Israël dit favoriser l’émigration de Gazaouis, mais très peu ont pu quitter l’enclave
Malgré le plan soutenu par Trump, seuls 550 Gazaouis ont pu partir depuis mars, après de lourds efforts déployés par des ONG et des gouvernements étrangers

Lors d’une conférence de presse qui s’est déroulée en février aux côtés du Premier ministre Benjamin Netanyahu, le président américain Donald Trump avait présenté une initiative visant à reloger environ deux millions d’habitants de Gaza dans des pays tiers.
En réponse, le ministère de la Défense israélien avait annoncé la création d’un nouvel organe gouvernemental – la « Direction de l’émigration volontaire » – chargé de faciliter la sortie de centaines de milliers d’habitants de la bande de Gaza. Et fin mars, un colonel de Tsahal à la retraite, Yaakov Blitshtein, avait été nommé à la tête de cette direction.
« L’émigration de Gaza commencera dans les semaines à venir », déclarait le ministre des Finances, Bezalel Smotrich, lors d’une interview accordée le 15 février à la chaîne N12.
Le ministre de l’Intérieur Moshe Arbel annonçait le 7 avril lors d’une conférence organisée par Yedioth Ahronoth que « plus de 16 vols ont décollé de l’aéroport Ramon avec à leur bord des habitants de Gaza qui ont demandé à quitter la bande de Gaza, et ce nombre ne fera qu’augmenter. »
Ces derniers mois, la presse israélienne a largement couvert les vols d’évacuation de Gazaouis, souvent présentés comme relevant du plan soutenu par Trump. Pourtant, Israël n’a jamais communiqué officiellement le nombre de personnes ayant quitté la bande depuis le début de la guerre.
Sollicitée par le Times of Israel, l’Autorité de la population et de l’immigration – qui facilite certains de ces départs – a renvoyé la demande d’information au ministère de la Défense, lequel a refusé de répondre.
Le Times of Israel n’a, par ailleurs, constaté aucun changement significatif dans la politique israélienne concernant les autorisations de sortie pour les Gazaouis au cours des derniers mois.

Malgré certaines informations faisant état d’une hausse des mouvements au point de passage de Kerem Shalom, il semblerait que seules quelque 600 personnes aient quitté la bande de Gaza au cours des deux derniers mois – depuis l’effondrement du dernier cessez-le-feu –, selon une source informée ayant parlé au Times of Israel, ainsi que d’après des communiqués de pays étrangers et d’organisations humanitaires.
Un chiffre relativement faible comparé à l’exode observé au début du conflit.
À titre de comparaison, selon la presse égyptienne, près de 103 000 personnes auraient quitté Gaza par le point de passage de Rafah entre novembre 2023 et mai 2024. De plus, entre le 1er février et le 17 mars, période du deuxième cessez-le-feu, 4 259 Gazaouis (des malades, des blessés et leurs accompagnants) ont été évacués pour recevoir des soins à l’étranger.
La sortie de Gaza dépend d’une coordination internationale
Selon le COGAT (le Coordinateur des activités gouvernementales dans les territoires, un organe relevant du ministère israélien de la Défense), les critères permettant de quitter la bande de Gaza, n’ont pas changé, avant comme pendant la guerre, et se limitent à trois situations qui sont, présenter une maladie ou une blessure grave, ou être détenteur d’une nationalité étrangère. Les résidents de Gaza ne peuvent soumettre eux-mêmes une demande de sortie ; une organisation internationale doit agir en leur nom.
Il est à noter que de nombreux pays ayant accepté des patients pendant le conflit, notamment les Émirats arabes unis et plusieurs États européens, ont précisé qu’il s’agissait de séjours temporaires pour traitement, les bénéficiaires étant censés rentrer chez eux par la suite.
Depuis le début de la guerre, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) est responsable de la coordination des évacuations de patients et de leurs proches hors de la bande de Gaza. De novembre 2023 à mai 2024, ces évacuations se faisaient via le point de passage de Rafah vers l’Égypte. Mais il a été fermé à la suite de l’incursion terrestre israélienne à Rafah le 6 mai 2024.
En juin 2024, Israël a commencé à autoriser les sorties médicales via le point de passage de Kerem Shalom, vers Israël, permettant ensuite aux patients de rejoindre la Jordanie par voie terrestre via le pont Allenby. De là, ils sont transférés par avion vers des pays tiers.

