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Israël a-t-il l’obligation morale d’accueillir les réfugiés africains ?

Intervenant à Bar-Ilan, le célèbre sioniste de gauche et théoricien politique, Michael Walzer, préconise plus de migration et qualifie la droitisation d'Israël de terrifiante

Simona Weinglass est journaliste d'investigation au Times of Israël

Le philosophe politique Michael Walzer prend la parole à l'Université Bar Ilan, le 13 juin 2019. (Moshe Atar)
Le philosophe politique Michael Walzer prend la parole à l'Université Bar Ilan, le 13 juin 2019. (Moshe Atar)

Pour la gauche américaine, le célèbre philosophe politique, Michael Walzer, a des vues démodées. C’est un sioniste quand beaucoup de jeunes gauchistes remettent en question la légitimité d’un Etat juif, un partisan de l’intervention humanitaire militaire à l’étranger quand une grande partie de la gauche est anti-militariste et anti-impérialiste, et un opposant au BDS, le mouvement de Boycott d’Israël, même s’il est en faveur du boycott ciblé des produits des implantations.

Le 13 juin, Michael Walzer, professeur émérite à l’Institute for Advanced Study (IAS) de Princeton, aux États-Unis, a donné la conférence publique annuelle M.G. Levin sur la pensée juive à l’université Bar-Ilan.

Au cours de la conférence, il a soutenu, pour des raisons morales et éthiques juives, qu’Israël devrait accueillir davantage de réfugiés non juifs et qu’il ne devrait pas expulser des enfants nés en Israël de travailleurs étrangers. L’intellectuel de 84 ans a également discuté séparément avec le Times of Israel sur ce que signifie être de gauche et sioniste à l’ère de Donald Trump et Benjamin Netanyahu.

M. Walzer a déclaré à l’auditoire qu’il n’est nullement partisan de l’ouverture des frontières, mais qu’il croit que les États-Unis, et Israël aussi, devraient accueillir plus de réfugiés qu’ils ne le font actuellement.

M. Walzer a souligné, à titre d’exemple, à quel point les États-Unis ont été incroyablement généreux envers les nouveaux arrivants.

Les premiers pionniers de ce qui est devenu les États-Unis étaient anglais et écossais, a-t-il dit, mais « au cours du 19e siècle, ces pionniers, avec beaucoup de réticence et une résistance sporadique, ont accepté de devenir une minorité dans ce qu’ils considéraient être leur pays. »

Il a comparé cette ouverture américaine aux déclarations d’un homme politique polonais qui s’est récemment opposé à l’admission de plusieurs milliers de Syriens « parce qu’il ne voulait pas que les Polonais deviennent une minorité en Pologne ».

Michael Walzer a qualifié cet argument de « mauvais », bien qu’il comprenne, en principe, le désir des nations de préserver leur culture.

« Les gens ont le droit d’être chez eux dans leur pays d’origine, où ils ont créé une langue, partagé une histoire, façonné un paysage et établi un calendrier avec des fêtes et cérémonies. Ils ont le droit d’espérer que leurs petits-enfants grandiront dans ce lieu, nourris par ses traditions. »

Mais l’universitaire a fait valoir que les bonnes patries ont la capacité d’absorber et d’intégrer un nombre limité d’immigrants.

Des demandeurs d’asile africains et des militants des droits de l’Homme protestent contre l’expulsion devant l’ambassade du Rwanda à Herzliya, le 22 janvier 2018 (Crédit : Tomer Neuberg / Flash90)

« Ce devrait être une question de fierté. Nous pouvons faire d’un grand nombre d’étrangers des gens du pays. Les Français, par exemple, ont fait exactement cela pendant une grande partie du 20e siècle. »

Michael Walzer a fait valoir que les États ont l’obligation d’accueillir trois types d’immigrants : les membres de la famille ethnique et idéologique, les demandeurs d’asile fuyant les persécutions politiques et les réfugiés fuyant la guerre ou les catastrophes naturelles. Cette question deviendra pertinente dans les décennies à venir, a-t-il dit, car on s’attend à ce que des dizaines de millions de réfugiés climatiques désespérés migrent en masse vers des régions plus hospitalières de la planète.

« Vous devez aussi vous demander comment vous traitez les personnes que vous avez déjà accueillies », a-t-il ajouté. « Ce matin, il y avait un article dans Haaretz sur une centaine de mères philippines qui sont sur le point d’être expulsées avec leurs enfants nés en Israël. Ce sont des enfants dont la langue maternelle est l’hébreu, qui ont grandi ici. Et je pense que ce serait un acte indécent et un déshonneur pour l’État d’Israël que d’expulser ces gens. »

Les membres de l’auditoire écoutent une conférence donnée par le théoricien politique Michael Walzer à l’Université Ba- Ilan, le 13 juin 2019. (Moshe Atar)

Plusieurs des membres de l’auditoire n’étaient pas du tout d’accord avec Michael Walzer et la conférence respectueuse a été suivie d’une séance de questions et réponses animées. Un participant est sorti de la salle de conférence en colère après des remarques qu’il jugeait trop à droite.

