Impatients de leur exode, les Juifs éthiopiens préparent le plus grand seder mondial
Il faut un village pour cuire 50 000 matzas à Gondar, mais c’est ce que vous faites quand vous espérez vraiment être “l’année prochaine à Jérusalem”
GONDAR, Ethiopie – L’odeur des matzas en train de cuire monte au-dessus de la clôture d’acier ondulé bleu et blanc de la synagogue de la ville éthiopienne de Gondar, qui se prépare à accueillir ce qui devrait être le plus grand seder de Pessah du monde, vendredi soir.
Dans la synagogue, Atenkut Setataw, 25 ans, chantre de la communauté, tient un chronomètre numérique et crie en amharique : « C’est parti ! »
Vingt hommes passent à l’action. Ils mélangent de l’eau et des monticules de farine soigneusement tamisée, les roulent en pâte et avec un rouleau spécial percent des trous réguliers dedans, coupant ensuite la pâte en cercles avec un grand couteau à pâtisserie.
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Ils ont huit minutes pour achever leur tâche avant que les femmes n’apportent la pâte à matza découpée dans une douzaine de feux différents, où les matzas sont cuites sur des feuilles de métal circulaires (similaire à unsaj pour cuire la pita sur le feu) en moins de 10 minutes. La matza casher doit être préparée, du début à la fin, en 18 minutes ou moins.
Les matzas terminées sont transférées vers une pièce qui a été transformée en centre de stockage de matzas, pendant que Setataw note soigneusement le nombre de matzas cuites à chaque fournée.
Il faut une communauté entière pour préparer à la main les 50 000 matzas pour les 6 000 Juifs de Gondar. Plus de 40 personnes travaillent du lever au coucher du soleil pendant une semaine avant Pessah pour assurer qu’il y aura assez de matzas pour le soir du seder et le reste de la semaine.
Sur la liste de courses pour le soir du seder figurent aussi 2 000 œufs, 300 kilogrammes de pommes de terre, 400 kilogrammes de bananes, et 40 kilogrammes de raisins pour fabriquer du vin maison dans deux grands barils d’ordures.
Plus de 3 000 personnes sont attendues pour le seder vendredi soir, ce qui en fait probablement le plus grand seder du monde. Le deuxième plus grand seder devrait être celui du Habad au Népal, qui attend 1 500 randonneurs cette année, comme les années précédentes.
Qu’est-ce qui rend ce Pessah si différent de tous les autres Pessah que les Juifs éthiopiens ont célébré à Gondar ? Cette fois, « l’année prochaine à Jérusalem » ne sera pas juste une parole.
« Ce Pessah est différent parce que le gouvernement israélien a décidé de faire venir 9 000 Juifs [en Israël] », a déclaré Ambanesh Tekeba, 32 ans, dirigeante de la communauté juive élue depuis trois ans. « Nous sommes très heureux. Tout le monde pense ‘Peut-être que c’est notre dernier Pessah ici’. »
Les Juifs éthiopiens de Gondar ont célébré la décision prise en novembre par Israël d’approuver l’immigration de 9 000 Juifs d’Ethiopie. L’approbation a chancelé trois mois après, quand le bureau du Premier ministre a refusé de mettre en place le programme parce que le milliard de dollars nécessaire pour financer les paniers d’intégration ne figurait pas dans le budget de l’Etat.
Deux députés Likud, David Amsalem et Avraham Neguise, ont refusé de voter avec la coalition pendant deux mois, jusqu’à ce que la Knesset approuve le projet de faire venir les 9 000 Juifs en Israël, à raison de 1 300 par an. La coalition gouvernementale ne dispose que d’une majorité d’un siège à la Knesset.
Bien que l’Agence juive ait annoncé la fin de l’alyah éthiopienne en août 2013, il y a toujours des milliers de personnes qui s’identifient comme juives mais ne sont pas qualifiées à l’immigration pour Israël pour différentes raisons administratives.
Les Juifs éthiopiens toujours présents en Ethiopie sont appelés « Falash Mura », ce qui signifie qu’ils descendent de Juifs qui se sont convertis au christianisme, souvent sous la pression, il y a des générations.
