La Cour suprême gèle la nomination de la procureure Ginsberg Ben-Ari
Un groupe avait exprimé sa "grave inquiétude" sur la possibilité qu'Orly Ginsberg Ben-Ari ait été nommée pour attaquer le système judiciaire au nom de Netanyahu
La Haute Cour de justice a gelé, mercredi, la nomination controversée d’une magistrate au poste de procureur de l’Etat par intérim, en amont de l’audience d’une requête accusant le ministre de la Justice intérimaire d’avoir utilisé cette désignation pour entraver les mises en examen et les poursuites intentées contre le Premier ministre Benjamin Netanyahu pour corruption.
Le ministre de la Justice Amir Ohana avait annoncé mardi qu’il nommerait la procureure-adjointe du district central, Orly Ginsberg Ben-Ari, au poste de procureur d’État en remplacement de Shai Nitzan, dont le mandat a expiré lundi.
La nomination d’un procureur de troisième rang à la fonction temporaire (mais renouvelable) de procureur de l’État pour trois mois a suscité les critiques du procureur général et d’autres.
Amir Ohana a vivement décrié Shai Nitzan et le ministère public, les accusant d’avoir comploté pour renverser Netanyahu en avançant des accusations mensongères ou inventées de toutes pièces.
Le procureur général Avichai Mandelblit, supérieur hiérarchique direct du procureur de l’État, s’est insurgé mardi contre cette désignation, reprochant à Amir Ohana d’être allé au-delà de l’autorité que lui confère son statut de ministre par intérim.
Le Commissaire à la fonction publique Daniel Hershkowitz qui, selon la loi en vigueur, aurait dû être consulté pour cette nomination, l’a également dénoncée mardi pour des raisons de procédure et organisationnelles, disant que le remaniement de la hiérarchie au bureau du procureur de l’État était susceptible de « saper » ses capacités à mener à bien ses missions, ainsi que les procédures en cours.
Dans sa plainte déposée mercredi matin auprès de la Cour suprême, le Mouvement pour un gouvernement de qualité en Israël, un groupe défendant la bonne gouvernance, avait exprimé son « inquiétude profonde que la nomination de Ginsburg Ben-Ari au rôle de procureur de l’État par intérim ne soit extrêmement déraisonnable et qu’elle ait été entièrement entraînée par des considérations extérieures ».
Selon la plainte, des faits semblent indiquer que cette désignation ait été réalisée sur la base de considérations concernant les « gardiens et les éléments du système chargés d’appliquer la loi en lien avec les enquêtes sur Benjamin Netanyahu ».
Le magistrat à la Cour suprême israélienne Menahem Mazuz a ordonné, mercredi, un gel de cette nomination le temps que le tribunal entende la plainte et a donné dix jours à Mandelblit, Ohana et Hershkowitz pour qu’ils apportent chacun leurs réponses.
Cette décision a été prise cinq minutes seulement avant que Ginsberg Ben-Ari ne participe à une cérémonie officielle de « prise de fonction » au ministère de la Justice, à Jérusalem.
Lors de l’événement, qui a réuni les hauts responsables de l’ensemble du ministère, Ohana a qualifié de « lamentable » la décision prise par la Haute Cour, mais assuré qu’il ne transformerait pas la cérémonie d’adieu de Nitzan en « champ de bataille ».
« Il est honteux que vous ne puissiez entendre les paroles de la procureure Ginsberg Ben-Ari en raison de cette situation lamentable », a déclaré le ministre dans son discours.
« C’est une période compliquée et sensible pour le système judiciaire et pour les procureurs », a-t-il continué. « On nous demande presque de transformer aujourd’hui cet événement en champ de bataille. Mais non, pas aujourd’hui. Il y a des amis, des membres de la famille ici. Pour ma part, cet événement restera respectable », a-t-il promis.
Il a prédit que sa candidate serait finalement approuvée.
Mandelblit a pris la parole peu après Ohana, disant que « le ministre et moi-même nous efforçons de nous accorder sur la nomination d’un procureur de l’État en exercice. J’ai, pour ma part, proposé plusieurs candidats. Je regrette que nous ayons échoué dans cette mission. Le poste de procureur de l’État n’est pas supposé devenir un ‘champ de bataille’ entre le ministre et le procureur général ».
