Israël en guerre - Jour 466

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Analyse

La crise de la police à Tel Aviv, présage d’une possible rupture constitutionnelle ?

Si la Cour devait invalider les réformes judiciaires et que le gouvernement rejette cette décision, une crise sans pareil menacerait. Qui la police et l'armée suivraient-elles ?

Carrie Keller-Lynn

Carrie Keller-Lynn est la correspondante politique et juridique du Times of Israël.

Le chef du parti d'extrême-droite Otzma Yehudit, Itamar Ben Gvir, à droite, et le chef de la police israélienne Yaakov Shabtaï lors d'une cérémonie de Hanoukka, au mur Occidental, dans la Vieille Ville de Jérusalem, le 19 décembre 2022. (Crédit : Yonatan Sindel/Flash90)
Le chef du parti d'extrême-droite Otzma Yehudit, Itamar Ben Gvir, à droite, et le chef de la police israélienne Yaakov Shabtaï lors d'une cérémonie de Hanoukka, au mur Occidental, dans la Vieille Ville de Jérusalem, le 19 décembre 2022. (Crédit : Yonatan Sindel/Flash90)

Le gouvernement mène sa campagne-coup de poing visant à faire adopter son plan controversé de suppression du contre-pouvoir judiciaire face à la toute-puissance politique ; la coalition et l’opposition ne se sont pas encore engagées dans des négociations constructives et le mouvement de protestation massif ne cesse de prendre de l’ampleur, semaine après semaine.

En prenant pour hypothèse que le ministre de la Justice, Yariv Levin, parviendra à atteindre son objectif – celui de faire approuver la première série de réformes avant la fin du mois – la situation pourrait bien finir par entraîner une épreuve de force avec la Haute-cour de justice, dont la capacité à réexaminer les lois adoptées par les députés est au cœur d’une grande partie du bouleversement radical du système de la justice israélien qui est envisagé par la coalition.

En plus d’accorder au gouvernement le contrôle du panel chargé de nommer les juges, la coalition du Premier ministre Benjamin Netanyahu est déterminée à limiter la capacité de la Haute-cour à réexaminer de nombreuses législations. Selon son projet, la Cour ne serait ainsi plus en mesure de procéder au réexamen judiciaire des Lois fondamentales quasi-constitutionnelles en Israël – et notamment les mêmes amendements législatifs qui inscriront dans le marbre cette limitation de son pouvoir. De plus, la coalition est en train de mettre en place une sorte d’immunité des lois, immunité qui empêchera les tribunaux de pouvoir invalider des lois ordinaires qui auront été adoptées à la Knesset dans la mesure où elles seront dotées d’une clause qui établira spécifiquement qu’elles ne pas pourront être remises en cause devant la justice pour une éventuelle violation des Lois fondamentales. Le plan prévoit également qu’un réexamen judiciaire d’une législation ou d’une décision du gouvernement ne pourra être mené qu’en présence de 12 des 15 magistrats qui siègent au sein de la Haute-cour.

Les groupes issus de la société civile ont d’ores et déjà promis qu’ils déposeraient des requêtes devant la Haute-cour pour réclamer le réexamen de ces lois si ces dernières devaient être finalisées. Et si la Haute-cour invalide les mêmes législations qui lui ôtent très précisément toute capacité de réexamen et que le gouvernement se refuse à reconnaître l’autorité des magistrats, alors Israël connaîtra une crise constitutionnelle. Si le pouvoir judiciaire s’oppose au pouvoir législatif, alors l’exécutif, ainsi que les forces de sécurité, les différentes instances du système de la justice et la société civile au sens large devront faire le choix : Qui écouter ?

Les Israéliens ont eu un petit avant-goût de la crise qu’ils pourraient bien traverser dans la journée de jeudi, quand le ministre de la Sécurité nationale, Itamar Ben Gvir, a indiqué que le commandant de la police du district de Tel Aviv serait limogé – suivant ostensiblement en cela une recommandation préalable du commissaire de police, même si le ministre d’extrême-droite a exprimé également une colère manifeste entraînée par l’absence de répression, de la part des forces de l’ordre de Tel Aviv, de manifestants indisciplinés lors du mouvement de protestation anti-gouvernemental.

La procureure-générale Gali Baharav-Miara est intervenue et elle a demandé un gel de ce renvoi, soupçonnant que le ministre avait pris une décision qui outrepassait son autorité. Le commissaire de police Kobi Shabtai s’est rapidement soumis à cet ordre, admettant qu’il avait fait une erreur.

La Procureure générale Gali Baharav-Miara participant à une conférence de la section israélienne de l’Association of Corporate Counsel (ACC), à Tel Aviv, le 5 juillet 2022. (Crédit : Avshalom Sassoni/Flash90) 

Amir Fuchs, expert en droit constitutionnel au sein de l’Institut israélien de la démocratie, avertit que cet incident est « un signal, d’une certaine manière, de ce à quoi nous allons assister après l’adoption intégrale de la réforme », qui comprend une mesure restreignant les pouvoirs de la procureure-générale et de ses conseillers juridiques en rendant leur avis non-contraignant pour le gouvernement.