Environ 135 000 Juifs d’origine éthiopienne vivent en Israël. Des dizaines de milliers de Juifs éthiopiens ont été transportés par avion en Israël pendant l’opération Moïse en 1984 et l’opération Salomon en 1992. Depuis, 50 000 Juifs éthiopiens de plus sont venus en Israël, à un taux d’environ 200 par mois.
Le processus d’alyah a parfois divisé des familles, forçant les parents à laisser leurs enfants plus âgés derrière eux quand ils sont partis en Israël, puisque les personnes de plus de 18 ans devaient être approuvées individuellement. Les Israéliens éthiopiens ont manifesté pendant des années pour la réunification des familles, brandissant des photos des membres de leur famille qui attendaient toujours.
Après l’opération Bordure protectrice, deux soldats d’élite éthiopiens ont demandé que leurs frères et sœurs viennent en Israël dans une affaire qui a fait les gros titres mais a pris des mois de lutte bureaucratique à être résolue.
L’alyah des « derniers » 9 000 Juifs d’Ethiopie devrait commencer en juin. Alors que des obstacles demeurent, comme le racisme profondément ancré contre les Éthiopiens en Israël, la communauté juive de Gondar commence la saison de Pessah pleine d’optimisme.
« Je me sens juste comme nos ancêtres, et comme ils sont allés en Israël [dans l’histoire de Pessah], nous irons aussi en Israël », a déclaré Gashaw Abinet, 29 ans, également chantre de la communauté. « Nous sommes dans une situation difficile, tout comme nos ancêtres. Tout est difficile. Je suis jeune, mais j’essaie de progresser dans ma foi. C’est dur d’être religieux ici, et c’est dur de garder notre foi. »
Selon le rabbin Menachem Waldman, qui a été éducateur juif et conseiller spirituel dans la communauté juive éthiopienne ces 35 dernières années, il y a environ 6 000 Juifs à Gondar, une ville du nord de l’Ethiopie, et 3 000 Juifs dans la capitale, Addis-Abeba.
Abinet, le chantre, sait qu’il y a des personnes en Israël qui doutent du lien de sa communauté au judaïsme, ou pensent qu’il y a des chrétiens qui essaient de se rendre en Israël pour des raisons économiques. Tous les Juifs restant en Ethiopie doivent se soumettre à un processus de conversion après l’alyah, parce qu’ils ne sont pas considérés comme Juifs selon la halacha [la loi juive]. C’est peut-être parce que leur judaïsme provient du côté paternel plutôt que du côté maternel, ou parce qu’ils descendent de Juifs qui se sont convertis au christianisme.
« Nous sommes tous la nation d’Israël, nous avons tous quitté la Terre Sainte, a dit Abinet. A présent, avec l’aide de Dieu, c’est le moment de retourner en Israël. »
Abinet pense que les obstacles posés par les ministères gouvernementaux ou d’autres opposants ne sont que temporaires. « Ils ne peuvent pas empêcher la Nation d’Israël de nous rassembler, a-t-il déclaré. Peut-être qu’ils peuvent nous en empêcher pour une courte période, mais pas pour toujours. Je sais que Dieu a fait un miracle pour les Juifs en Egypte. Maintenant Il doit aussi le faire pour nous. »
« Au gouvernement d’Israël : nous croyons que Dieu nous aidera, mais c’est bien si vous nous aidez aussi, a ajouté Abinet. Le temps passe, et c’est une nouvelle ère à présent. »
Deux jours avant le début de Pessah, alors que la lumière de l’après-midi devenait dorée, l’opération massive de fabrication des matzas tirait à sa fin après une semaine de travail frénétique.
Demain, le mélange de harosset et la cuisson des 2 000 œufs commenceront. La préparation de Pessah est une opération qui nécessite la force d’un village, et est l’une des traditions juives éthiopiennes qui sera perdue quand la communauté sera en Israël.
« Nous sommes nés ici, nous avons grandi ici, nous sommes Éthiopiens, alors oui, ça me manquera », a déclaré Abinet à propos de la préparation communautaire de Pessah. « Mais encore plus que [l’Ethiopie] ne me manquera, la Terre Promise manque maintenant à mon âme. La promesse de Dieu est dans mon cœur, et c’est ce qui me garde fort. »
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