IA : « Israël ne peut pas se permettre de ne pas être leader » – Eugene Kandel
Selon RISE Israël et Google, les start-ups israéliennes de l'IA attirent moins d'investissements qu'aux États-Unis ou en Europe, et souffrent d’une pénurie de diplômés
Sharon Wrobel est journaliste spécialisée dans les technologies pour le Times of Israel.
Israël est à la traîne par rapport aux États-Unis et à l’Europe pour ce qui est de l’attractivité des investissements dans des start-ups qui développent des technologies basées sur l’intelligence artificielle et pourrait connaître une sérieuse pénurie de main d’œuvre dans ce domaine, alerte un rapport de recherche conjoint de l’institut RISE Israel et de Google Israël.
Israël se classe toujours parmi les 10 meilleurs écosystèmes en matière d’IA, mais est loin de réaliser tout le potentiel associé à cette technologie révolutionnaire alors que la concurrence mondiale en la matière s’intensifie.
Selon le rapport établi par RISE Israel – précédemment connu sous le nom de Start-up Nation Policy Institute (SNPI) – et Google, les taux de croissance israéliens dans les investissements globaux associés à l’IA sont plus faibles qu’ailleurs, alors même qu’une plus grande proportion de ses start-ups sont spécialisées dans le développement de ces technologies.
Selon le même rapport, aux États-Unis et en Europe, l’ampleur des investissements dans l’IA ne se dément pas depuis deux ans, et ce, malgré le ralentissement économique mondial, là où Israël, en 2023, est retombé à son niveau de 2018 après avoir culminé en 2021.
« La révolution de l’IA est un fait, et Israël ne peut pas se permettre de ne pas être leader dans ce domaine », a déclaré le président de RISE Israël, le professeur Eugene Kandel. « Au-delà de l’importance de garder intacte la compétitivité d’Israël au sein de cette course mondiale, l’adoption de l’intelligence artificielle pourrait considérablement améliorer la qualité de vie des Israéliens. »
L’an dernier, leaders de l’industrie et entrepreneurs des nouvelles technologiques ont dit leur inquiétude qu’Israël rate la vague mondiale de l’IA et l’importance de définir une stratégie de long terme de financement et de ressources de manière à stimuler l’enseignement et la recherche universitaire en la matière, encourager les start-ups et fournir les infrastructures et la puissance de calcul nécessaires aux modèles d’IA.
L’intelligence artificielle – technologie qui donne aux ordinateurs la capacité d’apprendre – existe depuis les années 1950. Mais c’est véritablement ces dix dernières années que la question a connu son essor grâce aux énormes quantités de données en ligne et à la puissance de calcul des puces. Les progrès engrangés ces 10 dernières années ont permis aux ordinateurs d’analyser des ensembles de données et de trouver des modèles pour résoudre des problèmes, la machine étant parfois plus futée que le cerveau humain.
Le récent battage médiatique autour de l’IA générative (GenAI), capable de créer des contenus complexes que l’on pourrait croire issus de la créativité humaine – à l’instar de ChatGPT d’OpenAI ou du chatbot Bard de Google – fait miroiter bien des espoirs et des attentes.
Même si les investissements dans les start-ups israéliennes développant des technologies GenAI ont augmenté d’environ 85 % entre 2020 et 2023, on est loin des + 900 % observée aux États-Unis ou des + 300 % en Europe, analyse le rapport sur l’industrie de l’IA en Israël.
Toujours selon ce rapport, Israël abrite 2 300 entreprises spécialisées dans l’IA – soit un quart du total des entreprises technologiques du pays -, 60 % d’entre elles étant des sociétés de logiciels.
Trois de ces start-ups font partie des 100 start-ups d’IA les plus prometteuses de 2023, telles que répertoriées par la société de données new-yorkaise CB Insights : il s’agit d’Exodigo, start-up spécialisée dans les infrastructures physiques, d’IA visionnaire, experte du traitement d’images et d’AI21 Labs, à la pointe du traitement du langage naturel et déjà à l’origine de modèles d’IA générative.
