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Analyse

La politique instable et conflictuelle d’Israël : la faute aux électeurs

La chute de la coalition n’est pas uniquement due aux égos et à l’inexpérience ; l’instabilité de ces 18 mois perdurera

Haviv Rettig Gur est l'analyste du Times of Israël

C’est officiel. Le Likud a annoncé mardi matin qu’il voterait en faveur de la proposition de loi visant à dissoudre l’assemblée. Cette proposition a été présentée par l’opposition et si elle passe, elle permettra l’organisation d’élection anticipée.

Le vote de mercredi sera un vote préliminaire. Le troisième et dernier vote qui entérinera la dissolution devrait avoir lieu lundi. En soutenant ouvertement cette proposition, le parti au gouvernement annonce officiellement que la partie est finie. La coalition n’est plus.

La chute du troisième gouvernement de Netanyahu reflète les défis auxquels la coalition a dû faire face et la confusion profonde qui règne au sein de la politique israélienne.

En un sens, la coalition instable qui a dirigé Israël pendant ces 21 derniers mois s’est effondrée à cause de son inexpérience.

Yair Lapid a remporté de manière spectaculaire 19 sièges aux élections de 2013, dépassant la plupart des prévisions des sondages et même ses propres attentes. Mais il n’a pas réussi à traduire cette victoire en une position législative qui reflète sa force politique.

Lapid a exigé et reçu cinq postes ministériels – la Santé, la Science, les Affaires sociales, l’Éducation et les Finances – mais a largement négligé la Knesset. Son parti n’a obtenu la direction que de petites commissions qui n’apportent pas de pouvoir, comme la commission de l’Immigration et de l’Intégration et la commission pour la promotion de la femme.

Et même si Netanyahu a donné à Lapid le puissant ministère des Finances, les factions unies du Likud et d’Israël beytenu, qui sont séparées maintenant, étaient à la tête des commissions des Finances et de la Chambre, sans l’approbation desquelles aucun budget ou législation majeure ne peuvent passer.

Tzipi Livni le 2 novembre 2014. (Crédit : Alex Kolomoisky/Flash90/pool)
Tzipi Livni le 2 novembre 2014. (Crédit : Alex Kolomoisky/Flash90/pool)

Quand un proche confident de Lapid a menacé les responsables du Likud en affirmant que Lapid pourrait constituer une nouvelle coalition sans intégrer le parti au pouvoir et remplacer Netanyahu comme Premier ministre, les dirigeants du Likud étaient abasourdis.

Le Likud contrôle la présidence de la Knesset et la commission de la Chambre, sans l’appui desquelles tout gouvernement théorique de Lapid ne pourrait gouverner de façon significative.

Et pour modifier ces postes, il faudrait entièrement renégocier des accords pour la nouvelle coalition avec un éventail de partis.

Yesh atid a tenté de menacer de faire un « putsch », comme les assistants de Netanyahu appellent maintenant cet épisode, mais il ne semble pas comprendre ce qu’une telle manœuvre culottée nécessite en termes de combines et de tractations parlementaires.

En un sens, la frustration de Netanyahu est compréhensible. Lapid, qui a, à plusieurs reprises, menacé de faire tomber la coalition sur différentes questions, refuse de faire des compromis lorsque Netanyahu s’est engagé à faire passer le projet de loi sur « l’Etat juif ».

« Je n’ai pas obtenu même l’obligeance la plus basique – la loyauté et la responsabilité des ministres pour le gouvernement qu’il serve », s’est lamenté Netanyahu lundi. Il souligne qu’il a soutenu le projet de Lapid sur les logements abordables « alors qu’il ne l’aimait pas », mais c’est comme cela qu’une coalition fonctionne.

Yesh Atid « ne sait pas ce que cela signifie faire partie d’une coalition. Ils pensent qu’ils font partie de l’opposition », soutient une source mardi.

Cette explication est devenue l’argumentaire principal du Likud pour justifier la chute de la coalition. « Nous avons eu plus de disputes au sein de la coalition qu’à l’extérieur. Il n’y a jamais eu une telle situation, une situation dans laquelle la coalition vote contre ses propres projets ».

Les nouvelles politiques

Il y a en effet quelque chose d’inédit dans la conduite du gouvernement sortant. Mais là encore, cela reflète la nature sans précédent de la politique actuelle en Israël.

