Hommage au rabbin américain qui a coulé avec son bateau en 1943
Mark Auerbach œuvre à préserver la mémoire d'Alexander Goode, l'aumônier qui avait cédé son gilet de sauvetage et apaisé les soldats paniqués après l'attaque de leur navire
JTA — Mark Auerbach n’avait pas encore cinq ans lorsqu’il avait remarqué un timbre-poste inhabituel dans le tiroir de son père. Sur ce timbre usé de trois cents, un dessin représentant un petit groupe d’hommes et un navire en perdition avec les mots « Les aumôniers immortels… le dialogue inter-religieux en action ». L’intérêt de l’enfant avait été piqué et il s’était tourné vers son père pour obtenir des explications.
« Notre cousin figure là-dessus », avait répondu son père en cherchant une explication adaptée à l’âge du bambin. « Il a dit que c’était un rabbin qui était mort pendant la Seconde Guerre mondiale, quand son navire avait été torpillé par les Allemands. Il m’a fait promettre que cette histoire ne serait jamais oubliée », s’est souvenu Auerbach, évoquant avec émotion cette enfance passée à Brooklyn.
C’est une promesse qu’Auerbach, âgé aujourd’hui 75 ans et qui vit à Passaic, dans le New Jersey, aura pris à cœur. Il s’est donné pour mission, pendant toute sa vie, de garder vivante l’histoire des « quatre aumôniers » – son cousin au troisième degré, le rabbin Alexander D. Goode, le révérend George Fox, le révérend Clark Poling et le père John Washington. Il y aura quatre-vingt ans ce mois-ci, ces religieux ont fait l’ultime sacrifice lorsque leur navire, l’U.S.A.T. Dorchester, a été torpillé et coulé par un sous-marin allemand dans l’Atlantique nord, aux toutes premières heures de la journée.
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Au fil des décennies, Auerbach est parvenu à accumuler des photos, des extraits d’articles de journaux, des objets en hommage à la bravoure et à la foi des quatre hommes – préservant notamment d’innombrables copies du timbre de trois cents qui avait été émis au mois de mai 1948. « C’est une histoire stupéfiante », s’est exclamé Auerbach en évoquant l’héroïsme des aumôniers. « Et l’un de ces héros appartenait à ma famille. »
La triste fin du Dorchester est considérée comme l’une des pires catastrophes maritimes du pays pendant la Seconde Guerre mondiale : sur les 902 hommes qui se trouvaient à bord, seuls 203 avaient survécu. Comme en témoignent les survivants et les historiens, les quatre aumôniers – qui étaient tous des soldats relativement nouveaux qui s’étaient liés d’amitié les uns avec les autres sur les bancs de l’École des aumôniers militaires de l’université de Harvard – s’étaient distingués par leur présence apaisante pendant les 18 minutes de désordre indescriptible qu’il s’étaient écoulées avant que le bateau ne disparaisse définitivement sous la surface de la mer. Tout au long de cette tragédie où le temps semblait s’être emballé, avaient raconté les survivants, les religieux avaient offert leurs prières, ils avaient aidé à distribuer des gilets de sauvetage et, ces derniers n’étant pas assez nombreux, ils avaient cédé généreusement les leurs.
« Ces actes d’altruisme des quatre aumôniers figurent parmi les actes les plus spirituellement purs, les plus éthiques qu’un être humain est en mesure de faire », note un document de la Four Chaplains Memorial Foundation dont la mission est « de promouvoir la coopération inter-confessionnelle et le service désintéressé », selon son site internet. « Lorsqu’il a offert son gilet de sauvetage, le rabbin Goode n’a pas cherché à le donner à un Juif ; le père Washington n’a pas cherché à donner le sien à un catholique et les révérends Fox et Poling n’ont pas cherché à donner les leurs à un protestant. Ils ont simplement donné leur gilet de sauvetage aux hommes qui attendaient là. »
Mais les choses ne se sont pas arrêtées là. Alors que le navire s’enfonçait sous l’eau, ont dit les survivants, les quatre hommes étaient restés sur le pont, se tenant chacun par le bras et unis dans la prière. « Je pouvais entendre des gens pleurer, supplier, prier », s’était souvenu William B. Bednar, qui flottait parmi les cadavres de ses compagnons d’équipage dans l’eau glaciale, des propos rapportés dans les documents de la fondation. « Et je pouvais aussi entendre les aumôniers qui prêchaient le courage. C’est leurs voix qui m’avaient permis de tenir. »
Selon le rabbin Dov Peretz Elkins, auteur du livre Rabbi Alexander Goode : The Story of the Rabbi and His Three Fellow Chaplains Who Went Down with the USAT Dorchester sorti en novembre 2022, les aumôniers avaient été entendus en train de faire leur prière respective alors que le navire coulait. Goode avait prononcé le « Shema Yisrael » ; le prêtre l’Ave Maria tandis que les deux révérends avaient dit le « Notre-père » (il est difficile de dire avec exactitude comment les survivants avaient pu assister à ces derniers moments – même si Elkins confirme, dans son ouvrage, que le Shema est la dernière prière qu’un Juif est censé prononcer avant sa mort).