La moitié environ des start-ups israéliennes créées en 2023 utilisent l’IA pour les soins de santé, la cybersécurité ou la conduite autonome. Dans le secteur des sciences de la vie, la moitié des entreprises de santé numérique utilisent l’IA, contre une entreprise de dispositifs médicaux sur dix. Dans l’agri-tech, les deux sous-secteurs avec le pourcentage le plus élevé d’entreprises d’IA sont l’automatisation et la robotique (46 %) et l’agriculture intelligente (39 %).
En avril 2024, on comptait plus de 100 entreprises multinationales avec des opérations de R&D dans le domaine de l’IA en Israël. En début d’année, Google a lancé un fonds de 4 millions de dollars pour aider les start-ups spécialisées dans le développement de technologies d’IA à court d’argent. Elles ont en effet du mal à lever des capitaux en raison du contexte de la guerre contre le Hamas, qui a commencé par l’attaque brutale du groupe terroriste, le 7 octobre, dans le sud d’Israël.
Compte tenu des difficultés de l’environnement actuel, l’une des principales inquiétudes mises en avant par le rapport, et de nature à empêcher Israël de prendre la place qui lui revient au sommet de la vague d’IA, est la pénurie de main d’oeuvre liée au nombre toujours plus faible de hauts diplômés intéressants pour l’industrie.
Depuis dix ans, Israël fait face à une importante pénurie de ressources humaines technologiques, avec une demande croissante d’informaticiens, de programmeurs et d’ingénieurs.
Selon le rapport annuel AI Index de l’Université de Stanford, en 2023, Israël se classait à la première place mondiale des pays avec les plus fortes concentrations de talents en IA, suivi de Singapour et de la Corée du Sud. Selon une enquête de l’OCDE, Israël a le pourcentage le plus élevé de scientifiques experts des données et de l’apprentissage automatique, qui gagnent plus de 100 000 dollars.
« Cela suggère soit une forte demande de professionnels de l’intelligence artificielle en Israël, soit une offre limitée de talents dans ce domaine », analyse le rapport.
Des chercheurs de haut niveau comme le professeur Amnon Shashua de l’Université hébraïque, fondateur de Mobileye, fabricant de technologies de conduite autonome et cofondateur d’AI21 Labs, ou Shimon Ullman, professeur d’informatique à l’Institut Weizmann des sciences, sont connus dans le monde entier pour leur contribution au développement de l’IA et de la vision par ordinateur.
« Les professions de l’IA, qui reposent davantage sur des diplômes universitaires supérieurs, sont confrontées à une plus grande pénurie de main d’oeuvre que la haute technologie israélienne à titre général », précise le rapport.
Les deux tiers des employés dotés d’une formation universitaire et qui occupent des postes liés à l’IA sont titulaires d’un diplôme d’études supérieures (maîtrise ou doctorat), contre 12,4 % des développeurs de logiciels, indique le rapport.
Le nombre de diplômés en licence d’informatique, mathématiques et statistiques a augmenté de 60 % entre 2017 et 2022 – avec un effectif de
4 400 en 2022 -, mais celui des titulaires de maîtrise n’a pas dépassé les 700 cette même année. Par ailleurs, le nombre de titulaires de doctorat a stagné ces dernières années, aux alentours d’une centaine par an. Plus inquiétant encore, 15 % des titulaires d’une maîtrise et 21 % des titulaires d’un doctorat en informatique sont partis à l’étranger, toujours selon le rapport.
« Israël excelle dans la R&D et dispose de talents de classe mondiale dans les TIC (technologies de l’information et de la communication), mais il est à la traîne en matière de stratégie gouvernementale, d’infrastructures et d’environnement opérationnel – autant d’éléments clés pour maintenir son leadership en matière d’IA et l’intégration des technologies de l’IA dans la vie quotidienne des Israéliens », alerte le rapport.
Partout dans le monde, les gouvernements s’efforcent de définir des politiques pour réglementer les outils d’IA : Israël avait commencé à se pencher sur sa stratégie de long terme en matière d’IA, mais cet effort est aujourd’hui suspendu.