La refonte judiciaire ne peut pas primer sur la guerre civile, dit l’Agence juive
Des organisations américaines majeures ont mis en garde dans un courrier adressé à Benjamin Netanyahu contre "une grave polarisation parmi les Juifs du monde entier"

Les chefs de l’Agence juive et d’une série d’autres organisations juives américaines majeures ont fait savoir, dans une lettre inquiète qui a été écrite au Premier ministre Benjamin Netanyahu et au leader de l’opposition Yair Lapid, mercredi, que les profondes divisions en Israël entraînées par la réforme du système judiciaire déchiraient également les communautés juives du monde entier. Ils ont exhorté les deux parties à trouver un compromis.
« Nous assistons aujourd’hui à une grave polarisation chez les Juifs qui aiment Israël, des clivages qui apparaissent dans le monde entier », dit la lettre qui a été signée par Doron Almog, le président de l’Agence juive, qui œuvre aux côtés du gouvernement israélien pour promouvoir des programmes d’immigration en Israël et à la faciliter ; par Mark Wilf, président du bureau des gouverneurs de l’Agence et par les dirigeants des plus importants partenaires de l’institution, l’Organisation sioniste mondiale (ZOA), les fédérations juives d’Amérique du nord et Keren Hayesod.
Mais le courrier écrit mercredi s’est abstenu de tout jugement sur le plan de refonte du système judiciaire mené à grande vitesse par la coalition de la ligne dure de Netanyahu, un plan qui bouleverserait l’équilibre entre les pouvoirs et qui limiterait considérablement l’autorité de la Haute-cour. Cette enveloppe de réformes a été dénoncée par de nombreuses sections de la société israélienne et notamment par les économistes, les experts juridiques, les réservistes au sein de l’armée, les professionnels du milieu des finances, les entrepreneurs et de nombreux autres. Lapid, le chef de l’opposition, a déclaré au mois de mars que le « rythme effréné et obscène » du gouvernement dans son projet de refonte du système judiciaire pourrait faire d’Israël « une nouvelle dictature en faillite du Moyen-Orient ».
La lettre a préféré transmettre à Netanyahu un message implicite – un message que l’Agence juive et ses partenaires n’avaient jamais transmis auparavant à un Premier ministre israélien : Prendre un délai supplémentaire de réflexion.
Le courrier laisse entendre que les Juifs américains ne sont plus intéressés par les arguments en faveur des réformes que pourrait faire valoir Netanyahu – des réformes dont le prix à payer, selon les auteurs, est trop élevé, même en prenant pour hypothèse, comme l’affirme le Premier ministre, qu’elles sont justifiées.
Les auteurs transmettent ce message en une seule phrase : « Aussi déterminante que puisse être la réforme du système judiciaire, elle ne peut pas primer sur le risque d’une guerre entre frères, Dieu nous en préserve ».
Ils ajoutent que trouver un compromis sur la refonte du système de la justice relève vraiment du « Pikuach Nefesh, le principe de primauté de la vie ».
La missive a suivi des propos tenus par le Premier ministre en Allemagne où il se trouvait en visite officielle la semaine dernière. Alors qu’il était à Berlin, il avait pris la défense, en anglais, de son projet de réforme qui prévoit de transférer certains pouvoirs du système judiciaire à la branche législative. Il avait assuré que cette initiative permettrait de rééquilibrer les pouvoirs entre les différentes branches du gouvernement.
« Nous ferons tout ce qui nous semble juste pour faire des réformes qui règleront le problème du déséquilibre des pouvoirs qui existe aujourd’hui entre les différentes branches du gouvernement ; en menant à bien une initiative qui pourra être reconnue, en même temps, comme étant la meilleure solution pour Israël et ce conformément à mes principes qui sont de conserver une démocratie libérale et équilibrée en Israël », avait déclaré Netanyahu dans la capitale allemande.
