La faiblesse du commerce textile a longtemps entravé la croissance d’Israël – étude
A l'âge de bronze, le Levant méridional s'est fait dépasser par la Syrie et la Mésopotamie, faute de moutons d'élevage en nombre suffisant. Mais c'était compter sans l'alphabétisation

Il y a de cela quelque 5 000 ans, des civilisations du Proche-Orient ont connu de grandes transformations et une expansion économique et politique adossée à des systèmes toujours plus sophistiqués de contrôle de la nature.
C’était le début de l’âge de bronze, et la Syrie et la Mésopotamie ont alors enregistré des progrès notables dans l’agriculture et l’élevage. A la même époque, le sud du Levant (dont l’Israël moderne, la Cisjordanie et Gaza, la Jordanie) était lui à la traîne.
Selon une récente étude publiée dans le dernier numéro du Cambridge Archaeological Journal, fin 2024, ce décalage est principalement lié à une incapacité du sud-Levant à s’engager dans l’élevage de moutons à grande échelle pour produire et commercialiser de la laine.
« Moutons et chèvres figurent parmi les animaux domestiqués précoces les plus importants », explique l’auteur de l’article, le Dr Alex Joffe, au Times of Israel lors d’un appel vidéo. « Ils étaient particulièrement importants pour ce que l’on qualifie de produits secondaires, c’est-à-dire tout ce qui pouvait avoir une quelconque valeur économique ou sociale en plus de leur viande, à savoir le lait, les poils, le sang, les os, sans oublier leur capacité à porter des poids ou tirer des charrues. »
Joffe est actuellement directeur des affaires stratégiques de l’Association pour l’étude du Moyen-Orient et de l’Afrique (ASMEA). Il anime également le podcast « This Week in the Ancient Near East ».
Le chercheur rappelle qu’il travaille depuis maintenant des dizaines d’années sur des questions liées au processus d’urbanisation de la région.
« Qu’est-ce qu’une ville ? Comment furent-elles créées ? Quels sont les comportements associés à la création d’une ville ? Ces questions sont miennes depuis fort longtemps », poursuit-il.

Ces dernières années, il disait souvent que les chercheurs avaient tendance à négliger le rôle des textiles, en particulier de la laine, dans le développement du Levant.
« Regardez la Mésopotamie et la Syrie, des sources écrites suggèrent qu’il y avait des villes indépendantes dans lesquelles on pouvait trouver jusqu’à 300 000 moutons », explique Joffe. « Nous parlons donc potentiellement de centaines de milliers, et même peut-être de millions de moutons et de chèvres dans la région. »
« Ces chiffres ont de profondes implications politiques », ajoute-t-il.
Selon Joffe, les palais, temples et sociétés étaient les principaux propriétaires et utilisateurs de moutons et de chèvres en Mésopotamie.
« Les textiles produits servaient de produits financiers de base », relève-t-il. « Il s’agissait de biens que ces institutions pouvaient distribuer à leurs employés et associés pour les rémunérer ou les récompenser. »
C’est la capacité des autorités politiques et économiques à utiliser des denrées non périssables faciles à transporter, stocker et échanger, qui est à l’origine d’une importante croissance économique, porteuse d’accumulation de richesses, de croissance des villes et domaines, de nouvelles alliances et de davantage de personnel.
Dans le sud du Levant, la situation était bien différente.
« Au troisième millénaire avant notre ère, le nombre de palais dans le sud du Levant était nettement inférieur », explique Joffe. « Par ailleurs, les palais et villages étaient nettement plus petits qu’en Mésopotamie. Pour moi, c’est la faiblesse du commerce de la laine qui l’explique. »
Pour comprendre les difficultés de la région à développer l’élevage de moutons, Joffe s’est référé à des enquêtes sur le nombre de moutons dans la région durant la première moitié du 20e siècle.

Selon un document de 1926, la région comptait 290 854 moutons et 571 289 chèvres. Huit ans plus tard, il n’y avait plus que 157 235 moutons et 307 316 chèvres.
Ces chiffres étaient peut-être plus faibles encore au début de l’âge de bronze et ils ne permettaient certainement pas de vendre de la laine. Ce n’est peut-être pas un hasard si les plus anciens fragments de laine dans la région ne datent que de l’âge du bronze moyen (2000 av. notre ère – 1550 av. notre ère).
« Les palais, les élites ne pouvaient pas payer ceux qui travaillaient pour eux avec de beaux textiles que l’on pouvait plier et charger sur un âne, pas plus qu’ils ne pouvaient en faire des gages d’alliances politiques ou des récompenses », poursuit Joffe. « Faute de cela, ils utilisaient de l’huile d’olive et du vin. »

L’huile d’olive et le vin présentaient des profils plus compliqués : ils étaient en effet périssables et leur stockage, sans parler de leur déplacement, était difficile. Logiquement, ils n’ont pas permis de connaître une croissance économique et sociale semblable à celle de la Mésopotamie.
Interrogé sur la façon dont le retard du Levant méridional a pu influencer l’histoire de la région, Joffe est d’avis que la région est restée économiquement et politiquement sous-développée tout au long de l’histoire. A un détail près. Pendant des millénaires, les problèmes économiques et sociaux du Levant méridional se sont reflétés dans sa vie culturelle, mais aux alentours de l’an 1000 avant notre ère, quelque chose a radicalement changé.
« Au cours des quatrième et troisième millénaires, plusieurs peuples du Proche-Orient ont expérimenté des formes d’écriture », rappelle Joffe. « Ceux qui vivaient au Liban, en Syrie et en Mésopotamie ont pris les caractères égyptiens, qu’ils ont simplifiés pour en faire ce qui allait devenir les tout premiers alphabets. En 2300 avant notre ère, ils s’écrivaient des lettres, inventoriaient leurs produits et créaient des histoires. Rien de tel dans le sud du Levant à cette époque. »

Mais au premier millénaire, les Israélites – et surtout les Judéens -, ont commencé à écrire leur histoire sous forme de récits bibliques, dans l’idée de s’assurer de leur survie en tant que peuple, et ce jusqu’à aujourd’hui.
« Quelle que soit la taille de l’économie, les personnes capables d’écrire avaient de meilleures chances de survie », conclut Joffe. Les peuples de Syrie et Mésopotamie avaient leurs mythes nationaux, et nous en connaissons certains grâce à des documents contemporains. Mais ces histoires ne les ont pas préservés en tant que nations, et ce en dépit de leur haut niveau de développement politique et financier à l’époque. »