« Je pense que vous sous-estimez les défis que doivent relever les États-nations en disant qu’il faut faire venir un petit nombre de personnes », a déclaré un intervenant. « Regardez ce qui se passe en Europe où ces groupes d’immigrants ont des taux de reproduction et de croissance très disparates. Et beaucoup de ces groupes n’ont nullement envie de s’intégrer dans la culture absorbante. Certains d’entre eux y sont hostiles. »

Un autre homme a dit que les migrants africains en Israël avaient des taux de criminalité élevés, quelque chose que l’on peut expérimenter si l’on vit dans le sud de Tel Aviv, a-t-il dit.

Un autre a suggéré que les migrants africains en Israël ne sont pas en fait des réfugiés : « Vous n’avez pas abordé la question des migrants économiques, et il se peut que les personnes venues d’Afrique au départ aient été de véritables réfugiés, des réfugiés politiques fuyant l’oppression, mais cela est devenu une autoroute pour les personnes des pays pauvres vers les pays riches. Cela se produit également aux États-Unis. Il existe en fait des organisations qui facilitent la migration. Ce ne sont pas des réfugiés. »

Gauche et sionisme en désaccord

En marge de la conférence, le Times of Israel a demandé à Michael Walzer s’il avait été victime d’antisémitisme de la part de la gauche américaine.

« Il y a un problème, mais je pense qu’il est beaucoup moins grave aux États-Unis qu’en Europe, surtout en Grande-Bretagne », a-t-il dit. « J’ai donné une conférence sur ce sujet au Begin Center il y a deux jours, et un Britannique a souligné qu’en Grande-Bretagne, c’est la critique de l’État d’Israël et l’opposition à son existence qui ont ouvert la voie à l’antisémitisme ».

« Ce n’était pas l’inverse. Nous pensons que l’antisémitisme produit de l’antisionisme, mais il soutenait que l’antisionisme du Parti travailliste, par exemple, légitimait l’antisémitisme. »

Michael Walzer a déclaré ne pas observer la même tendance aux États-Unis et qu’en fait, une grande partie de l’antisionisme aux États-Unis a pour origine les jeunes Juifs.

« Certains d’entre eux sont des nationalistes de la diaspora et ce qu’ils croient, c’est que les Juifs sont trop bien pour avoir un État. Quand vous avez un État, vous devez être brutal, vous devez tuer parfois, et ça, c’est pour les goyim. Nous valons mieux que ça. Après deux mille ans sans patrie, nous sommes devenus un peuple cosmopolite qui a transcendé l’État-nation. »

Il a expliqué que ce point de vue nationaliste de la diaspora était un « courant important dans la vie juive américaine ».

Le panneau publicitaire appelant au boycott d’Israël près de l’aéroport Logan de Chicago. (Crédit : capture d’écran CBS)

En outre, de nombreux jeunes Juifs des États-Unis s’opposent farouchement à « l’occupation de la Cisjordanie par Israël » ainsi qu’à son gouvernement actuel de droite, a-t-il noté.

« Et puis ils sont pris dans le mouvement BDS, dont les dirigeants et les idéologues sont vraiment en faveur de l’élimination de l’État juif. Mais beaucoup de partisans du BDS ne le sont pas. Ils n’ont pas cet engagement. Ils pensent que c’est juste une campagne contre l’occupation. »

Pour le philosophe, les gens de gauche qui affirment qu’il ne devrait pas y avoir d’État juif, mais qui soutiennent publiquement tous les autres mouvements nationaux dans le monde, méritent probablement l’étiquette d’antisémites.

Il a indiqué être membre d’un groupe d’universitaires libéraux et de gauche qui luttent contre le mouvement BDS sur les campus et dans les associations professionnelles.

« Ce que nous avons découvert, c’est que nous pouvons gagner des batailles sur de nombreux campus et dans les associations professionnelles si nous faisons pression pour obtenir le vote le plus large possible. L’exemple clé en est l’Association des anthropologues, qui a été identifiée pendant des années comme hostile à Israël. Chaque année, lors de leur congrès annuel, ils organisent un rendez-vous professionnel qui vote pour une résolution du BDS. Cette année, certains membres de notre organisation ont insisté pour qu’il y ait un vote de l’ensemble des membres de l’organisation. »

Le résultat, a-t-il dit, était de deux contre un contre le BDS.