Goode est né à Brooklyn en 1911; son père, Hyman Goodekowitz, était lui aussi rabbin. Quand ses parents ont divorcé, il s’est rendu à Washington, DC, avec sa mère et ses frères et sœurs. Goode était bon élève, un excellent athlète ; il avait la conviction que « répondre à l’appel religieux était le plan que lui avait réservé Dieu », a expliqué Elkins.
Goode a été diplômé de l’université de Cincinnati en 1934 et de l’Hebrew Union College en 1937; en 1940, il a obtenu un doctorat de la Johns Hopkins University. « L’éducation était très importante à ses yeux », a noté Auerbach. En 1935, il a épousé Teresa Flax, qui était une nièce d’Al Jolson et le couple a eu une petite fille, Rosalie, en 1939.
Il a commencé sa carrière de rabbin dans une synagogue de Marion, dans l’Indiana, en 1936. En 1937, il a été transféré à la synagogue Beth Israel à York, en Pennsylvanie, où il est resté jusqu’à ce qu’il s’engage dans l’armée au mois de juillet 1942.
« Il excellait dans le dialogue inter-religieux – sa congrégation l’aimait et l’admirait en particulier pour ça », a dit Elkins. « Il avait une réputation extraordinaire d’érudit, il était un rabbin chéri et il aimait entrer en relation avec les autres religions. »
Comme l’a écrit Elkins dans son livre, « dans sa nouvelle communauté, Alex avait fait un immense travail pour privilégier la compréhension entre les différentes religions. Il avait présenté une émission de radio régulière sur les affaires religieuses. Quand une église locale avait brûlé, il avait proposé d’accueillir les offices religieux de la congrégation ».
« C’était une personnalité exceptionnelle en plus de ce qu’il avait dû faire sur le Dorchester », a ajouté Elkins.
Selon le récit du sous-officier John J. Mahoney, qui avait survécu à la tragédie, Goode avait une seconde fois agi avec abnégation lors de cette matinée d’horreur. Il l’avait empêché de retourner dans sa cabine, un projet insensé, pour y récupérer ses gants. Il lui avait ainsi donné les siens, l’assurant qu’il en possédait deux paires.
Rétrospectivement, Mahoney avait réalisé que le rabbin Goode ne disposait pas sur lui, à ce moment-là, de deux paires de gants et que le rabbin avait déjà pris la décision à ce moment-là « de ne pas quitter le Dorchester ».
Après la guerre, pendant un certain temps tout du moins, l’histoire des quatre aumôniers avait été populaire. En plus des articles élogieux et du timbre-poste commémoratif – en plus d’objets et autres souvenirs conçus pour attirer plus spécifiquement l’attention des enfants – des mémoriaux avaient été érigés « dans presque tous les États », selon Elkins. Des vitraux en hommage aux quatre hommes sont visibles au Pentagone, à la National Cathedral et ailleurs. À Philadelphie, le président Harry Truman avait inauguré une chapelle construite en mémoire des aumôniers le 4 juin 1951. Selon des informations collectées à l’époque par la JTA, environ 10 000 « Américains de toutes les confessions » avaient levé la somme de 300 000 dollars pour la construction et pour l’ameublement de cette chapelle et le père de Goode, lors de la cérémonie d’inauguration, avait lu le Psaume 96 en hébreu.
Le 19 décembre 1944, la médaille militaire de la Purple Heart et la Distinguished Service Cross avaient été remises à titre posthume aux quatre hommes. Et pourtant, alors que le souvenir de la Seconde Guerre mondiale s’estompe avec le temps, peu de personnes semblent aujourd’hui connaître l’histoire héroïque des aumôniers du Dorchester.
« C’est une histoire tellement importante, elle est source de tant d’inspiration, elle devrait être mieux connue », a écrit Elkins dans son livre.
« Cet homme était très certainement un modèle exceptionnel », a ajouté Elkins en évoquant précisément Goode. « Nous avons besoin de plus d’Alexander Goode pour notre jeunesse, pour qu’elle puisse se dire ‘oui, je peux être honnête, intellectuel, fidèle à ma foi et aux miens, fidèle à l’héritage de mon judaïsme, je peux faire des choses honorables’. »
Dimanche dernier, à son accoutumée chaque année lors du dimanche le plus proche du 3 février, Auerbach et d’autres membres des familles des aumôniers sont allés assister à une messe de commémoration à l’église catholique romaine, St. Stephen, dans le New Jersey, où il a aussi présenté sa collection de photographies et de souvenirs.
« Cette histoire est tellement inter-confessionnelle qu’elle franchit toutes les barrières », a-t-il déclaré à la JTA. « C’est la ‘règle d’or’, en réalité. Tous étaient des hommes de foi dignes de ce nom – indépendamment de la journée de repos selon leur pratique religieuse, le samedi ou le dimanche – tous prêchaient la bonté à l’égard d’autrui, à l’égard de nos frères, de nos sœurs. Tout le monde parle de ça mais peu de gens connaissent cette histoire. C’est une histoire à laquelle les gens pourraient se fier. »
Elkins en convient. « Ces quatre hommes sont des modèles pour chacun d’entre nous », a-t-il dit. « Cela ne signifie pas que vous devez abandonner votre vie. Il y a toutes sortes de moyens d’accomplir de grandes choses. »
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