Il y a 50 ans, les ‘anges de la boue’ étaient venus à Florence, inondée, pour sauver des siècles d’histoire Juive
Les habitants marquent l’anniversaire de la catastrophe de 1966 qui avait décimé la ville, endommageant 90 rouleaux de Torah et 15 000 textes sacrés

FLORENCE, Italie — Dans la matinée du vendredi 4 novembre 1966, Andrea Belgrado, 18 ans, était profondément endormi dans sa chambre, dans la maison de sa famille, située face à la Grande Synagogue de Florence qui se trouvait juste de l’autre côté de la rue. En ce jour férié commémorant l’armistice de la Première Guerre mondiale, Belgrado était bien décidé, comme la majorité des adolescents, à s’offrir une bonne grasse matinée.
Mais son sommeil a été brutalement interrompu lorsque son père — Fernando Belgrado, Grand Rabbin de Florence – l’a réveillé et envoyé à la synagogue. Selon des rumeurs, le fleuve Arno était sorti de son lit et une eau impétueuse commençait à inonder la ville.
“Au début, rien ne semblait sortir de l’ordinaire, mais tout à coup le regard, sur le devant de la synagogue, s’est ouvert et des litres d’eau ont commencé à se déverser à travers. A ce moment-là, on a compris que la situation était grave », raconte au Times of Israël Andrea Belgrado lors d’un entretien téléphonique.
Accompagnés de deux autres personnes, Belgrado et son père ont tout d’abord ôté des rouleaux de Torah qui se trouvaient dans l’Arche pour les mettre en sécurité dans la section des femmes, à l’étage.
“Mais le niveau d’eau n’arrêtait pas de monter. Elle venait de l’entrée mais aussi du fond de la synagogue. Lorsqu’elle a atteint nos cuisses, mon père nous a arrêtés, en nous rappelant que la tradition juive ne reconnaît aucune valeur qui soit supérieure à celle de la vie humaine. Et nous sommes donc partis nous mettre en sécurité”, se souvient Belgrado.
‘Tout à coup, le regard, sur le devant de la synagogue, s’est ouvert et des litres d’eau ont commencé à se déverser à travers’.
Ce n’était que le début de ces inondations qui ont incarné la plus grande catastrophe naturelle de l’histoire moderne de Florence, transformant la ville en « lac infini immergé dans l’obscurité », comme l’avait commenté à l’époque l’agence nationale de presse italienne.
Dans certains quartiers, l’eau devait atteindre les cinq mètres de hauteur – et presque deux mètres à l’intérieur de la synagogue – recouvrant les maisons et les magasins. Des monuments et des sites artistiques connus dans le monde entier ont été endommagés, comme la Galerie Uffizi, le Ponte Vecchio et la Basilique de Sainte-Croix, tandis que voitures, vélos et toutes sortes de débris étaient balayés par les éléments furieux.
Plus de 30 personnes ont trouvé la mort lors de ce désastre. Des milliers de personnes ont, quant à elles, perdu leurs maisons, des dizaines de milliers de foyers se sont trouvés également trouvés sans électricité, sans gaz et sans eau courante.
Et ce sont un million de livres qui ont été dévastés, parmi lesquels 15 000 ouvrages et manuscrits juifs qui étaient installés sur les rayonnages de la bibliothèque communautaire et dans ses archives, ainsi que 90 rouleaux de Torah qui se trouvaient dans les saintes arches de la synagogue.

