sécurité nationale, Itamar Ben Gvir, s’est également félicité de la décision « d’arrêter la grève politique de la Histadrout », tout comme le député Gideon Sa’ar, chef du parti d’opposition Tikva Hadasha, qui a déclaré que la grève « nuit à la Histadrout elle-même ».
Bar-David, dont le syndicat représente les travailleurs du secteur public, notamment les enseignants et les agents sanitaires, avait annoncé la grève après avoir rencontré les familles des otages dimanche après-midi. Les présidents d’université et le Forum des entreprises israéliennes, qui représente quelque 200 des plus grandes entreprises du pays, se sont joints à la grève, de même que plusieurs grandes municipalités, dont Tel-Aviv. Ces derniers ne sont pas affectés par la décision du tribunal.
Cette grève était survenue alors que des milliers de personnes étaient descendues dans les rues pour faire part de leur mécontentement contre l’incapacité, de la part du gouvernement, à conclure un accord ouvrant la porte à la remise en liberté des otages. Les protestataires ont bloqué des carrefours, dans tout le pays, pendant toute la matinée de lundi, notamment certaines des artères de circulation les plus fréquentées du centre de Tel Aviv.
Suite à l’annonce faite par Bar-David, Smotrich avait accusé le responsable syndical « de représenter les intérêts du Hamas » au lieu de soutenir l’économie, mise à mal par la guerre.
Le procureur de l’État, sollicité par Smotrich, a fait savoir dans une déclaration faite devant le tribunal qu’une grève « visant à influencer des décisions souveraines concernant des problématiques qui ne sont pas directement liées aux conditions de travail est interdite ».
Les députés de la coalition ont vivement recommandé de réclamer à Bar-David et à la Histadrout des dommages et intérêts pour la grève. De plus, des activistes de droite ont manifesté pour dénoncer le mouvement social à Jérusalem et aux abords du domicile de Bar-David, dans le centre de l’État juif.
Yitzhak Wasserlauf, député élu sous l’étiquette du parti d’extrême-droite Otzma Yehudit, avait appelé le gouvernement à amender la loi sur les recours collectifs pour permettre aux citoyens de porter plainte contre la Histadrout pour les pertes essuyées lors de la grève, déclarant « qu’il n’y a aucun droit de grève lorsqu’il s’agit purement de politique nationale sécuritaire ».
Bar-David « prévoit de clore l’économie, notamment l’aéroport Ben Gurion et tout le système de l’éducation », avait estimé Wasserlauf.
Les actions entreprises par le syndicaliste constituent « une grève politique pénalement répréhensible qui va à l’encontre de la loi, avec l’intention d’empêcher les larges mesures de sécurité qui sont promues par le gouvernement et par la coalition », a continué Wasserlauf, qui est le ministre en charge du Neguev, de la Galilée et de la Résilience nationale.
Le député Zvi Sukkot, lui aussi issu d’Otzma Yehudit, a publié dimanche sur X une lettre écrite par un avocat menaçant la Histadrout de recours collectif et Bar-David d’une plainte personnelle.
« Personne ne vous a donné, à vous ou à la Histadrout, une quelconque autorité politique », est-il écrit dans le courrier.
Les travailleurs qui ont adhéré à la Histadrout « proviennent de toutes les populations et de toutes les factions israéliennes et vous [Bar-David] n’avez pas le monopole de leur représentation en lançant ainsi une grève sauvage et illégale », note l’avocat dans sa missive.
Les membres du Forum Gvura, qui regroupe des familles en deuil et qui est de droite, a temporairement bloqué l’entrée du bureau du Premier ministre à Jérusalem, lundi, lors d’une contre-manifestation dénonçant la grève de la Histadrout.
"שביתה במשק זה פרס לחמאס": משפחות שכולות מפורום "גבורה" מפגינות מול משרד ראש הממשלה בדרישה להפעיל לחץ צבאי נוסף בעזה @VeredPelman
צילום: פורום גבורה pic.twitter.com/FoCYDGacXT— כאן חדשות (@kann_news) September 2, 2024
Les manifestants ont accusé le syndicat « récompenser le Hamas » et « d’encourager le terrorisme » en mettant l’économie à l’arrêt.
« Nous avons besoin d’être tous ensemble », a hurlé un manifestant, s’exprimant via un mégaphone, « contre le terrorisme, pas contre le gouvernement ». “
Ben Gvir, à la tête d’Otzma Yehudit, a indiqué aux manifestants que le parti « utilise son pouvoir au gouvernement pour prévenir la conclusion d’un accord imprudent ».
« Avec le Hamas, on ne peut parler qu’avec les armes », a-t-il poursuivi.
Dans la matinée, plusieurs activistes appartenant à la faction extrémiste Noam avaient manifesté aux abords du domicile du chef syndicaliste à Kiryat Ono, l’accusant de venir en aide au Hamas.
La Histadrout est le plus grand syndicat d’Israël – il représente 725 000 personnes, soit la majorité des travailleurs syndiqués du pays – et il est aussi le plus ancien.
משתמשים בכוחנו בממשלה למנוע עסקה מופקרת – עם חמאס צריך לדבר רק בין כוונות. pic.twitter.com/l39UV870Cn
— איתמר בן גביר (@itamarbengvir) September 2, 2024
Lors d’un mouvement de protestation massif en faveur d’un accord sur les otages qui avait eu lieu dimanche soir à Tel Aviv, Bar-David avait indiqué que « le moment était venu » d’utiliser son pouvoir pour fermer l’économie en raison de « l’abandon », de la part du gouvernement, des captifs, mais également de la sécurité et de l’économie du pays.
L’armée israélienne avait retrouvé les corps sans vie de six otages à Gaza, ce week-end, peu après leur exécution par arme à feu par leurs geôliers.
La guerre à Gaza a éclaté lorsque le Hamas a envoyé 3 000 terroristes armés en Israël, le 7 octobre, pour mener une attaque brutale au cours de laquelle ils ont tué près de 1 200 personnes. Les terroristes ont également pris en otage 251 personnes, pour la plupart des civils, et les ont emmenées à Gaza.
Selon les estimations, 97 des 251 otages enlevés par le Hamas le 7 octobre se trouvent toujours à Gaza, y compris les corps de 33 otages dont le décès a été confirmé par l’armée. 105 civils ont été libérés au cours d’une trêve d’une semaine à la fin du mois de novembre, et quatre otages ont été remis en liberté avant la trêve. Huit otages, dont une soldate, ont été secourus vivants par les forces israéliennes, et les corps de 37 otages ont également été récupérés, dont trois ont été tués par erreur par l’armée lors d’un incident tragique en décembre.
Le Hamas détient par ailleurs les corps des soldats de Tsahal Oron Shaul et Hadar Goldin depuis 2014, ainsi que deux civils israéliens, Avera Mengistu et Hisham al-Sayed, qui sont tous deux censés être en vie après être entrés dans la bande de Gaza de leur propre chef en 2014 et 2015 respectivement.