« Ce n’est pas une question d’individu, mais bien de la manière dont nous pouvons garantir que le procureur de l’État sera en mesure de faire son devoir sans crainte », a-t-il ajouté.
La fonction de ministre de la Justice d’un gouvernement intérimaire place également Amir Ohana sur un terrain légal peu solide et peu clair. Dans la mesure où aucune coalition n’a été mise en place depuis que la 20e Knesset a voté sa propre dissolution au mois de janvier – et que deux élections qui ont suivi, en avril et en septembre, n’ont pas donné lieu à la mise en place d’une majorité gouvernementale – Ohana est un ministre intérimaire dont la nomination n’a pas, comme l’exige la loi, été approuvée par un vote devant le Parlement israélien.
La décision de désigner Ginsberg Ben-Ari, contre la volonté de Mandelblit, va également à l’encontre d’une pratique de longue haleine selon laquelle le procureur général bénéficie d’une grande latitude concernant la sélection du procureur de l’État.
Fervent allié de Netanyahu, Ohana n’a obtenu le portefeuille de la Justice qu’au mois de juin des mains du Premier ministre et n’a cessé, depuis sa nomination, de dénigrer les mises en examen de celui-ci, reprenant dans sa rhétorique les propres allégations de complot avancées par Netanyahu.
Le directeur du Mouvement pour un gouvernement de qualité, Eliad Shraga, a qualifié l’initiative prise par Ohana de problématique.
« Au beau milieu d’une procédure juridique intentée par le bureau du procureur contre l’accusé Netanyahu – qui a nommé le ministre Ohana à ce poste dans cet objectif très spécifique, celui de mener à bien la liquidation ciblée du bureau du procureur de l’État – le ministre nomme une personnalité dénuée des compétences exigées pour assumer cette fonction », a-t-il réagi dans une déclaration.
Le Camp démocratique de gauche a également l’intention de porter plainte contre cette nomination, a fait savoir la chaîne Kan.
Mandelblit, qui aurait indiqué par le passé qu’il était prêt à utiliser des moyens judiciaires pour stopper les actions entreprises par le ministre, ne prévoit pas pour le moment de déposer plainte lui-même, préférant attendre de voir l’issue des poursuites intentées par les autres, d’après Kan. Il ne défendra pas néanmoins cette nomination devant les juges.
Mandelblit a estimé mardi qu’il y avait un « obstacle juriidique » au choix fait par Ohana d’Orly Ginsberg Ben-Ari au poste de procureur de l’État par intérim, clamant que cette désignation allait au-delà des pouvoirs d’un ministre exerçant dans un gouvernement transitoire et qu’elle était donc « déraisonnable ».
Ginsberg Ben-Ari a travaillé au bureau du procureur de l’État pendant 28 ans, au cours desquelles elle a occupé un certain nombre de postes à haute responsabilité. Elle a une expérience importante dans les secteurs de la criminalité et de la sécurité et est actuellement à la tête du Forum sécurité au sein du bureau du procureur d’Etat.
Le procureur général aurait rejeté la majorité des candidats avancés par Ohana, notamment Ginsberg Ben-Ari, ne donnant son approbation qu’à la candidature du procureur de l’État adjoint aux Affaires pénales, Shlomo Lemberger, seul en mesure de remplacer Shai Nitzan parmi les noms proposés.
Ohana a souligné lors d’une interview accordée à la Douzième chaîne qu’il ne cherchait pas l’affrontement avec Mandelblit et qu’il avait tenté de gagner le soutien du procureur général dans son choix, mais que Mandelblit s’était montré « extrêmement déraisonnable ».
« Ce serait une erreur si le procureur général ne modifiait pas son avis juridique », a-t-il affirmé.
Le ministre a également indiqué qu’il était prêt à défendre la nomination s’il devait être convoqué devant la Cour suprême.
« Je n’ai pas l’intention de m’incliner devant quelqu’un qui n’est pas autorisé à prendre de décision sur cette nomination », a-t-il clamé.
Cette désignation survient dans un contexte d’impasse politique qui prive l’Etat juif d’un gouvernement élu depuis presque un an. La Knesset s’est dissoute encore une fois la semaine dernière, et un troisième scrutin national est prévu le 2 mars 2020.
Netanyahu est mis en examen pour fraude et abus de confiance dans trois dossiers de corruption et pour pots-de-vin dans l’un d’entre eux.