Israël accusé de génocide à La Haye : Un expert de Cornell partage ses réflexions
Fils de survivants de la Shoah, le professeur de droit Menachem Rosensaft a fait de l'étude des génocides le travail de toute sa vie. Il décèle de l'ironie et une forme de sectarisme dans l'accusation lancée à l'encontre de l'État juif
NEW YORK — Alors qu’Israël, accusé de génocide par l’Afrique du Sud, se prépare à se défendre devant la Cour internationale de Justice de La Haye Menachem Rosensaft évoque quelques réflexions.
« Le mot génocide est utilisé au hasard par les gens dans le monde entier – mais le mot génocide, tel qu’il a évolué depuis 1948 depuis que la première Convention sur les génocides a été adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies, est avant tout un concept juridique. Et indépendamment de ce qu’Israël fait actuellement et de ce qu’Israël a fait, le pays n’a pas l’intention de détruire le peuple palestinien que ce soit en Cisjordanie ou à Gaza », explique Rosensaft, expert juridique sur les génocides.
Pour résumer, l’accusation est fallacieuse, dit-il au cours d’un entretien accordé depuis son appartement de Manhattan via Zoom. C’est également un exemple parfait du type de dossier pénal que Rosensaft enseignera, ce semestre, à la Cornell University dans le cadre d’un nouveau cours : « L’antisémitisme devant les tribunaux et dans la jurisprudence ».
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Le cours, qui sera divisé et présenté selon deux sections distinctes – une pour les étudiants de la faculté de droit de Cornell, l’autre pour les étudiants de premier cycle – examinera la manière dont l’antisémitisme se manifeste dans l’Histoire moderne et dans la manière dont il s’est illustré devant les tribunaux. Parmi les sujets étudiés par les élèves, la condamnation, en 1894, de l’officier juif français Alfred Dreyfus ; le procès de la « diffamation du sang » intenté en 1913 contre Mendel Beilis, accusé par les Russes d’avoir tué un enfant chrétien pour pouvoir cuisiner son sang dans le cadre de l’accomplissement d’un rituel religieux et enfin, les Protocoles des Sages de Sion.
Actuellement professeur auxiliaire à la faculté de droit de Cornell, Rosensaft, fils de survivants de la Shoah, a consacré sa vie à l’étude et à l’enseignement du génocide et de l’antisémitisme.
Il a travaillé à des postes divers au musée de commémoration de la Shoah des États-Unis et il était encore récemment conseiller-général auprès du Congrès juif mondial. Co-fondateur du Réseau international des enfants des survivants juifs de la Shoah, Rosensaft avait été l’un des cinq juifs américains à rencontrer Yasser Arafat et d’autres hauts-responsables de l’Organisation de libération de la Palestine au mois de décembre 1988.
Rosensaft a eu l’idée de son nouveau cours cet été. Il avait initialement prévu de l’enseigner à partir de 2025 – mais le massacre du 7 octobre, date à laquelle des terroristes du Hamas ont massacré avec brutalité 1 200 personnes, en majorité des civils, dans le sud d’Israël et enlevé 240 personnes, prises en otage dans la bande de Gaza, a changé la donne.
L’attaque est caractérisée par une cruauté inimaginable : les hommes armés avaient torturé, brutalisé, défiguré, démembré leurs victimes de manière indiscriminée. Des familles entières avaient été exécutées, un grand nombre d’entre elles avaient été brûlées vives dans leurs habitations.
Quelques jours après l’attaque, des mouvements de protestation anti-israéliens et antisémites avaient eu lieu dans les villes et sur les campus universitaires du monde entier. La Cornell University n’avait pas fait figure d’exception.
Fin octobre, un étudiant de premier cycle avait, semble-t-il, menacé de tuer les étudiants juifs. Lorsque l’individu a été arrêté, l’université a demandé à Rosensaft s’il pouvait ne pas attendre le printemps 2025 pour lancer son cours sur l’antisémitisme et s’il pouvait le faire immédiatement.
Rosensaft déclare ne pas avoir hésité une seule seconde. Alors que l’antisémitisme est en recrudescence, il est impossible de lutter contre la haine antijuive de manière appropriée si on ne la comprend pas, affirme-t-il.
L’entretien suivant a été légèrement réexaminé à des fins de concision et de clarté.
The Times of Israel : L’Afrique du sud accuse Israël de commettre un génocide à Gaza. Les manifestants propalestiniens utilisent, eux aussi, fréquemment ce mot. Expliquez-nous un peu de ce que signifie ce terme.
Menachem Rosensaft: Même [le Premier ministre Benjamin] Netanyahu, avec lequel je suis fondamentalement en désaccord sur la majorité des sujets, ne prévoit pas d’expulser les Palestiniens de Gaza. Le terme de génocide n’est donc pas le bon. Il y a des manifestants qui évoquent une résistance. Premier point, ce n’est pas le cas. Deuxième point, il faut rappeler que le déclenchement de cette guerre, ça a été l’attaque du 7 octobre.