Jusqu’au début de la dernière décennie, la politique israélienne était assez nettement divisée entre droite et gauche, entre les travaillistes au centre-gauche et le Likud au centre-droit. Chacun de ces partis était le pouvoir politique majeur de son côté du spectre politique. Et chacun avait une réponse claire à la question fondamentale qui a défini l’axe gauche-droite dans les années 1980 et 1990 – la question palestinienne.

Cette question est maintenant résolue. Non pas parce que la paix durable a été instaurée mais parce que la population israélienne est persuadée que la paix ne s’installera pas dans un futur proche.

La seconde Intifada, qui a été lancée fin 2000, a rendu les argumentaires de la gauche et de la droite complètement obsolètes.

La plupart des Israéliens n’ont plus cru les dirigeants de gauche qui soutenaient que les Palestiniens voulaient la paix ou les dirigeants de droite qui clamaient que les Palestiniens pouvaient être occupés indéfiniment. Et avec l’effondrement de leur argumentaire rassembleur, ces deux grands partis, qui représentaient les deux sensibilités politiques majeures, se sont effondrés avec eux.

Dans les années 2000, la politique israélienne a commencé à se fracturer en partis plus petits et nombreux. Le Parti travailliste n’est plus que le troisième parti à la Knesset. Le Likud est maintenant le deuxième. Les partis centristes immenses – Kadima avaient 28 sièges à lors de la dernière Knesset, Yesh Atid en a 19 dans celle-ci – sont élus et chutent en l’espace d’un seul cycle électoral.

L’électorat est plus volage et plus cynique aussi.

Dans les sondages, lorsqu’on demande aux Israéliens quelles sont les institutions qu’ils jugent être les plus corrompues, les partis politique sont les premiers de la liste.

Le taux de participation israélien a été remarquablement stable et élevé pendant une grande partie de l’histoire d’Israël. Il est resté aux alentours de 80 % depuis les années 1950, puis a plongé à 79 % en 1999 et à 62 % lors des élections post-Intifada en 2001. Il n’a pas dépassé les 68 % depuis.

Et les électeurs ne semblent plus voter pour une ligne idéologique claire. Lors des dernières élections, un bon tiers des électeurs étaient encore indécis le jour de l’élection.

Naftali Bennett lors de la "Conférence pour la paix" organisée par le quotidien Haaretz à Tel Aviv, mardi 8 juillet 2014 (Crédit : Flash90)
Naftali Bennett lors de la « Conférence pour la paix » organisée par le quotidien Haaretz à Tel Aviv, mardi 8 juillet 2014 (Crédit : Flash90)

En décembre 2013, un sondage avait révélé qu’à peu près la moitié des 345 985 Israéliens qui ont voté pour le parti Habayit haYehudi, qui s’oppose explicitement à la création d’un Etat palestinien en Cisjordanie, soutiendrait en réalité un tel Etat s’il permettait la séparation des Israéliens et Palestiniens.

Un Israélien sur cinq ne vote pas, et ne l’a jamais fait. Un Israélien sur sept a arrêté de voter après le gel de la question palestinienne en 2000. Et ceux qui continuent de voter, votent aussi facilement pour la gauche que pour la droite. Ils se basent apparemment sur les personnalités des dirigeants du parti plutôt que leur engagement idéologique pour prendre leur décision.

Dans ce chaos électoral et cette crise de l’identité politique et de son but, une nouvelle race de politiciens israéliens a surgi.

La vieille élite de la Défense qui a autrefois dirigé le pays, des généraux comme Yitzhak Rabin et Ariel Sharon, à l’ancien directeur général du ministère de la Défense Shimon Peres, a fait place à une nouvelle classe politicienne composée d’experts en relation publique, de journalistes à vocation sociale, d’entrepreneurs et d’universitaires prestigieux.

L’ancienne dirigeante du parti travailliste Shelly Yachimovich, le dirigeant de Yesh atid Yair Lapid, et le président d’Habayit haYehudi Naftali Bennett – tous reflètent une opinion publique israélienne à la recherche d’une nouvelle politique, où la personnalité l’emporte sur la politique et où les préoccupations nationales ne sont plus remplacées par la piste de la sécurité diplomatique, qui est maintenant ‘congelée’.