Pour marquer le cinquantième anniversaire des inondations de l’Arno, certains de ces livres, avec des objets d’artisanat juifs, sont à découvrir dans le cadre de l’exposition “Et les eaux s’apaisèrent” intitulée ainsi en raison du verset 8:1 de la Genèse, qui décrit le sillage immédiat des inondations bibliques de Noé. (Cette exposition a été lancée à la fin du mois d’octobre à la Bibliothèque Nationale de Florence, et s’achèvera le 27 janvier 2017.)
“Je me souviens d’avoir marché depuis ma maison jusqu’à la synagogue, la matinée de Shabbat. Je peux encore sentir quel était le poids du silence de ce jour, un silence profond, et l’obscurité, et cette boue noire qui recouvrait tout », se rappelle Umberto Di Gioacchino, qui était âgé de 25 ans et travaillait comme secrétaire à l’école juive locale au moment des inondations.
Au cours de la nuit du vendredi au samedi, les eaux avaient finalement reculé, laissant derrière elles une couche épaisse de boue mélangée aux eaux usées et aux carburants qui s’étaient échappé des chaudières endommagées et des systèmes de chauffage abîmés.
A ce moment-là, les citoyens de Florence avaient commencé à réagir, aidés par des milliers de jeunes qui avaient accouru en Toscane depuis toute l’Italie et venus du monde entier pour venir en aide à la population et sauver le patrimoine artistique unique de la zone.
On les a appelés les « anges de la boue », comme les avait qualifiés le journaliste Giovanni Grazzini dans le quotidien italien Corriere della Sera.
Parmi eux, se trouvaient également de nombreux Juifs désireux de venir soutenir la communauté de Florence pour l’aider à remettre en état et à préserver les trésors de livres, de rouleaux et d’objets d’art accumulés des siècles durant à travers les dons et les legs.
« Je suis allée à Florence avec un groupe d’amis du Centre de la Jeunesse juive de Milan. Nous avions quitté le lycée quelques mois auparavant et on a eu le sentiment qu’il était important d’apporter notre contribution. Au moment où nous sommes arrivés là-bas, on nous a donné du papier buvard à insérer entre les pages des livres. Il y en avait des milliers, tous sortis sur des tables pour essayer de les faire sécher. C’était une image vraiment profondément triste », raconte Cecilia Nizza, originaire de Milan.
La vue de l’état de dévastation dans lequel se trouvait la synagogue devait même entraîner des conséquences plus tragiques encore.
C’est un contingent d’hommes jeunes venus de la communauté juive de Rome qui était également venu à Florence dans un élan de solidarité.
Parmi eux, Luciano Camerino, survivant de l’Holocauste – l’un des 16 Juifs revenus vivants à l’issue du raid de triste mémoire mené par les forces nazies le 16 octobre 1943 dans le ghetto de Rome. Lorsqu’il a découvert la situation choquante de la synagogue, Camerino a eu une attaque cardiaque, rendant l’âme le jour même à l’hôpital à l’âge de 40 ans.
Alors que les bénévoles travaillaient avec ardeur pour nettoyer la synagogue de la boue qui s’y était répandue, les douzaines de parchemins de rouleaux de Torah ont été déroulés pour sécher. Ils ont été plus tard transportés dans la Grande Synagogue de Rome pour être suspendus dans un environnement plus propre et moins humide.
Presque tous ces rouleaux ont toutefois été trop gravement endommagés pour être sauvés, et en septembre 1987, ils ont été enterrés dans le cimetière juif de Rifredi à Florence, comme le veut la tradition juive pour les textes trop abîmés.
Seules trois Torahs ont été conservées et restaurées – à l’exclusion toutefois d’un usage rituel – et font maintenant partie de l’exposition.

Les livres de la synagogue ont été recouverts de talc pour absorber l’eau, et du papier de soie a été inséré entre chaque page.
Plusieurs milliers d’entre eux ont également été amenés à Rome et conservés au Centre Bibliographique de l’Union des Communautés Juives italiennes pendant des décennies.

En 2012, un organisme caritatif consacré à la préservation de la Synagogue de Florence “Opera del Tempio Ebraico di Firenze” a promu un projet de restauration de ces livres, projet qui a été finalement accompli par la Fondazione per i Beni Culturali Ebraici in Italia (Fondation du Patrimoine Culturel Juif Italien).
Parmi ces ouvrages restaurés, les plus précieux sont maintenant présentés dans le cadre de l’exposition parrainée par la Fondation du Patrimoine Culturel Juif Italien et la Bibliothèque Nationale de Florence, avec la coopération de l’Opera del Tempio, la Communauté Juive de Florence et l’Union des Communautés Juives italiennes.
Cette exposition contient cinq sections thématiques – la Bible et ses commentaires, la littérature rabbinique, les rituels, la liturgie, la philosophie et le mysticisme.
Outres les livres qui ont été ravagés par les eaux, elle permet également de découvrir les volumes les plus uniques de la Bibliothèque Nationale de Florence. Parmi eux, le plus ancien Talmud du monde, le “Codex Firenze” de 1177, et un “Rouleau des lieux saints” qui, selon les estimations, aurait été écrit entre le milieu du 13ème siècle et le milieu du 14e siècle.
Ce rouleau est doté d’illustrations en couleur des lieux saints en Israël et au Moyen-Orient.
Sortis des profondeurs il y a 50 ans, ces artéfacts incarnent aujourd’hui une communauté rassemblée dans le dépassement de l’adversité.
Di Gioacchino se rappelle de ce qui a suivi des inondations non comme d’un moment de deuil, mais comme d’un moment de reconstruction.
“Le jeune homme que j’étais aimait porter des couleurs sombres à la mode, et le samedi matin qui a suivi les inondations n’a pas fait exception à la règle”, dit-il.
“Quand je suis arrivé à la synagogue, le rabbin Belgrado s’est adressé à moi sèchement : ‘Où penses-tu aller, habillé comme un a principino (petit prince) ? On est là pour travailler. « J’ai eu le sentiment que cette réaction ironique était un moyen de réagir à l’immensité de cette tragédie ».
“A ce moment-là, on pensait qu’on ne s’en sortirait jamais”, explique Di Giaocchino. “Mais on s’en est sortis – la communauté juive comme la ville. Et en quelques semaines, Florence était ouverte et fonctionnait à nouveau, grâce au travail dur livré par ses citoyens et à la solidarité venue du monde entier ».
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