Alors que cet incident, la semaine dernière, pourrait être un présage de futurs combats à venir, il a connu une issue heureuse parce que le gouvernement a écouté les responsables du système de la justice, déclare Aeyal Gross, professeur de droit à l’université de Tel Aviv.

« Ça a été un avant-goût de bon augure dans le sens où le gouvernement s’est plié au verdict », ajoute-t-il. Il note également le renvoi récent d’Aryeh Deri, un allié politique déterminant du Premier ministre Netanyahu, du cabinet après un jugement de la Haute-cour qui avait estimé que ses nominations à la tête de deux ministères étaient « déraisonnables à l’extrême », et après des pressions de la procureure-générale sur Netanyahu dans ce sens.

Si Netanyahu – ou la police en ce qui concerne l’incident de la semaine dernière – avait ignoré ces instructions, le pays serait entré « en territoire très inconnu », selon Gross.

« Dans le passé, le gouvernement a pu traîner les pieds s’il n’était pas satisfait d’une décision mais il n’a jamais dit directement qu’il désobéirait à un jugement », fait-il remarquer.

Obtempérer ou ne pas obtempérer

Fuchs pense qu’il est « plus probable » de penser que le gouvernement se pliera à un ordre de la Cour, mais qu’une intervention de cette dernière favorisera la recherche d’un compromis plutôt qu’une invalidation pure et simple des réformes. Alors que le compromis est encore absent du processus législatif en cours, il estime « qu’il peut y en avoir un à l’issue du verdict ».

Un rejet d’une ordonnance de la Cour par le gouvernement serait sans précédent et extrême – même s’il devait concerner les réformes radicales du système judiciaire qui sont avancées par la coalition. Et pourtant, si une telle éventualité devait se présenter, « nous nous trouverions dans une situation très dangereuse et très problématique », dit Fuchs.

Le Dr. Amir Fuchs. (Crédit : Institut israélien de la démocratie)

« Ce n’est plus une question purement théorique », ajoute-t-il, laissant entendre que de nouvelles difficultés pourraient faire leur apparition.

« Ils vont devoir rassembler la nouvelle Commission de sélection judiciaire » – une réunion que la Knesset a repoussée jusqu’à l’adoption d’un projet de loi présenté par la coalition qui prévoit une restructuration de la composition du panel chargé de nommer les magistrats dans le pays. « La Haute-cour va dire qu’une telle démarche est illégale et que la Knesset prend une telle initiative au mépris de la Cour », indique-t-il.

« Et très vite, nous allons en arriver à un point où la police devra décider » si elle va faire respecter l’ordonnance du tribunal qui bloquera la nouvelle assemblée, explique-t-il.

Une première crise constitutionnelle pourrait émerger « au lendemain de l’adoption de la législation » parce que les juges pourraient émettre une ordonnance temporaire de restriction bloquant la formation du nouveau panel.

Gross suggère que « le premier test se fera au niveau des juges ; les magistrats eux-mêmes doivent décider ce qu’ils feront ».

Mais indépendamment de la manière dont les juges, la police et les forces de sécurité pourraient choisir de gérer un scénario où le gouvernement ignorerait la Cour, Gross explique que rejeter un ordre donné par les magistrats serait excessivement dommageable pour le pays.

« Ce serait le dernier coup porté à l’image d’un Israël où règne l’état de droit – avec des conséquences économiques et politiques énormes », estime-t-il.

Une dynamique de crise encore totalement inconnue

Selon les experts, la notion juridique applicable en cas d’invalidation d’une législation établissant un principe constitutionnel n’a jamais été encore testée.

Avancé en tant « qu’amendement constitutionnel anticonstitutionnel », ce principe signifie que la Cour doit découvrir un élément, dans une loi fondamentale, contrevenant aux autres Lois fondamentales ou, de manière particulière, violant l’essence même de l’État telle qu’elle a été définie dans d’autres documents – et notamment dans la Déclaration d’indépendance.

La présidente de la Cour suprême Ester Hayut s’exprime pendant une cérémonie de remise de diplômes pour les nouveaux avocats au centre des congrès de Jérusalem, le 31 janvier 2023. (Crédit : Oren Ben Hakoon/Flash90)

En 2018, la présidente de la Cour suprême, Esther Hayut, avait écrit que le scénario « excessivement limité dans lequel la Cour pourrait être appelée à appliquer ce principe – malgré l’absence de constitution en Israël – serait celui où une Loi fondamentale attaque ‘l’essence même d’Israël en tant qu’État juif et démocratique’. »

Hayut s’est opposée avec ferveur aux réformes du système judiciaire envisagées par la coalition, affirmant au mois de janvier « qu’elles donneront un coup fatal à la démocratie israélienne ».

Si la Cour devait estimer que les amendements à la Loi fondamentale qui restreignent son propre pouvoir sont inconstitutionnels, il s’agirait également d’un changement déterminant dans la jurisprudence israélienne.

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