Israël interdit aux Palestiniens de voyager via l’aéroport Ben Gurion, la principale plateforme internationale du pays, sauf exception – comme pour certains hauts responsables de l’Autorité palestinienne bénéficiant d’une autorisation spéciale. Depuis février dernier, quelques malades de Gaza ont toutefois été autorisés à quitter le pays via l’aéroport Ramon, dans le Néguev, au sud d’Israël. Jusqu’à récemment, cet aéroport n’était pas utilisé pour des vols internationaux.
L’OMS tient à jour un tableau, actualisé chaque semaine ou chaque mois, recensant le nombre de personnes évacuées de la bande de Gaza. D’après ces données, seules 310 personnes, patients et accompagnants confondus, ont pu quitter le territoire entre l’effondrement du cessez-le-feu, le 18 mars, et le 6 mai.
Sortie de Gaza : des ressortissants étrangers toujours dans l’incertitude
Pour qu’un citoyen étranger – y compris les binationaux – puisse quitter Gaza en temps de guerre, son pays doit adresser une demande officielle au COGAT, accompagnée de preuves de sa nationalité et de sa présence effective dans la bande. Les Gazaouis ne peuvent en aucun cas soumettre eux-mêmes une demande de sortie auprès d’Israël.
Entre novembre 2023 et mai 2024, lorsque le point de passage de Rafah était encore ouvert, de nombreux ressortissants étrangers ont pu rejoindre l’Égypte par cette voie. La plupart ont dû verser entre 2 000 et 5 000 dollars par personne à des entreprises égyptiennes privées opérant sur place.
Fait notable : même des Gazaouis dépourvus de toute nationalité étrangère ont pu quitter le territoire en payant la même somme. Parmi eux figurait notamment Ashraf al-Qudra, porte-parole du ministère de la Santé dirigé par le Hamas, qui aurait quitté Gaza de cette manière en pleine guerre.

Depuis l’offensive israélienne lancée à Rafah en mai 2024 et la fermeture du point de passage, les ressortissants étrangers n’ont plus pu sortir de Gaza par cette voie.
En août, le COGAT a répondu à une demande de l’ONG israélienne Gisha – qui défend la liberté de circulation des Palestiniens, notamment ceux de Gaza – en indiquant qu’Israël était prêt à permettre aux Gazaouis titulaires d’une nationalité étrangère de quitter le territoire via Israël, à condition que leur pays adresse une demande officielle. Cette demande devait s’accompagner de documents prouvant leur projet de transit par l’Égypte ou la Jordanie, y compris des lettres de non-objection émanant de ces pays.
Selon une source bien informée ayant parlé au Times of Israel, 10 Gazaouis détenteurs d’une nationalité étrangère ont pu quitter la bande entre août 2024 et février 2025 en transitant par Israël pour rejoindre la Jordanie.
Lors du dernier cessez-le-feu, Israël n’a pas autorisé les ressortissants étrangers à emprunter le point de passage de Rafah, permettant uniquement aux malades et blessés de quitter le territoire.
D’après Gisha, les autorités israéliennes ont informé les représentants étrangers que seuls les Gazaouis se trouvant physiquement dans la bande de Gaza et possédant une nationalité étrangère étaient éligibles à une sortie, à l’exclusion de ceux dont les parents vivent à l’étranger et détiennent un passeport du pays dans lequel ils résident. Le COGAT a confirmé au Times of Israel que l’éligibilité était strictement limitée aux détenteurs d’une nationalité étrangère, et non à ceux disposant d’un visa ou d’un permis de résidence.

