Israël répond à un rapport US sur la liberté religieuse au sein de l’Etat juif
Un responsable du ministère des Affaires étrangères a notamment reconnu des "défis" à relever avec les différentes dénominations juives et des "accrocs" vis-à-vis des chrétiens
Marissa Newman est la correspondante politique du Times of Israël
Un responsable du ministère des Affaires étrangères a rejeté lundi un rapport annuel émis par le département d’Etat américain sur la liberté religieuse en Israël, prenant gentiment le contre-pied de l’évaluation, réalisée par Washington, des politiques mises en oeuvre par Jérusalem vis-à-vis de sa majorité juive et des minorités chrétienne, musulmane, druze et autres.
Le rapport du département d’Etat « n’est pas toujours tout à fait exact parce que les systèmes américain et israélien sont finalement très différents », a commenté lundi Akiva Tor, du ministère des Affaires étrangères, lors d’une table ronde consacrée au document américain qui avait été organisée par le think-tank de l’Israel Democracy Institute.
Curtis Ried, de l’ambassade américaine, était également présent.
Néanmoins, Tor a ultérieurement déclaré qu’il était satisfait du rapport et des efforts israéliens menés dans ce domaine.
Le rapport du département d’Etat sur la liberté de religion dans le monde, qui a été rendu public le 21 juin, présente les politiques gouvernementales adoptées dans les pays affectant les libertés religieuses et ayant été décidées au cours de l’année écoulée.
Le compte-rendu d’information établi sur Israël, avec des douzaines d’exemples, critique implicitement la gestion de la question par l’Etat – même s’il s’abstient de la condamner ouvertement.
Parmi les exemples cités dans le reportage, le contrôle exclusif du grand rabbinat sur le mariage, le divorce et l’inhumation pour les Juifs ; les arrangements pris sur la prière orthodoxe au mur Occidental ; l’accord de statu-quo sur le mont du Temple et les mesures de sécurité israéliennes sur le lieu saint qui avaient été mises en place en réponse à des violences et qui ont été accusées de perturber le culte musulman.
Egalement condamnées, les violences policières présumées contre des leaders chrétiens, ainsi qu’une taxation sélective à l’encontre des églises.
« Parce que les identités religieuses et nationales ont été souvent étroitement liées, il a souvent été difficile de catégoriser de nombreux incidents comme découlant exclusivement de l’identité religieuse », reconnaît le rapport.
Il évoque notamment les attaques de type « Prix à payer » à l’encontre des Palestiniens, les rassemblements dénonçant le service militaire des ultra-orthodoxes et un conflit territorial qui oppose les résidents juifs et bédouins du Negev, ainsi que le refus d’octroyer le statut de résident israélien aux époux d’Iraniens, de Syriens, d’Irakiens et de Libanais non-Juifs et à des Palestiniens originaires de la Cisjordanie et de Gaza, comme exemples affiliés à la liberté religieuse.
Dans sa section sur la Cisjordanie et sur Gaza, le département d’Etat a incorporé les paiements versés par l’AP aux prisonniers, notamment aux terroristes et à leurs familles ; les arrestations, par l’AP, des Palestiniens qui vendent des terres aux Israéliens, la glorification de la violence sur les chaînes du Fatah et du Hamas ainsi que les restrictions imposées aux Gazaouis par leurs dirigeants islamistes, sous la bannière de la liberté religieuse.
Selon Tor, le rapport est contradictoire en lui-même, les Etats-Unis voulant que les manifestants ultra-orthodoxes soient à la fois protégés – lors des manifestations contre le recrutement militaire – et réprimés – comme lorsqu’ils tentent de bloquer des services de prière pluralistes au mur Occidental.
« Si on y réfléchit, c’est impossible de répondre à ce que vous demandez dans le rapport… Parce que nous avons ici une contradiction, elle plane sur la question même de ce qu’est la liberté religieuse… Une question à laquelle le rapport ne s’attaque pas réellement. Nous devons répondre aux parties concernées sans nous demander ce qu’est la liberté de religion ? et ce que la liberté religieuse signifie pour le gouvernement américain ? », s’est-il interrogé.
Evoquant la section du rapport consacrée aux chrétiens en Israël – qui contient des mises en garde contre des violences policières excessives à l’encontre de moines égyptiens et coptes aux mois de juin et d’octobre 2018, et déplore que les actes de vandalisme anti-chrétiens n’ont pas fait l’objet d’enquêtes appropriées de la part des autorités – Tor a reconnu des « accrocs significatifs » dans le traitement par l’Etat juif des minorités.
Les chrétiens, dans tout le Moyen-Orient, subissent des « pressions profondes » et connaissent un « déclin démographique » mais « la situation en Israël est très différente », a-t-il dit, notant la croissance de la communauté (1,9 %) en Israël alors qu’elle disparaît petit à petit d’une grande partie de la région.