Cette refonte totale du système de la justice, initiée par le gouvernement de droite, d’extrême-droite et ultra-orthodoxe de Netanyahu, a entraîné des manifestations massives, le refus de servir de la part de certains réservistes, et de multiples affrontements entre protestataires. Des institutions financières étrangères ont retiré leurs fonds du pays. Ces dernières semaines, elle a aussi créé des divisions entre les conservateurs, avec des personnalités de premier plan des implantations de Cisjordanie et d’autres institutions de la droite israélienne qui ont ouvertement demandé de mettre en pause le processus de réforme pour faciliter l’ouverture d’un dialogue avec ses opposants.
Dans ce contexte, il est aussi notable que Yaakov Hagoel, un membre éminent du Likud de Netanyahu, a été un co-auteur du courrier de mercredi.
La refonte du système judiciaire en Israël divise également les Juifs de la Diaspora, a fait remarquer la lettre.
« Nous sommes trop nombreux à éprouver une inquiétude réelle en constatant, impuissants, les tensions qui se font ressentir de tous les côtés », ont-il remarqué, ajoutant qu’il « est déterminant que toutes les parties recherchent le dialogue, quel qu’en soit le prix… pour trouver le consensus le plus large possible ».
A cet égard, la missive a été comparable à des déclarations antérieures qui avaient été faites par des groupes juifs locaux et internationaux à des périodes de tensions accrues au sein de la société israélienne et notamment suite à l’assassinat, en 1995, du Premier ministre Yitzhak Rabin et après le retrait israélien de la bande de Gaza, en 2005.
Alors que les inquiétudes se renforcent face au projet de refonte, aucun soutien de l’Agence juive n’a menacé, pour le moment, de réduire ses financements. En 2020, Keren Hayesod et les Fédérations juives d’Amérique du nord avaient contribué à hauteur de plus de 70 millions de dollars à l’Agence juive, ce qui représentait 27 % de son budget total et presque 80 % de ses revenus non-affectés.
Toutefois, le trouble croissant face à la réforme du système de la justice en Israël n’aidera probablement pas l’Agence juive à mener à bien sa mission qui est d’amener des milliers de Juifs et leurs proches à s’installer en Israël chaque année.
Dans une tentative apparente d’évoquer ces inquiétudes spécifiquement, Almog a indiqué, quelques heures après la publication de sa lettre, que les mouvements de protestation n’avaient pas eu d’impact sur l’alyah, le mot en hébreu désignant l’immigration juive en Israël.
« Je veux que vous sachiez que même pendant cette période, alors qu’il y a des manifestations, il y a eu un nombre record d’olim [d’immigrants juifs en Israël] pendant tout le mois de janvier et pendant tout le mois de février. Les gens veulent venir ici ! Le sionisme se renforce. Israël continue à attirer », a expliqué Almog, mercredi, lors de la cérémonie d’ouverture de la semaine de la Diaspora au théâtre de Jérusalem, une semaine qui est organisée par le ministère des Affaires de la Diaspora.
Un porte-parole de Nefesh bNefesh, un groupe qui assume le rôle de l’Agence juive dans les pays anglophones, a déclaré au Times of Israel qu’il ne constatait pas de baisse de l’alyah et que les Juifs du monde entier s’intéressaient toujours autant à l’immigration.
La cérémonie festive et informelle, qui a été agrémentée de concerts d’artistes de premier plan qui se sont produits devant des centaines d’adolescents et de jeunes adultes Juifs originaires d’Israël ou de pays étrangers, a offert au moins une image d’unité : Almog, ancien général considéré comme un centriste, a pris amicalement dans ses bras le ministre des Affaires de la Diaspora Amichai Chikli, un soutien fervent de la refonte judiciaire – un moment qui a semblé être l’expression spontanée d’une appréciation réciproque.
Chikli n’avait pas répondu à une demande de commentaire sur la lettre écrite par l’Agence juive et ses groupes partenaires au moment de l’écriture de cet article.
Dans une autre lettre écrite mercredi par le Congrès juif européen et par la Conférence des rabbins européens, les deux organisations ont exprimé « l’inquiétude profonde et la tristesse ressenties par nos communautés face aux vives divisions actuelles en Israël et face à la menace qui plane en conséquence sur l’unité du peuple juif et sur la sécurité de notre unique État juif ».
Les deux groupes ont indiqué que la journée de mercredi serait « une journée de prière et de réflexion, de prière pour la paix à Jérusalem ».