Un citoyen étranger bloqué à Gaza pendant 15 mois
L’un des rares individus à avoir pu quitter Gaza en février est Ahmad (nom d’emprunt), un résident de Gaza âgé de 33 ans, titulaire d’un passeport européen. Sa femme et ses deux filles vivent en Europe, où il réside lui-même depuis une dizaine d’années. Il a demandé à ce que son nom et ses coordonnées ne soient pas rendus publics.
En septembre 2023, Ahmad s’était rendu à Gaza pour rendre visite à sa famille. À l’éclatement de la guerre, il a tenté de quitter le territoire pour rentrer chez lui. Sa première tentative, via Rafah, a été rejetée par Israël pour des raisons de « sécurité ». Plus tard, assisté par Gisha, il a déposé un recours devant la Haute Cour de justice israélienne afin d’obtenir une autorisation de sortie. Après plusieurs mois d’attente, Israël a finalement indiqué qu’il ne s’opposait plus à son départ, et, une semaine après le retrait du recours, sa sortie via Kerem Shalom a pu être organisée.
Ahmad a quitté Gaza après 15 mois d’efforts, malgré sa nationalité étrangère et la présence de sa famille à l’étranger. Dans un échange WhatsApp avec le Times of Israel, il a qualifié cette expérience de profondément frustrante, déclarant que « tout au long du processus, les autorités chargées de ce dossier se sont montrées incompétentes. Le citoyen est la dernière priorité. »
Des Gazaouis quittent la bande sur demande de gouvernements étrangers
Malgré les déclarations officielles israéliennes selon lesquelles seuls les ressortissants étrangers ou les personnes nécessitant un traitement médical urgent peuvent quitter Gaza, environ 290 habitants de la bande ont pu partir depuis l’effondrement du cessez-le-feu en mars.
D’après plusieurs médias étrangers, des déclarations diplomatiques officielles et une source bien placée s’étant confiée au Times of Israel, ces personnes ont quitté Gaza à la suite d’une intervention directe de gouvernements étrangers, et non pour des raisons médicales. Certaines ne disposaient pas de nationalité étrangère.
Bien que le COGAT ait affirmé au Times of Israel que seuls les cas médicaux graves et les détenteurs de nationalité étrangère sont autorisés à sortir, plusieurs Gazaouis ont récemment rejoint l’Europe sans remplir ces critères. Parmi eux, 13 étudiants partis en Irlande grâce à des visas d’étude, ainsi que plusieurs individus ayant obtenu un visa français : anciens employés d’institutions françaises à Gaza, membres de leur famille, universitaires boursiers ou étudiants.
Lorsque le Times of Israel a demandé quels documents avaient été exigés pour obtenir une autorisation de sortie du territoire, les ambassades d’Irlande et de France en Israël ont refusé de répondre. L’ambassade de France a toutefois confirmé avoir œuvré pendant plusieurs mois pour permettre le départ de ces résidents de Gaza.
Parmi eux figuraient les 13 étudiants admis dans des établissements universitaires en Irlande, ainsi que des membres de familles de citoyens irlandais. L’ambassade d’Irlande n’a pas souhaité préciser le nombre total de personnes évacuées. Un quotidien irlandais a rapporté qu’une femme de 74 ans, mère d’un citoyen irlandais, avait attendu 18 mois pour pouvoir quitter la bande de Gaza.