Certains se félicitent de ces politiques plus « normales », de cette politique plus centrée sur la politique intérieure. D’autres, ayant conscience du danger que représente le conflit non résolu avec les Palestiniens, sont moins optimistes.

Mais une chose reste certaine.

Les « nouvelles politiques », comme Lapid qualifie ces nouvelles sensibilités et ces impulsions, se révèlent être beaucoup moins stables, décisives ou gérables que l’ancien modèle.

Yair Lapid s'adressant aux journalistes le 31 août 2014 (crédit : Yonatan Sindel/Flash90)
Yair Lapid s’adressant aux journalistes le 31 août 2014 (crédit : Yonatan Sindel/Flash90)

En l’absence de la question unificatrice de ce qu’il faut faire avec les Palestiniens, les deux camps siégeant au Parlement israélien se sont fracturés le long des lignes de fractures de la société israélienne.

Les politiciens laïques cherchent à exclure les partis ultra-orthodoxes. Les ultra-orthodoxes dénoncent les religieux sionistes comme des «non-Juifs» à cause de leurs réformes sur la libéralisation du rabbinat de l’Etat.

L’extrême droite propose des législations qui sèment amèrement la discorde et qui enflamment le Parlement et les médias, même lorsque ces propositions n’ont aucune chance de passer. Les locuteurs russes qualifient les locuteurs arabes de « traîtres ».

Les députés arabes préfèrent la confrontation et crier au « fascisme » en séance plénière à la Knesset plutôt que de s’atteler au travail législatif, qui est certes plus difficile mais qui pourrait les aider à réaliser les souhaits de leurs électeurs, qui selon les sondages, souhaitent une meilleure intégration économique et sociale dans la société israélienne.

Et dans ce grand n’importe quoi, où les politiciens sentent l’inconstance des électeurs et sont parfaitement conscients qu’ils sont en concurrence pour un électorat rétréci à cause d’une liste croissante de partis, la différence entre gouverner et faire campagne n’existe plus.

Les observateurs politiques israéliens plaisantent parfois en suggérant que les politiciens souhaiteraient pouvoir voter pour un électorat et le remplacer par un meilleur électorat.

Dans un sens, qui reste important, ce n’est pas Lapid ou Netanyahu qui ont apporté une telle instabilité profonde dans le système politique, mais l’électeur israélien indécis. Et c’est au nom de cet électeur, que les manœuvres et la démagogie qui ont fait tomber le gouvernement, ont été menées.

Lapid a accusé le Likud de « vendre le pays » à des intérêts particuliers – mais il n’a pas commencé à porter cette accusation mardi, après que la coalition se soit effondrée.

Il l’a fait publiquement et à plusieurs reprises au cours de ces derniers mois, alors même qu’il cherchait à faire passer son budget d’Etat, ses réformes du logement et d’autres mesures en collaboration avec ses partenaires du Likud de la coalition.

Livni, dont le parti Hatnua se trouve maintenant quasiment au seuil électoral et qui ne pourrait ne pas être réélue à la Knesset dans sa forme actuelle, a ouvertement qualifié les membres de la coalition de danger pour l’avenir du sionisme.

Certains observateurs sceptiques suggèrent que c’était probablement une tentative pour se positionner comme une leader crédible au sein d’une nouvelle alliance politique de gauche.

Netanyahu, qui doit faire face aux primaires du Likud en janvier, a continué à insister pour que le Parlement vote symboliquement en faveur des deux versions de droite du projet de loi sur « l’Etat juif » auxquelles Livni et Lapid sont farouchement opposés – alors même que le vote de ces projets de loi avait déjà été annulé par un vote du cabinet le 19 novembre.

Ce sont les gesticulations, et non pas la politique, qui ont défini une grande partie du comportement du gouvernement. Et au final, ce n’était pas un désaccord de fond qui a fait éclater la coalition. Il est difficile de voir comment une tentative de gouverner de façon « électoraliste » aurait pu se terminer différemment.

Et si l’électorat n’offre pas de résultats plus décisifs lors du scrutin, il y a tout lieu de penser que cette nouvelle fusion de la gouvernance et de la campagne électorale sera une caractéristique qui définira – et déstabilisera – la politique israélienne pour les années à venir.

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