Israël innove en matière d’imagerie et diagnostic rapide des problèmes cardiaques
Tous les médecins de l'hôpital Sheba pourront utiliser le scanner portable piloté par tablette et obtenir un rapport interprétant les 8 principales constantes cardiaques
Des médecins-entrepreneurs du Centre Hospitalier Sheba ont mis au point un dispositif adossé à l’intelligence artificielle (IA) pour aider au diagnostic des problèmes cardiaques des patients.
Tout médecin équipé de la sonde à ultrasons portative et d’une tablette numérique pourra détecter d’éventuels problèmes à un stade précoce, ce qui permettra de sauver des vies.
Dans la mesure où c’est l’IA qui effectue le diagnostic, tous les médecins – et plus seulement les cardiologues – pourront utiliser ce dispositif, baptisé AISAP.
L’échographie est utilisée pour diagnostiquer les problèmes cardiaques, et les appareils à ultrasons portables, connus sous le nom d’échographie au point de service (POCUS), se sont banalisés ces dernières années. Les appareils à ultrasons portables permettent de réaliser des actes d’imagerie, quel que soit le lieu où se trouve le patient – hôpital, domicile, ambulance ou établissement de soins non doté d’équipements d’imagerie. Cela n’est pas pour autant synonyme de diagnostic opportun et salvateur, car même si POCUS est disponible, tous les patients ne peuvent pas en bénéficier et il n’y a pas assez de médecins spécialisés capables de les interpréter rapidement.
C’est précisément le problème qu’entend résoudre l’AISAP.
« De nos jours, il n’est pas rare qu’un non-cardiologue prenne en charge un patient cardiaque, que ce soit un spécialiste de médecine interne, un urgentiste, un médecin des soins intensifs ou d’un service ambulatoire. Ils ont besoin de réponses rapides », explique le professeur Robert Klempfner, cofondateur et médecin en chef de l’AISAP.
Le problème est urgent car, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), les maladies cardiovasculaires sont la principale cause de décès dans le monde, avec quelque 17,9 millions de morts chaque année. Selon les Centers for Disease Control and Prevention, 6,2 millions d’adultes américains vivent actuellement avec une insuffisance cardiaque.
Les responsables de l’AISAP, qui travaillent dans le cadre de l’infrastructure d’innovation numérique ARC de Sheba, estiment que leur invention pourrait éviter bien des accidents cardiaques. Le dispositif peut en effet être utilisé par tout médecin pour faire le point – imagerie et diagnostic – en l’espace de quelques minutes, et prendre en charge les problèmes cardiaques à temps. L’AISAP fait passer POCUS au stade de POCAD (diagnostic assisté au point de service).
Le but est d’adapter l’AISAP au diagnostic des pathologies de plusieurs organes, même si l’essentiel des travaux porte aujourd’hui sur le cœur.
« Nous n’avons pas la prétention de substituer l’échographie à l’examen clinique complet, étude d’une soixantaine de minutes réalisée par un technicien et interprétée par un cardiologue. L’idée est de répondre à des questions cliniques importantes et fournir les informations de base nécessaires à un examen de cinq à sept minutes », explique Klempfner, qui est également directeur du Centre israélien de recherche cardiovasculaire et directeur de l’Institut de réadaptation cardiaque du Centre hospitalier Sheba.
Pour ce faire, Klempfner et ses collègues ont développé une plate-forme susceptible d’être utilisée sans aucun équipement spécialisé. Il faut seulement un appareil de numérisation portatif et une tablette numérique, quelle qu’en soit la marque.
« La sonde de scanner portable – qu’elle soit fabriquée par GE, Siemens, Philips, Butterfly ou similaire – coûte entre 2 500 et 6 000 dollars, bien moins qu’une machine d’échocardiologie complète », ajoute Klempfner.
Pour obtenir un diagnostic, il faut pouvoir acquérir et interpréter des données. Le clinicien qui effectue la numérisation doit savoir comment obtenir de bonnes images et comprendre ce qu’elles signifient. L’AISAP est supposé faire le gros du travail et éliminer la variabilité en évaluant la qualité des images à deux points de balayage et en interprétant les informations relatives aux huit principales constantes cardiaques.
L’AISAP contrôle le fonctionnement cardiaque des deux ventricules – gauche et droit -, recherche les indices de pathologies valvulaires graves, étudie le liquide autour du cœur et le diamètre de la veine cave inférieure. Les mesures de la veine cave inférieure sont liées à des conditions telles que la sous-charge liquidienne indiquant un choc ou une déshydratation, et la surcharge liquidienne, liée à l’insuffisance cardiaque – pathologie la plus répandue chez les adultes de plus de 60 ans aux États-Unis aujourd’hui, selon Klempfner.
« Ces huit données sont les éléments indispensables que nous avons retenus après plusieurs enquêtes sérieuses auprès de médecins en Israël, en Europe et aux États-Unis », ajoute-t-il.