21 autres Gazaouis ont été accueillis en Suède, 175 en France, 24 citoyens belges et leurs proches en Belgique, et 50 ressortissants allemands avec leurs familles en Allemagne. Une source informée ayant requis l’anonymat a indiqué au Times of Israel que d’autres Gazaouis avaient rejoint le Canada – probablement des proches de citoyens canadiens – ainsi que le Royaume-Uni. Les ambassades canadienne et britannique n’ont pas répondu aux demandes concernant le nombre exact de personnes évacuées.
À l’exception d’un vol organisé le 31 mars, qui a permis à 33 citoyens allemands et à leurs proches de rejoindre directement l’Allemagne, tous les autres évacués sont passés par le point de passage de Kerem Shalom, avant d’être transférés en Jordanie par voie terrestre, puis vers l’Europe par avion.
Nombre de ces personnes tentaient de quitter Gaza depuis des mois, parfois depuis le début de la guerre. Après l’évacuation du 31 mars, les autorités allemandes ont reconnu qu’elles auraient « préféré agir plus tôt, mais cela nous a pris du temps ».
À ce jour, au moins 284 personnes sont confirmées comme ayant quitté Gaza pour des pays tiers. Le chiffre exact reste inconnu, mais compte tenu des restrictions imposées par les gouvernements étrangers et par Israël, il est peu probable qu’il soit beaucoup plus élevé.
Le Comité international de la Croix-Rouge (CICR), qui a aidé à coordonner les évacuations via Kerem Shalom, a refusé d’indiquer combien de personnes il avait assistées au cours des deux derniers mois.

Les déclarations israéliennes contredites par la réalité
L’organisation israélienne Gisha a indiqué avoir reçu récemment des demandes de 150 résidents de Gaza admis dans des établissements d’enseignement supérieur à l’étranger, mais toujours bloqués dans la bande. Le COGAT a déclaré que le seul fait d’être accepté dans une université étrangère ne suffisait pas à satisfaire les critères de sortie.
Shai Greenberg, porte-parole de Gisha, a confié au Times of Israel que « depuis le début de la guerre, des milliers de personnes restent piégées à Gaza – parmi elles, des ressortissants étrangers, des patients nécessitant des traitements médicaux vitaux indisponibles sur place, des étudiants admis à l’étranger, ainsi que des personnes éligibles au regroupement familial dans divers pays.
Cette situation illustre une violation systématique des droits fondamentaux, notamment de la liberté de circulation, du droit à une vie familiale, mais aussi des droits à la santé, à l’intégrité physique, à l’éducation et aux moyens de subsistance. »
Ahmad, qui a finalement réussi à quitter Gaza en février après 15 mois d’efforts, a affirmé connaître de nombreux ressortissants étrangers toujours bloqués.
« Je connais beaucoup de gens qui ont la nationalité étrangère ou une résidence permanente à l’étranger et qui sont toujours coincés à Gaza. Certains sont des amis proches. Un seul d’entre eux a réussi à partir, il y a une vingtaine de jours. ».

Début avril, plusieurs dizaines de Gazaouis de nationalité égyptienne ont manifesté à l’intérieur de la bande pour réclamer la réouverture du point de passage de Rafah et pouvoir rejoindre l’Égypte.
Début mars, l’OMS estimait qu’entre 11 000 et 13 000 personnes à Gaza nécessitaient encore une évacuation urgente pour soins médicaux – un chiffre établi avant la reprise des hostilités, survenue il y a près de deux mois.
Le 3 mars, lors d’une session parlementaire à la Knesset, le ministre des Finances Bezalel Smotrich, qui est également membre du ministère de la Défense, a annoncé la création d’une direction chargée de l’émigration.
« Cette initiative est coordonnée par le Premier ministre et le ministre de la Défense. Le budget ne sera pas un obstacle : si nous expulsons 5 000 personnes par jour, cela prendra un an. »
Ces déclarations contrastent cependant fortement avec la réalité. Malgré la rhétorique israélienne promettant de faciliter l’émigration des Gazaouis, même selon ses propres critères restreints, citoyenneté étrangère ou urgence médicale, seuls quelques centaines de résidents ont effectivement pu quitter la bande de Gaza.
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