Le 7 octobre a été une action délibérée de la part d’une organisation génocidaire qui a pris pour cible les Israéliens – c’est-à-dire, ici, les Juifs – qui a visé des civils : des femmes, des hommes, des enfants et des personnes âgées. Tous ont été soumis à des horreurs et à des atrocités intentionnelles, avec notamment des viols. C’est impossible de se contenter d’ignorer cela, ce que font pourtant de nombreux manifestants pro-palestiniens. Ils agissent comme si le 7 octobre n’avait jamais eu lieu. Et ce n’est pas possible non plus de voir les gouvernants du Hamas dire, sur les chaînes libanaises et ailleurs, qu’ils recommenceront encore et encore. Une des choses qui me troublent, c’est la malhonnêteté intellectuelle qui consiste à simplement ignorer le 7 octobre.
Que pensez-vous des appels lancés par certains politiciens israéliens en faveur de « l’émigration volontaire » des Palestiniens de la bande à destination d’autres pays comme le Congo ?
Les discussions sur un transfert de population, c’est une horreur. Ce que font [le ministre de la Sécurité nationale] Ben Gvir et [le ministre des Finances Bezalel] Smotrich, c’est exposer Israël à une accusation potentielle – pas une accusation de génocide, mais une accusation de crime contre l’Humanité. Cela va à l’encontre de tout ce que défend Israël, de tout ce que nous défendons aussi en tant que Juifs. Je suis heureux qu’il y ait quelques ministres qui les dénoncent mais nous devons entendre des condamnations au plus haut niveau. Nous ne pouvons pas permettre à cette idéologie de s’infiltrer. C’est une catastrophe juridique et spirituelle annoncée et elle doit être catégoriquement rejetée.
Pouvez-vous commenter ce qui se passe actuellement sur les campus universitaires américains concernant l’antisémitisme et la liberté d’expression ?
Le problème avec le Premier amendement et la liberté d’expression, c’est que de trop nombreux présidents et de trop nombreux administrateurs prennent simplement en considération le droit qui est apporté par le Premier amendement aux manifestants. Ils ne comprennent pas qu’eux-mêmes ont l’obligation de s’exprimer, de par le droit qui leur est conféré par le Premier amendement, pour dénoncer tous les discours de haine.
Nous ne pouvons pas permettre à cette idéologie de s’infiltrer. C’est une catastrophe juridique et spirituelle annoncée et elle doit être catégoriquement rejetée
Permettez-moi de citer en exemple deux universités où j’ai été professeur. Columbia a pris un temps considérable à condamner la rhétorique antisémite et même à ce moment, le président a émis de multiples déclarations avec des phrases laconiques qui mentionnaient une attaque terroriste mais qui ne mentionnaient pas le Hamas. La condamnation de l’antisémitisme y était superficielle
Pendant ce temps, à Cornell, le président a émis une condamnation forte du Hamas, en mentionnant son nom. Après qu’un professeur a déclaré, lors d’une manifestation, qu’il était euphorique depuis le 7 octobre, le président a dit à brûle-pourpoint : « Non seulement je condamne cette rhétorique, mais elle entre en contradiction avec tout ce que défend Cornell ». Cela a transmis un message aux deux parties. Cela a dit aux étudiants juifs que l’université les soutenait et cela a dit aux manifestants pro-palestiniens que ce qu’ils sont autorisés à faire a des limites.
Il a fallu trop de temps aux universités pour dire : « Nous condamnons le Hamas, ce qui est arrivé est une atrocité et nous n’allons pas permettre la glorification du Hamas, quelle que soit sa forme ».
Que dire de l’argument : « Mais l’antisionisme, ce n’est pas de l’antisémitisme ? »
Appeler à la délégitimation d’Israël d’une manière ou d’une autre, que ce soit violemment ou non, c’est appeler à la destruction d’Israël. Ce qui est différent du fait d’émettre des critiques sur le gouvernement.
Ce n’est pas être en désaccord avec Netanyahu. C’est simplement dire : « Nous ne voulons pas que cet État, avec ses millions de citoyens juifs, puisse exister en tant que foyer du peuple juif ». Le problème pour moi – et c’est l’argument que j’avance face aux partisans de la délégitimation – c’est qu’ils n’utilisent pas cet argument contre un autre pays, quel qu’il soit.
Personne ne dit : « Je suis en désaccord avec le gouvernement de la Hongrie, et je veux donc que la Hongrie disparaisse ». Ou encore : « l’Australie existe aujourd’hui parce que des colons ont volé des terres aux populations indigènes ». On pourra répondre qu’il faudra trouver un moyen de rectifier le tir pour les Aborigènes mais jamais on n’entendra quelqu’un appeler à la disparition de l’Australie.
Pourquoi avez-vous ressenti l’obligation de dispenser ce cours ?
L’antisémitisme est différent des autres formes de racisme. Les formes de racisme et de sectarisme sont pratiquement toutes binaires. Si on parle des Afro-américains, c’est une affaire de couleur de peau. Si on parle des musulmans, c’est une affaire de religion. Si on parle des immigrants, c’est une affaire d’individus qui ne devraient pas être ici ou c’est le refrain du vieux suprématisme blanc : « Rendez-nous notre pays ».
Si on parle de l’antisémitisme, c’est tout ça à la fois. C’est racial, c’est religieux, c’est la relation à l’Autre. On ne peut pas diagnostiquer l’antisémitisme si on ne le comprend pas.
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