« Il est vrai que ce chiffre est inférieur à la croissance moyenne, néanmoins, et contrairement à ce qu’il se passe dans notre région, il y a une croissance », a-t-il continué. « Malgré des accrocs significatifs ça et là, qui sont notés dans le rapport, le christianisme… se porte bien en Israël », a-t-il poursuivi.
« Je pense qu’ils se sentent relativement bien sous le système israélien », a-t-il dit.
Tor a également défendu la sauvegarde par l’Etat juif des droits religieux des musulmans, citant l’accord de statu-quo conclu en 1967 au sujet du mont du Temple, site le plus saint du judaïsme et troisième lieu le plus saint de l’islam, qui définit que les non-musulmans peuvent venir le visiter mais qu’il leur est interdit d’y prier.
Le département d’Etat américain a souligné les restrictions sécuritaires mises en place par les Israéliens sur le site, suite à des affrontements violents qui avaient opposé, l’année dernière, les policiers et les fidèles dans ce complexe sensible, ainsi que les protestations du Waqf, tuteur des lieux, au sujet de ces mêmes restrictions.
Il note également, néanmoins, les plaintes émanant des activistes juifs déplorant les arrangements existants qui les empêchent de prier sur le mont.
« Je vais me risquer à dire que la politique israélienne mise en oeuvre sur le mont du Temple/Haram al-Sharif est un exemple de grande tolérance et de pragmatisme, ainsi que de la volonté de la démocratie israélienne de réduire les droits de la majorité pour les droits, très importants et significatifs, d’une minorité », a maintenu Tor.
Abordant alors la question de la liberté religieuse juive, Tor a ajouté que « de manière assez ironique, j’ai le sentiment que c’est là que se trouve notre défi le plus important ».
« En m’exprimant en mon nom propre un instant, en abandonnant mon statut de porte-parole du gouvernement, je crois que nous avons encore du chemin à parcourir. La situation en Israël est imparfaite et elle le restera probablement toujours. Mais j’ai néanmoins le sentiment que nous nous trouvons sur une trajectoire positive ».
S’entretenant avec le Times of Israel à l’issue de la conférence, Tor s’est dit être globalement satisfait du document soumis par le département d’Etat américain, estimant que « la voix officielle des Israéliens y a été entendue ».
Yitzhar Hess, leader du mouvement massorti, a pour sa part demandé à Ried s’il y avait eu une tentative, lors de la rédaction du rapport, d’opter pour une formulation favorable à Israël, tout comme le département d’Etat avait pu le faire lorsqu’il a récemment supprimé le terme d’occupation dans sa description du contrôle israélien de la Cisjordanie.
L’employé de l’ambassade a rejeté cette hypothèse, affirmant que le département d’Etat s’était basé strictement sur les règlementations internes américaines.
« Nous nous présentons avec une grande humilité », a-t-il dit aux participants à la conférence, saluant les critiques du rapport. « Nous n’avons pas le monopole de l’évaluation de la situation en Israël ou ailleurs. Nous avons rédigé ce document en tant qu’Américains et nous sommes heureux de votre retour d’information et… nous le prendrons en compte », a-t-il ajouté.
« Voie directe vers l’enfer »
Cette rencontre organisée au think-tank de Jérusalem a rassemblé des activistes éminents du pluralisme religieux en Israël qui ont condamné les politiques israéliennes et le grand-rabbinat, faisant preuve d’un optimisme prudent face aux initiatives de terrain visant à changer le statu-quo.
Un sheikh de la branche du sud du Mouvement islamique était également présent lors de la conférence, qui s’est tenue en l’absence de représentants chrétiens ou de responsables du grand rabbinat.
Le directeur de l’IDI, Shuki Friedman, a noté en ouvrant la rencontre l’écart existant entre les lois israéliennes qui réduisent la liberté religieuse et le manque d’application de ces dernières – ce qui entraîne la création de poches de libertés religieuses au sein de la société qui n’apparaissent pas dans la législation.
D’autres, comme Anat Hoffman, représentante des Femmes du mur, ont rejeté ce point de vue, disant que les lois restrictives et le manque de mise en vigueur qui s’ensuit ouvre une voie qui pourrait amener Israël à « devenir un pays du tiers-monde » et « une voie vers l’enfer ».
« La réalité est dure et la réalité ne fait qu’empirer », a dit le rabbin Uri Regev de l’ONG Hiddush en évoquant la liberté religieuse au sein de l’Etat juif, avant de noter néanmoins que la majorité des Israéliens s’opposaient au statu-quo et que la question de la religion et de l’Etat était devenue centrale dans la campagne politique en vue des élections du mois de septembre.
La question de la religion et de l’Etat a été amenée sur le devant de la scène après le refus du leader du parti Yisrael Beytenu, Avigdor Liberman, de rejoindre la coalition du Premier ministre Benjamin Netanyahu au mois de mai en raison d’une loi officialisant les modalités de recrutement des ultra-orthodoxes au sein de l’armée et à cause du contrôle exercé par les formations haredim sur les affaires religieuses, précipitant, un événement sans précédent – un second scrutin national en moins de six mois.
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