Quand on lui a demandé combien de jeunes de gauche ne sont pas opposés au sionisme ou au nationalisme, il a répondu : « Il y a des jeunes qui ont mes opinions politiques, et il y a des jeunes qui auraient mes opinions politiques si Israël n’était pas devenu si peu attrayant pour eux. »

Il n’y a pas beaucoup de pays qui ont gardé un régime démocratique pendant 70 ans. Il doit donc y avoir une sorte d’engagement populaire et d’organisation institutionnelle qui le permette

« Je me considère comme libéral de trois façons différentes. Il y a la démocratie libérale, c’est-à-dire la démocratie avec des contraintes sur ce que les majorités peuvent faire. Je suis un nationaliste libéral, ce qui signifie que je crois en l’autodétermination et en l’importance de l’existence d’un État pour toutes les nations, y compris les autres nations, en plus des Juifs. Et je suis un socialiste libéral. Je crois que le socialisme doit s’accompagner d’une démocratie libérale. Ça ne peut pas être une politique d’avant-garde. « Le libéralisme est donc l’adjectif qui décrit les positions de fond que je défends. »

Il estime qu’Israël bénéficie toujours d’un soutien substantiel au sein du Parti démocrate.

« Dans l’aile gauche du Parti démocrate, il commence à y avoir une critique ouverte d’Israël qui prend parfois des formes antisionistes. Mais parfois, il s’agit explicitement de défendre deux États et de s’opposer à l’occupation. Et c’est toujours la position majoritaire. »

« Un vieux Mapainik« 

En ce qui concerne la politique israélienne, Michael Walzer, qui se rend dans le pays au moins une fois par an, se décrit comme « l’équivalent d’un vieux Mapainik« .

Zeev Jabotinsky (photo credit: Wikimedia Commons)
Zeev Jabotinsky (Crédit : Wikimedia Commons)

« Mes amis ici ont surtout mon âge et ce sont aussi de vieux Mapainiks [précurseurs du Parti travailliste], et certains d’entre eux sont de vieux Mapamniks [sionistes socialistes].

« Pour eux, et pour moi, le virage à droite de la politique israélienne est effrayant parce que ce n’est pas l’ancienne droite. Ce n’est même pas la droite de Jabotinsky et Begin, parce qu’ils étaient en quelque sorte des libéraux anglais. »

A titre d’illustration : Le Premier ministre Benjamin Netanyahu dirige une réunion du Likud au Menachem Begin Heritage Center à Jérusalem, le 14 mars 2016. (Yonatan Sindel/Flash90)

Selon le philosophe, les Haredim, qui étaient auparavant apolitiques, sont devenus une force qui soutient et renforce les tendances nationalistes agressives « qui sont hostiles à toute version du multiculturalisme, hostiles aux non-juifs et qui soutiennent une politique qui prétend avoir des raisons religieuses pour vouloir la terre entière [la terre d’Israël].

De même, le nationalisme séculier de l’ancien Likud s’est transformé, a-t-il ajouté.

« Il semble qu’il soit devenu, d’une manière que je ne comprends pas totalement – et peut-être que cela a beaucoup à voir avec Bibi Netanyahu – corrompu et de plus en plus radical. C’est devenu une sorte de nationalisme populiste. »

Il a défini le populisme comme la révolte de la démocratie contre le libéralisme.

« C’est un argument selon lequel une fois qu’il y a des majorités, les majorités peuvent faire tout ce qu’elles veulent. Ils ne devraient pas être restreints par les tribunaux ou par les lois sur les droits de la personne. »

« C’est donc une politique que nous voyons en Europe de l’Est, en Inde. Et c’est une politique très dangereuse. Quelles sont exactement ses causes ? Je soupçonne que les causes varient d’un pays à l’autre. Mais il y a une sorte de sentiment de camaraderie, une sorte d’alliance. Bibi va en Hongrie et y obtient le soutien de personnes qui sont antisémites mais très pro-Israël tant qu’Israël est entre les mains de gens comme eux. »

« La Hongrie est peut-être sur la voie d’une politique néo-fasciste. En Pologne, l’opposition reste très forte. Et je ne parle pas des États-Unis. »

Quant à Israël, il a ajouté : « Je n’abandonnerai certainement pas Israël. Je pense qu’il est très important de se rappeler qu’Israël est une démocratie vieille de 70 ans. Il n’y a pas beaucoup de pays qui ont gardé un régime démocratique pendant 70 ans. Il doit donc y avoir une sorte d’engagement populaire et d’organisation institutionnelle qui le permette. Je crois vraiment qu’il y a de très fortes forces en Israël, non seulement à gauche, mais aussi bien au centre et même au centre-droit, qui ne permettront pas la destruction de la démocratie israélienne ».

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