Lorsque le clinicien scanne les points nécessaires sur la poitrine de son patient, l’AISAP donne un retour en temps réel sur la qualité des images. Si elles ne sont pas assez bonnes pour l’interprétation, la plate-forme signale au clinicien qu’il convient de réessayer pour optimiser l’image. L’AISAP est conçu pour ne pas interpréter d’images insuffisamment claires.
Une fois l’analyse rapide effectuée, les images sont envoyées à la plate-forme sécurisée, hébergée par le cloud AISAP, accessible de partout et à tout moment. Les images sont analysées à l’aide de l’IA, qui les compare à une gigantesque base de données de scanners. L’analyse est renvoyée à la tablette quasi-immédiatement. Les images et le rapport sont envoyés à l’infrastructure numérique de l’établissement de santé : ils peuvent également être partagés en toute sécurité partout dans le monde en un seul clic.
« Le cloud AISAP contient l’intelligence collective de centaines de millions de scanners déjà analysés. Nous entraînons le système grâce à la base de données d’imagerie que nous avons à notre disposition, à Sheba. Ce sont des images déjà analysées et diagnostiquées par des cardiologues », explique Kempfner.
« L’AISAP a donc énormément d’expérience, sans doute plus que n’importe quel cardiologue. »
Logiquement, l’AISAP est également plus expérimenté que n’importe quel non-cardiologue, qu’il peut donc utilement aider à établir si un patient a un problème cardiaque et de quelle gravité, ou encore si une consultation de cardiologie s’impose.
« Dans mon service, nous n’avons que deux créneaux d’échocardiographie par jour… et encore, les bons jours. Mais nous avons en moyenne cinq à six patients avec un besoin d’imagerie. Au final, nous les gardons hospitalisés plus longtemps ou nous les renvoyons chez eux avec une ordonnance pour une échographie, dans un autre établissement, ou dans notre hôpital, une semaine ou deux plus tard », explique le Dr Kobi Faierstein, résident en médecine interne à l’hôpital Sheba.
« L’AISAP révolutionne la manière de prendre en charge les patients. Nous effectuons l’examen AISAP sur le patient, là où il se trouve, et recevons le rapport quelques secondes plus tard. Si besoin, je peux partager le rapport avec un cardiologue pour un avis quasi en temps réel. Je me sens beaucoup plus rassuré de renvoyer un patient chez lui », confie-t-il.
Klempfner précise qu’il ne faut que quelques heures pour former un médecin à l’utilisation de l’AISAP. Il faut se familiariser à l’outil, ce qui se fait au bout de 30 à 50 scanners.
« L’AISAP mesure tout ce qui lui est soumis et établit un rapport détaillé en temps réel. Il est possible de travailler sur les points faibles et, si nécessaire, envoyer un technicien au chevet du patient pour aider le médecin à s’améliorer », précise-t-il.
Selon Faierstein, les commentaires du système lui recommandant d’améliorer les prises de vue lui ont été extrêmement utiles.
« Au début, il me fallait une quinzaine de minutes pour faire une échographie, aujourd’hui, cinq. J’ai appris à ajuster l’emplacement de la sonde pour les patients plus grands ou les patients intubés », explique-t-il.
Un essai clinique prospectif avec un millier de patients de sept départements a été mené à l’hôpital Sheba.
Selon Klempfner, 50 % des patients scannés avec AISAP et qui, en d’autres circonstances, n’auraient pas été prioritaires pour un échocardiogramme complet (en raison de symptômes plus mineurs ou vagues) avaient des signes pathologiques. Pour la moitié d’entre eux, les modalités de prise en charge ont été revues.
« En fournissant aux médecins des informations impossibles à recueillir avec un simple stéthoscope, l’AISAP a eu un impact sur la prise en charge de 250 patients », précise Klempfner.
Klempfner et son équipe présenteront les résultats de leur essai de l’AISAP dans deux articles ainsi qu’au Congrès de la Société européenne de cardiologie, à Amsterdam, en août prochain.
L’AISAP a obtenu l’autorisation de la division pharmaceutique du ministère de la Santé et a déjà été vendue à l’hôpital Sheba. Des négociations sont en cours pour le vendre à quatre autres hôpitaux israéliens.
Pour obtenir l’autorisation de la FDA et commercialiser ses produits aux États-Unis d’ici 2024, l’AISAP termine un essai clinique prospectif de grande ampleur avec Jefferson Health, en Pennsylvanie et au New Jersey, Inova Health System en Virginie et Padeh Poriyah Hospital à Tibériade.
Son but est de démontrer que les médecins non spécialistes obtiennent de meilleures images et posent un meilleur diagnostic avec l’aide de l’AISAP. Leurs résultats seront comparés à ceux des cardiologues experts de Mass General Brigham, qui dirige l’étude.